14/06/2010
Chronique "Le sens des mots". Juin 2010
Nature du document: Chroniques
Mots-clés: Travail

Nous sommes tous des impactés

Impacter. Le mot est lancé froidement comme un missile, un projectile qui rebondit de phrases en phrases, blackboule la subtilité des analyses, et, heurtant l’oreille, laisse sur son passage des bris et des chocs. Ici, c’est l’euro qui est impacté à la baisse, ailleurs, un nuage de cendre impacte les vols, plus loin, le niveau de vie des étudiants se voit impacté par la crise.
Un verbe à conjuguer pour mieux banaliser l’onde de choc. Vous verrez, d’ici peu, nous verrons apparaître... l’impactage.
Elle-même impactée par cette utilisation démultipliée, Valérie Péan, de la Mission Agrobiosciences, ne pouvait que se pencher sur ce terme dans cette nouvelle chronique "Le sens des mots".

Avec son usage immodéré dans la bouche de journalistes, experts ou consultants, ce verbe semble déployer ses effets en cascade. Un à un, les dominos tombent. Pas un pan de notre vie qui ne soit affecté par l’intrusion inconvenante de ce néologisme.
Comme si les uns et les autres tiraient une obscure satisfaction à placer ce verbe qui claque, sec et compact, et qui semble conférer à celui qui l’emploie une brutale efficacité, une analyse choc de la situation, la lucidité froide du constat façon Carglass-qui-répare-les points-d’impact.

Ordinairement, les mots au fil du temps perdent de leur substance, oublieux que nous sommes de leur signification première, enracinée dans le concret. C’est ainsi que le travail est passé de la torture bien réelle du trepalium à une activité plus ou moins pénible ou que le risque a désigné le récif des naufrages avant d’être une probabilité. Comme si des siècles d’usage émoussaient la rugosité des vocables. Une douce patine qui affaiblit et euphémise le sens.
Quand a surgi, il y a quelques années, cet étrange verbe impacter aux allures d’anglicisme, il pouvait encore laisser croire qu’il n’était qu’un synonyme d’influencer, et qu’il avait le charme de ces termes dont le sens s’est atténué. D’ailleurs, nous n’en avions jusque là nul besoin, ne conservant même pas le verbe latin d’origine, impingere, (jeter, frapper contre) pour n’en garder que le participe passé impactus. Nos ancêtres devaient imaginer qu’un substantif suffisait amplement.

Mais voilà, le vocabulaire de la finance et du commerce a fait tache d’huile dans les médias, puis la crise est arrivée, sans crier gare – enfin presque –, faisant déraper les concepts usuels et les vocables tranquilles. Il fallait bien un verbe pour dire la violence de la collision. Les temps sont durs, finie l’euphémisation : impacter devrait donc logiquement nous rappeler le bruit des tôles froissées, la cohorte sourde et crissante à la fois des carambolages, les plaies, les bosses et les trous sous l’effet de tirs groupés : tiens, prends-toi cette taxe, et puis la crise de l’immobilier, et la chute de l’euro et ta retraite à deux-balles, et j’en passe.
Alors, bien sûr, nous sommes tous des impactés, car vous l’aurez remarqué, ce verbe se conjugue surtout à la forme passive (de même que nous sommes impactés à la baisse, rarement à la hausse). Mais au moins, arrêtez ce vocabulaire de carrossier, laissez nos pare-brise tranquilles et retournez à vos études…d’impact.

Par Valérie Péan, Mission Agrobiosciences, juin 2010

Par Valérie Péan, Mission Agrobiosciences.

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