« Une partie des mangeurs a diminué sa consommation de viande pour des raisons budgétaires »

Pour préparer la prochaine rencontre du cycle BorderLine, dédiée à la végétalisation de l’alimentation, la Mission Agrobiosciences-INRAE a lancé un appel à contributions et sollicité parallèlement l’analyse de plusieurs personnalités. Dans ce court entretien, Pascale Hébel, spécialiste bien connue de la consommation, directrice associée chez C-Ways, nous livre son analyse du contexte. Certes l’alimentation se végétalise ; reste que ce mouvement doit s’appréhender à l’aune de la situation inflationniste que nous avons connue ces dernières années.
Que vous inspire le terme de végétalisation ?
Il me semble qu’il existe à présent un consensus scientifique pour dire qu’il faut rééquilibrer le ratio entre protéines d’origine animale et protéines d’origine végétale. En France et dans les pays occidentaux, celui-ci est actuellement de 66% alors qu’à la lumière de nombreux travaux, il devrait être de 50%. Bien évidemment, cette estimation, globale, vaut pour la population générale, hors cas particuliers. Par exemple, pour les enfants ou certaines populations fragiles, il faut être vigilant à ce que la consommation en produits animaux soit suffisante pour couvrir les besoins en fer, zinc et en iode. Raison pour laquelle il est bien question de réduction et non pas de suppression de cette catégorie d’aliments.
Vous êtes une observatrice de longue date de ces questions. En 2019, lors des 25es Controverses européennes de Bergerac, vous aviez participé à une table ronde sur le traitement médiatique du débat sur la consommation de viande(1). Cette question se pose-t-elle de la même manière aujourd’hui ?
Récemment, j’ai mené une étude sur le contenu des discours d’influenceurs, journalistes et acteurs de ce débat sur les réseaux sociaux. Il y a une dizaine d’années, les échanges, très virulents, sur la consommation de viande avaient pour pierre d’achoppement le bien-être animal. Aujourd’hui, les acteurs du débat, par exemple des associations de défense des animaux, abordent ce sujet de manière moins frontale, en insistant plutôt sur nos styles de vie.
Cela reflète probablement le changement de paradigme opéré avec le concept « One Health » (Une seule santé), qui lie santés humaine, animale et environnementale. Ainsi, dans l’enquête sur l’alimentation durable que je réalise actuellement, figure un certain nombre de questions ouvertes pour avoir un aperçu de l’évolution des représentations. A la question « si je vous dis alimentation saine et durable, à quoi pensez-vous ? », 20% des répondants citent des éléments en lien avec « One Health », tels que la santé des agriculteurs et des consommateurs ou encore celle de l’environnement.
De même, si l’on regarde à présent les motivations qui conduisent les mangeurs à opter pour le régime végétarien, on observe une diversification des raisons : non plus seulement la cause animale, mais également la dimension santé – l’excès de viande rouge étant associé à l’apparition de certains cancers.
Est-ce que vous-même utilisez le terme de végétalisation ? Pourquoi ?
Oui, je l’utilise pour qualifier les tendances de consommation. Certains utilisent plutôt celui de « transition protéique », lequel a l’inconvénient, aux dires des nutritionnistes, de réduire la question de la consommation des produits animaux au seul sujet des apports en protéines.
En revanche, il serait intéressant de vérifier si les consommateurs parlent ou non de végétalisation. Dans nos enquêtes, nous n’abordons pas directement ce concept, nous les interrogeons sur leur perception d’une alimentation saine et durable. Et ce qui me surprend le plus dans leurs réponses, c’est qu’ils citent rarement deux des principaux leviers de la durabilité des systèmes alimentaires que sont la réduction du gaspillage et celle de la consommation de viande. Ils insistent plutôt sur des éléments positifs – « manger des fruits et légumes », « éviter le gras, le sucre et le sel » –, citent des modèles agricoles comme l’agriculture biologique. D’autres répondants s’inscrivent dans une tendance du « local et fait maison ». Pour autant, seulement 5% citent la réduction de la consommation de produits carnés.
Quels autres éléments révèlent ces enquêtes ?
Depuis 2019, le profil des personnes affirmant avoir adopté un régime végétarien a changé. Avec l’accroissement des prix alimentaires, une partie des mangeurs a diminué sa consommation de viande pour des raisons budgétaires, en dépit d’un attachement symbolique assez fort pour cet aliment. Cela s’observe notamment au sein de la catégorie des ouvriers-employés, laquelle considérait jusqu’à présent la viande comme un aliment désirable. Même observation dans la tranche d’âge des 18-25 ans qui se déclare à 17% végétarienne… une proportion qui doit s’analyser au regard de la forte insécurité alimentaire qui touche les jeunes adultes.
Du côté des achats, on remarque un accroissement de la consommation en produits céréaliers – pâtes, riz – denrées bon marché. Mais celle de légumes n’augmente pas. Reste enfin cette question : ces comportements, adoptés sous la contrainte, vont-ils perdurer et devenir une norme pour ces mangeurs ? J’ose l’espérer.
Propos recueillis par Lucie Gillot, MAA-INRAE le 07 février 2025
Agora du Quai des Savoirs (39 All. Jules Guesde, 31000 Toulouse).
Gratuit et ouvert à tous les publics sur inscription (recommandée)
S’INSCRIRE : https://sondages.inrae.fr/index.php/661445?newtest=Y&lang=fr
Spécialistes du sujet comme néophytes, répondez aux deux questions :
1/ Que vous suggère, d’emblée, l’expression « végétalisation de l’alimentation » ? Pouvez-vous en donner une définition ?
2/ Selon vous, cette notion comporte-t-elle des points aveugles, des éléments sous-estimés ou rarement abordés dans les débats ?
Envoyez-nous vos contributions d’ici le 10 mars 2025 en une page maximum (4000 signes max) à mission-agrobiosciences[arobase]inrae.fr .
Après validation, celle-ci sera publiée sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences-INRAE.
Retrouvez en bas de page d’autres réponses à l’appel à contributions
« Du glyphosate à l’élevage : questions scientifiques, traitements médiatiques et politiques », 25es Controverses européennes, août 2019.