18/03/2025
Revue de presse du 18 mars 2025
Nature du document: Revue de presse
Mots-clés: Foncier , Normes , Politiques

Une rustine législative contre la fuite des hectares agricoles

Les députés ont adopté à une large majorité une proposition de loi contre « la consommation masquée » des terres agricoles. L’achat de fermes pour d’autres usages que la production alimentaire soustrait chaque année davantage de surface agricole utile que l’artificialisation des sols.

Le député des Pyrénées-Atlantiques, Peio Dufaun est satisfait. Sa proposition de loi a été largement adoptée le 11 mars 2025 à l’Assemblée Nationale, par 203 voix sur 206. « Chez nous, on dit ‘Lurra behin saldua, betiko galdua’ (vendue un jour, perdue pour toujours) », dit le parlementaire basque à un hebdomadaire local bilingue. Cet élu de la gauche nationaliste a repris le flambeau de son prédécesseur centriste, pour éviter que se reproduise l’imbroglio juridique et financier autour de la vente, à Arbonne, d’une grande maison, d’un bâtiment-ferme de 15 hectares de terrains et ce, pour plus de 3 millions d’euros (la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural, Safer, estimait le tout à 800 000 €) … Une « vente spéculative » proposée à une riche retraitée, dans ce village situé à quelques kilomètres des plages de Biarritz, rapportait Mediabask au début de l’année. « On a occupé la maison pour essayer de casser une vente irresponsable », a expliqué Peio Dufau dans l’hémicycle. Julien Dive, député de droite, était co-signataire de la proposition de loi signale LCP.

Les agents immobiliers contre les Safer

La chaîne parlementaire souligne que ce texte « transpartisan » a été largement adopté par les députés, mais la ministre de l’agriculture Annie Genevard a émis des réserves sur sa constitutionnalité. « Le sujet a déclenché une violente polémique entre la FNAIM, qui regroupe les agences immobilières et la Fédération nationale des Safer », exposait Localtis avant même le vote à l’Assemblée. Cette publication de la Caisse des Dépôts et Consignation rapporte que la FNAIM a saisi la Commission européenne de deux plaintes, l’une visant directement les Safer pour abus de position dominante, l’autre contre l’État français. Or les Safer ne font jouer leur droit de préemption que pour 300 à 600 ventes de maisons par an, « soit 0,4% des ventes de maisons à la campagne », rétorque leur fédération nationale.

Dans une publication en ligne de la Côte d’Azur, Loïc Canfin, le président de la FNAIM, va jusqu’à dénoncer « un hold-up rural ». Il s’inquiète de l’extension des zones d’intervention des Safer « dans les zones tendues et les communes littorales ». Dans le département du Var, le foncier agricole peut ainsi atteindre jusqu’à 30 000 € l’hectare autour de Fréjus, contre 11 600 € en moyenne dans le reste du département et 6 200 € en France, relève Libération. « C’est très cher pour faire pousser des radis » réagit Maxime Commarmond, maraîcher bio, qui fait partie d’un collectif créé en 2023 avec une centaine d’agriculteurs et riverains pour lutter contre les détournements d’usage dans la vallée de l’Argens (Var).

« Cabanisation » et artificialisation des sols

Dans une enquête publiée sur deux pages, Pauline Mouillot va bien au-delà de l’élevage de chevaux qu’une riche retraitée voulait installer au Pays Basque en 2021. La journaliste de Libération liste d’autres « dérives » dans le grand « détournement » des terres agricoles sur tout le territoire national : casses auto, décharges, mais aussi « cabanisation » de simples particuliers ou de « gens du voyage » qui commencent à installer un abri de jardin ou une caravane sur un lopin avant de les transformer en habitat « en dur » sans permis de construire, parfois en zone inondables. « Au total, entre 20 000 et 25 000 hectares de terres agricoles s’évanouissent ainsi chaque année », résume l’article de Libération, soit davantage encore que l’artificialisation des sols. « J’en veux davantage à ceux qui cèdent qu’à ceux qui s’installent. Il faut travailler très en amont pour que ces terres agricoles le restent, et éviter la spéculation », dit le maire (sans étiquette) d’une commune de la périphérie d’Avignon qui tente de faire du « remembrement » pour installer des maraîchers sur sa commune.

Une députée RN s’est saisie des statistiques des Safer pour alerter sur « l’extension urbaine qui grignoterait les campagnes ». Les chiffres sont en réalité sous-estimés, selon le service de fact-cheking de TF1. La chaîne de télévision du groupe Bouygues explique qu’il convient d’ajouter les 20 à 25 000 hectares qui changent chaque année d’affectation selon les relevés du cadastre pointés par le Céréma (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) aux 30 000 hectares qui n’ont plus d’usages agricoles « productifs » sans pour autant être « artificialisés », pour avoir une vue complète du phénomène.

Hasard du calendrier, les sénateurs devaient débattre de la loi sur l’objectif de « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN) le même jour que l’adoption de la proposition de loi adopté par les députés, remarque Libération. « Le ministère de l’Agriculture défend la préservation du potentiel agronomique à l’échelle du pays, mais au niveau local, dans les mondes agricoles aujourd’hui, beaucoup sont plutôt défavorables au ZAN », constate le géographe Éric Charme, interrogé par Médiapart. « Face à un monde agricole très fragilisé, qui s’inquiète pour sa retraite, les élus ont aussi distribué des droits à construire pour acheter une sorte de paix sociale », ajoute ce directeur de recherche à l’Ecole nationale des Travaux Publics de l’Etat (ENTPE) de Vaulx-en-Velin.

LIRE AUSSI : le dossier (novembre 2023) en deux parties, dans la revue Sesame, [Artificialisation] Un débat trop « superficiel » ?  : https://revue-sesame-inrae.fr/artificialisation-un-debat-trop-superficiel/
Par Stéphane Thépot, journaliste

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