Mais qu’importe, Paris est vaste et les ministères ont chacun leur adresse… C’est ainsi que nous vîmes apparaître un Ségur de la santé (mai-juillet 2020), puis un Beauvau de la Sécurité (fév-mai 2021) et gageons que d’ici peu, fleurira un Valois de la Culture, grogne des artistes oblige. Bien d’autres pourraient suivre. Allez, suggérons : un Vendôme de la Justice, cela n’aurait-il pas de l’allure, monsieur Dupont-Moretti ? Hélas, tous les portefeuilles ne sont pas logés à la bonne enseigne. Le ministère des Sports, rue France, ce n’est pas de chance. Et la rue Convention du ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères prête quelque peu à confusion. Quant à imaginer un Saint-Dominique du ministère des Armées, ne rêvons pas, c’est prêcher dans un désert (au hasard, le Sahara occidental).
Ah mais, étourdis que nous sommes, dans cette nomenclature parisienne, nous avons failli oublier un maroquin d’importance : celui de l’Agriculture et de l’Alimentation, sis à l’Hôtel de Villeroy, au numéro 78 rue de Varenne. Et vous savez quoi ? Julien Denormandie vient d’annoncer, dans le JDD du 24 avril, la tenue prochaine d’un « Varenne agricole ». Voilà qui nous sauve la chute de cette chronique. Il faut dire qu’après le tragique épisode de gel, le ministre, soucieux de « revenir à l’essentiel », souhaite à cette occasion « construire un projet agricole national » autour des revenus des agriculteurs, des conflits sur la ressource en eau, et du rôle de ce secteur dans la lutte contre le changement climatique. Bon, on s’étonne quand même un peu. L’était pas encore construit le projet national ? Et puis, sur les revenus, la loi Egalim n’était-elle pas censée tout régler ? Foin de mauvais esprit. Intéressons-nous plutôt à la symbolique de ce « Varenne ». Les esprits moqueurs ne manqueront pas d’y entendre l’écho d’une fameuse fuite rocambolesque à Varennes, qui scella le sort de Louis XVI le 21 juin 1791. Mais ils auront tort. Du moins en partie. Car avec un "s" ou pas, qu’elle soit rue parisienne ou bourgade de la Meuse, la varenne, c’est une variante de "garenne", en clair un terrain où il était défendu de chasser ou de pêcher sans l’autorisation du seigneur. Puis, au fil du temps, des terres non cultivées, le plus souvent boisées, où seul s’ébat le gibier. Dont le lapin, bien entendu. Une garenne qui justement s’étalait jadis en lieu et place de la rue de Varenne, tracée au XVIIe. Le comble pour un ministère de l’Agriculture qui semble ainsi poser la première pierre, ou presque, de l’artificialisation des sols. Oh, allez, il n’est pas le seul. Prenez la rue de Grenelle, histoire de boucler la boucle. Eh bien, dite un temps "Chemin aux vaches" (de quoi faire défaillir ses résidents actuels), elle tire son nom du village vers lequel elle menait, "Garanelle", autrement dit... une garenne, encore et toujours, foi de lapin.