20/10/2005
Le sens des mots, 2004
Nature du document: Chroniques

Hygiénisme, c’est du propre...

L’hygiénisme semble bel et bien faire un retour en force, du moins au niveau de l’utilisation du mot. Celui-ci recouvre en fait deux notions différentes.

La première, ce qu’on appelle l’hygiénisme contemporain, a été développée par un biologiste anglais, Shelton, au 20ème siècle. Sur le principe selon lequel tout être vivant tend naturellement vers la guérison, cet hygiénisme prône la santé par la diète, le refus de tout médicament et la naturothérapie.

Il me semble plus intéressant de s’attarder sur la deuxième acception de l’hygiénisme, utilisée actuellement pour dénoncer le discours sécuritaire et moral en matière de mode de vie et d’alimentation. Bref, un retour à la l’hygiénisme du 19ème siècle, c’est-à-dire à la grande entreprise d’assainissement menée en France à partir de 1870.
La croisade des hygiénistes (le mot est apparu en 1830) obéissait à un projet politique que l’on retrouve dans bon nombre de mythes, depuis Platon jusqu’à Rabelais : un corps sain, une cité juste, une raison pure.

Cette grande œuvre de salubrité politique a certes permis de nettes avancées en termes bactériologiques, les découvertes pasteuriennes aidant, - c’est l’époque où l’on enterre les morts dans des cimetières, où le préfet Poubelle oblige les Parisiens à enfermer leurs déchets, où l’on canalise les eaux usées dans les égouts, où des campagnes de vaccinations s’opèrent. C’est la naissance de la santé publique, qui rejoint l’origine du mot grec, hygiène signifiant santé et désignant la branche de la médecine qui concerne le mode de vie adéquat pour conserver la santé et l’améliorer, principalement par l’hygiène corporelle.

Mais d’emblée, ce projet politique a opéré un amalgame délibéré, entre le corps humain et le corps social - une vision organique de la société -, la propreté et la pureté, la saleté et la souillure morale. .
Ce grand ménage de printemps devait permettre de lutter contre les miasmes, les odeurs pestilentielles, la saleté des rues, la mortalité infantile, les épidémies - en l’occurrence la syphilis- et de fil en aiguille, la décadence, la souillure, la criminalité et les fléaux sociaux telles que la prostitution.
Un objectif de moralisation donc, qui vise les pauvres, et un but clairement affiché d’amélioration de la race . Dès lors, hygiénisme a flirté avec l’eugénisme : une amélioration de la race très intéressée : à des fins économiques et militaires (avoir des bras pour cultiver et des hommes pour guerroyer, après la défaite de 70). On le voit nettement dans les colonies, notamment au Maroc, où des brigades sanitaires ont littéralement raflé les pauvres, pour les désinsectiser et les revigorer dans des stations sanitaires et militaires.
Cette politique hygiéniste s’est poursuivie jusqu’à la première guerre mondiale, relayée par la fondation Rockefeller, garante du bien-être de l’humanité, pour prévenir la tuberculose à travers la création des dispensaires et des visiteuses d’hygiène, la propagande d’un ministère de l’Hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociale.

Certains voient aujourd’hui, dans différents signes des temps, le retour d’un tel hygiénisme ou du moins des conditions qui évoquent celles du 19ème siècle, avec ses succès et ses dérapages.

  • L’ apparition de nouvelles « épidémies » que sont les virus - celui du Sida-, mais englobant également les risques alimentaires réels ou non, - vache folle, Ogm, listéria, fièvre aphteuse, grippe aviaire- et les problèmes de santé dus au mode de vie : l’obésité, le cancer du poumon, les maladies cardio-vasculaires.
  • Une idéologie de la tornade blanche, de la pureté et de la propreté : on retrouve là la peur du miasme et des microbes, qui se traduit par la stérilisation et l’aseptisation à outrance, quitte à générer l’insipide, l’invasion des antibactériens dans la maison pour tout désinfecter, les parfums d’ambiance pour sentir le propre, et j’en passe
  • Un Etat autoritaire - au sens où c’est la puissance publique qui assume un rôle de surveillance, de contrôle, de garantie et qui exerce un pouvoir normatif fort.
  • Un moralisme discret mais bien présent, qui tend à amalgamer corps humain et fléaux sociaux, sur l’alcool, le tabac, le poids. Le gros, le fumeur, le buveur, seraient décadents, ringardisés, et réussirait moins bien professionnellement. On le culpabilise : à sa faiblesse de caractère, est opposé l’idéologie de l’effort et de la volonté à coup de sport et de minceur.
  • Enfin, pour en venir plus précisément à l’alimentation, il me semble que, de même que l’émergence de l’hygiénisme du 19ème siècle n’a pu se faire qu’à la faveur d’un progrès de la science et de la technique ( Pasteur), nous connaissons aujourd’hui une technicisation et une médicalisation de l’alimentation qui valorise le nutritionnellement correct et parle d’alicaments sur fond d’une utopie qui serait celle de la santé parfaite.

Au 19ème siècle, de vraies avancées avaient néanmoins été opérées en terme de bien-être, mais au prix de régressions fortes en terme de dignité humaine. De même aujourd’hui, ce souci du sûr et du sain apporte son lot de bénéfices, mais comporte également le risque de substituer le biologique au culturel, la norme au choix individuel, la légitime exigence de sécurité sanitaire à la politique de santé sécuritaire.

Par Valérie Péan. Mission Agrobiosciences

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