Le vaccin, la vache et ses vices cachés
Difficile d’échapper, par les temps qui courent, aux débats sur le vaccin contre la grippe. Et si les pouvoirs publics peinent à convaincre la population de se faire piquer à tour de bras, les réticences de la population ne sont pas nouvelles. En toile de fond, bien sûr, les controverses sur le vaccin de l’Hépatite B en France (1998), celui sur le ROR en Grande-Bretagne, soupçonné de favoriser l’autisme (1998-2002), puis, plus récemment les soupçons pesant sur le Gardasil (contre le papillomavirus humain) sans oublier la polémique sur le vaccin contre la grippe A(H1N1). Evidemment, il y a aussi aussi les rumeurs les plus folles, dans d’autres pays, sur tel vaccin soupçonné de rendre stérile ou d’inoculer le VIH.
C’est que se faire vacciner n’est peut-être pas un acte aussi naturel qu’il le semble. Se faire inoculer une substance inconnue peut susciter une certaine anxiété. Et en la matière, un détour par l’étymologie du mot vaccin met à jour un véritable cocktail sémantique où interviennent l’animalité, la sexualité et la maladie... Ce qui peut induire, c’est une hypothèse, une certaine répugnance dans l’inconscient collectif à laquelle s’ajoute une ambiance de défiance.
Il n’est bien entendu pas question de contester ici les fantastiques progrès que la vaccination a permis dans la lutte contre le tétanos, la polio, la rage et autres pathologies graves. Mais l’injection d’une substance étrangère, qui plus est préparée à partir de bactéries ou de virus, soulève nécessairement une part d’angoisse, le plus souvent contrebalancée par la peur plus grande encore de contracter la maladie en question.
Mais quand tel n’est pas le cas, et pour peu que l’on recherche l’origine du mot vaccin ainsi que la genèse de cette découverte, s’y trouvent rassemblés les ingrédients classiques qui, chez les humains, favorisent l’angoisse : l’animalité et la sexualité....
Commençons par l’animal. Vaccin est en effet directement issu du latin vaccina, qui signifie « de la vache ». Mais pas une bonne vache rassurante, non. Une bête faiblarde, couverte de pustules aux mamelles. Parce que cette maladie infectieuse touche les bovins, elle a pris le nom de vaccine. Un joli féminin pour désigner ce qui n’est autre qu’une forme atténuée de la variole humaine.
Pour passer de la vaccine au vaccin, il faudra attendre l’intuition d’un médecin anglais de la fin du 18è, Edward Jenner. A l’heure où la variole continue de tuer et de défigurer bon nombre d’individus, et ce aux quatre coins du Monde, Jenner entend dire que, dans les campagnes, les paysannes et paysans en contact avec des vaches atteintes de vaccine ne contractaient pas la variole, mais une maladie bénigne, dite cow-pox. Un phénomène qui conduit Jenner à revisiter le procédé dit de variolisation, pratique pour le moins risquée qui consiste à s’inoculer volontairement du pus prélevé sur un malade atteint d’une forme légère de la maladie, afin de se protéger contre une variole plus sévère. Fort controversée, cette méthode inspirée de la Chine ancienne ou de l’Inde n’avait pas toujours les résultats escomptés...
C’est donc à partir du pus prélevé dans les vésicules que présentaient les mains d’une fermière atteinte de cow-pox que Jenner tentera d’immuniser les humains, à partir de 1796. Et ça marche. Même soumis ensuite à la variolisation, les individus restent indemnes. Dès lors, finie la variolisation, place à la vaccination. Non sans difficultés toutefois. Car à l’origine animale de la substance injectée, s’ajoute une connotation sexuelle, entretenue par la proximité sémantique (mais pas pathologique) de la variole, dite aussi "petite vérole", et de la "grande" vérole, autrement dit de la syphillis. Ainsi, au 19è, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne connaissent-ils une violente campagne contre le vaccin anti-variolique, soupçonné de transmettre... la syphilis.
Rien à voir pourtant, puisque cette dernière est bactérienne, alors que le vaccin et donc la variole, sont de nature virale. Au passage, relevons quand même que le virus, justement, désignait à l’origine, en latin, le venin ou le sperme des animaux !
Certes, peu de personnes ont en tête l’intégralité de cette histoire médicale et étymologique et il paraît évident que les réticences exprimées actuellement en matière de vaccin AH1N1 puisent leur source dans des raisons d’ordre politique, économique et sanitaire. Mais en admettant que la terminologie véhicule des imaginaires dans l’inconscient collectif, avouez que pour s’infliger ce cocktail sémantique de pustules bovines, de maladies vénériennes et d’éjaculations animales, il faut que le jeu en mérite la chandelle. Et en la matière, à tort ou à raison, la grippe peine encore à faire pencher la balance.
Une chronique "Le sens des mots" de Valérie Péan, Mission agrobiosciences, 10 novembre 2009
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