Spéculation : le spectre de la Grèce
C’est désormais dans le seul miroir financier que l’on s’obstine à regarder le Monde. Un point de vue singulièrement étroit au regard des origines du mot "spéculation". Un voyage qui, via le vieil Aristote, nous mène de la Grèce... à son spectre.
Spéculation : le spectre de la Grèce
Il n’est d’action plus noble de notre entendement que la spéculation des choses naturelles, disait ce Grec d’Aristote. Une spéculation désintéressée, ignorante de tout utilitarisme. Un pur mouvement de la pensée. Une voie d’accès privilégiée menant à la sagesse. Cela nous dit vaguement quelque chose ? Oui, c’est cela, souvenons-nous… C’était du temps où dans la Cité athénienne, loin des sphères financières et des agioteurs de tous poils, des philosophes barbus, portant toge et bijoux fins, ignorants des barbares hedge funds, des contingences de l’Eurozone et de l’éthique supposée du FMI, tchatchaient métaphysique et rhétorique, le regard vrillé sur les Idées. Leurs silences étaient contemplation de la vérité. Il était question de bonheur et de vertu. On y vantait l’économie, cet art d’administrer le bien-être d’une communauté. On y condamnait du même coup les ruses de la chrémastitique, autre nom du goût du profit qui poussait alors de vils personnages à accumuler la monnaie.
Spéculer… humanum est
Ne rions pas, elle eut un certain succès, cette spéculation métaphysique, par delà même les siècles et les pays. Tenez, un dénommé Kant en fit ses choux gras pour appréhender cette étrange notion que l’on nomme raison. Bien qu’il n’ait pas eu un mot en faveur ou à l’encontre des théories néo-libérales, de l’équilibre des marchés ni même de la régulation - rendez-vous compte - il eut toutefois une certaine postérité. C’est que spéculer, tiré du latin speculari, signifiait encore regarder, observer, guetter. Sans pousser forcément jusqu’au sens philosophique de la pensée spéculative et de toute ces choses de l’esprit, longtemps les spéculateurs furent observateurs des corps célestes, la tête dans les étoiles, ou encore, l’oeil exercé, de simples sentinelles, espions et guetteurs.
Tout cela dura environ vingt-deux siècles. Une paille. Car à l’aube des Lumières, dès lors que Adam Smith en Ecosse, ou Quesnay en France, firent une OPA sur le mot spéculation pour l’appliquer en économie, c’est dans le seul miroir financier que l’on se plut progressivement à regarder le spectacle du Monde, réduisant la pensée philosophique, aux yeux de nombre d’entre nous, à cet autre dérivé de speculari : un spectre.
Après, que les batailles fassent rage pour déterminer si la spéculation est bonne ou mauvaise selon les théories plus ou moins en vogue, tout cela ne change rien à l’affaire, même si c’est réellement très intéressant. Car ce qui en ressort, vu de Sirius, c’est que l’économie, et singulièrement la finance, ont envahi tout l’horizon de nos manières de voir, de comprendre et d’agir sur nos sociétés. Et que de la Grèce, nous n’apercevons plus que le sombre reflet de la faillite, cette maladie de la faille.
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