29/09/2004
Lu, vu et entendu.

Le blues des campagnes à Marciac.

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La dixième université d’été de l’innovation rurale de Marciac organisée par la Mission Agrobiosciences et la Communauté de Communes Bastides et Vallons du Gers avait pour thème : Dans le champ des agricultures du monde, quel destin pour les agricultures d’ici ?
Comment les agricultures du monde voient-elles le destin des agricultures d’ici ?
Dans le mouvement des évolutions mondiales, comment parvenir à choisir et maîtriser son propre destin plutôt que de s’en sentir dépossédé ?
Le regard de Stéphane Thépot, journaliste, qui a assisté aux différents échanges de cette université ou une autre façon de rendre compte de ces interrogations.

Simple « potager » aux yeux d’un gros agriculteur américain,
l’agriculture française et ses multiples « terroirs », intraduisibles en
anglais, est pourtant perçue comme une superpuissance par l’ancien
ministre de l’agriculture polonais, « impressionné par les tracteurs »,
de son propre aveu. En marge du festival de jazz de Marciac,
l’agriculture française, ses agriculteurs « d’ici », mais aussi les
consommateurs d’à côté et de nombreux observateurs « parallèles » avaient
rendez-vous « dans le champs des agricultures du monde » pour tenter de
dessiner son destin sous un chapiteau.

Famines paysannes et subventions agricoles

« L’agriculture doit faire vivre l’humanité, mais les agriculteurs
n’arrivent plus à vivre de leurs productions ». Dès l’ouverture de
l’université d’été, Jérôme Sainte Marie a planté le dilemme. Agriculteur
dans les Hautes-Pyrénées, ce membre du groupe local de réflexion de
Marciac dresse un tableau pessimiste de l’agriculture d’ici : « 
autrefois, c’était un mode de vie. Aujourd’hui, c’est devenu un métier
en perte de reconnaissance, dont les revenus sont liés à des aides
aléatoires ». Si les agriculteurs modernes sont pour la plupart les fils
des paysans d’hier, que feront leurs successeurs qui seront de moins en
moins leurs enfants, puisque le modèle de l’agriculture familiale vole
en éclats ? « Le métier d’agriculteur en 2050 n’aura rien à voir avec
celui du passé » pronostiquera Michel Griffon à la fin des débats.
L’agronome du CIRAD assigne un rôle écologique majeur à l’agriculture du
futur. Elle est en effet « la seule industrie de captage du carbone »
dans la lutte contre l’augmentation de l’effet de serre au niveau
planétaire et pourrait prendre le relais des énergies fossiles qui
s’épuisent. Mais en attendant que les agriculteurs deviennent les futurs
« rois du pétrole vert », Michel Griffon rappelle que « 600 millions de
paysans n’arrivent pas à vivre de l’agriculture » dans le monde.
Entre les paysans qui meurent de faim dans les pays du sud et les
agriculteurs du Nord qui s’inquiètent pour leurs subventions, le fossé
est de taille. Les seconds sont-ils les fossoyeurs des premiers ? « 
C’est le Sud qui demande la fin des aides à l’agriculture » souligne
l’économiste Emmanuelle Auriol, qui rappelle qu’un agriculteur européen
reçoit en moyenne 15.000 € d’aides par an alors que son homologue
américain touche 20.000 $. Aux USA, on s’inquiète de l’émergence de
nouveaux concurrents dans l’hémisphère sud, et notamment de la
compétitivité extraordinaire du Brésil. Maïsiculteur dans les Landes
mais aussi au Texas, Georges Cassagne reconnaît qu’il ne peut pas lutter
contre le nouveau géant vert qui pousse sur les terres amazoniennes. « 
Les agriculteurs européens vont avoir le même problème face à la
concurrence des anciens pays de l’Est » prévient l’agriculteur
lando-texan. Le Brésil et l’Ukraine seront-ils les nouveaux « greniers »
du XXIème siècle, seuls capables de nourrir une population mondiale qui
atteindra 9 milliards d’individus en 2050 ?
Il ne faut toutefois pas s’attendre à voir la faim dans le monde
résorbée par l’OMC. « Le marché n’a jamais assuré la sécurité
alimentaire » assène Marcel Mazoyer. Le successeur de René Dumont à
l’institut national d’agronomie de Paris-Grignon souligne que les
échanges sur le marché international, qui ne visent que la demande
réputée solvable, ne concernent que 15% de la production. Dans ces
conditions, « imposer un prix international pour les produits agricoles
est une absurdité libérale » affirme-t-il. Pour Marcel Mazoyer, ni
l’Europe, ni les Etats-Unis ne peuvent s’aligner sur des cours en baisse
constante depuis le XIXème siècle. Il pronostique que les prix agricoles
finiront par remonter au XXIème siècle, « par la force ou par la
négociation ». Mais c’est alors « dans les villes qu’on crèvera de faim
 », prophétise Marcel Mazoyer.

Ethanol ou Parmesan ?

Dépassés par des concurrents venus de l’Ouest, du Sud et bientôt de
l’Est, décontenancés par les consommateurs qui les accusent de polluer,
réclamant toujours plus de sécurité et dépensant toujours moins pour
leur alimentation, les agriculteurs d’ici ne savent plus très bien à
quel saint se vouer. La notion même de « progrès », qui avait accompagné
la modernisation de l’agriculture française au sortir de la deuxième
guerre mondiale, est battue en brèche. Le terme ne fut même pas prononcé
lors de l’université, note l’anthropologue Dominique Desjeux, qui
constate : « aujourd’hui, le destin remplace le progrès ». Alors que la
tendance est désormais moins à attendre des lendemains qui chantent qu’à
regretter le « bon vieux temps passé », l’historien Jean-Luc Mayaud
invite à refaire une « histoire des possibles » pour se demander s’il n’y
avait pas d’autres « virages » à prendre. Ce partisan de la « généaologie
montante » met toutefois en garde contre la vision « mythique » du
paysan, soulignant que si l’on exige aujourd’hui la « multifonctionnalité
 » des agriculteurs, la majorité des éleveurs-cultivateurs étaient déjà
« pluriactifs » au XIXème siècle.
Si les agriculteurs français et européens doivent faire leur deuil de la
vocation prométhéenne et post-coloniale de « nourrir le monde », deux
pistes d’avenir se sont dessinées sous le chapiteau de Marciac : les
produits transformés de qualité d’une part, les « bio-carburants » et les
« biomatériaux » d’autre part. « La destinée de l’agriculture européenne
n’est pas l’exportation de matières premières » insiste Michel Griffon.
Le chercheur du CIRAD estime qu’on n’exportera pas des produits du Gers
vers la Chine, mais que les industries agroalimentaires n’hésiteront pas
à s’y délocaliser. Les excédents agricoles qui contribuent aujourd’hui à
la faillite des agriculteurs du Sud, comme le rappelle l’économiste
Emmanuel Auriol, prendront-ils le chemin des nouvelles distilleries de
bio-carburants ? Aux USA, on recense déjà 88 usines de fabrication
d’éthanol. « Sans elles, l’essence aurait augmenté de 14% », souligne
Georges Cassagne, qui note que ce pays se lance également dans le
bio-diesel à base de soja et dans les plastiques à base de maïs. Ce
qu’il nomme la « bio-économy » constitue à ses yeux une véritable réponse.
A l’inverse des Américains, dont « les valeurs sont basées sur la
quantité » et qui réclament des « big » petits-fours à Lenôtre -selon
l’anecdote croustillante d’Alex Miles- les Européens sont tentés de
jouer la carte des produits de qualité. Pour Bertil Sylvander,
spécialiste à l’INRA des produits bio ou AOC, les producteurs de
produits labellisés sont assimilables à des « créateurs ». De la
haute-couture aux « hautes cultures » ? Il préconise de lutter contre la
banalisation et les produits génériques en créant des marques et des
labels. Un producteur de fromage de Parmesan est venu expliquer son
combat pour inscrire le « Parmigiano » comme une spécialité reconnue afin
d’offrir un débouché viable à des agriculteurs dont le lait ne peut être
compétitif, selon lui, avec celui de leurs voisins de Lombardie, voire
des Allemands ou des Autrichiens. Toute la difficulté est de faire
respecter la notion d’un produit lié à un terroir à l’heure de la
mondialisation. Au risque de tomber dans une « agriculture de clochers »,
comme le note Emmanuelle Auriol à propos du système français des AOC
viticoles, aujourd’hui battu en brêche par le succès des vins de cépages
étrangers.

Stéphane Thépot.

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