21/05/2025
[BorderLine] Sécheresse : comment fixer la ligne de partage des eaux ?
Nature du document: Contributions

Sécheresse : « Parfois la Drôme ne parvient plus jusqu’au Rhône ! »

Elle fait 106 km de long pour un territoire d’environ 50 000 habitants (hors période touristique) et c’est une des dernières rivières sauvages d’Europe. Si la Drôme connaît fréquemment des périodes de sécheresse et de déficit quantitatif, elle bénéficie également d’une longue expérience de concertation des usagers, faisant de son bassin versant (1600 km2) un territoire pilote.

Entretien avec David Arnaud, à la tête du Syndicat Mixte Rivière Drôme (SMRD), lequel porte le Schéma d’Aménagement et de Gestion de l’Eau (SAGE) de cet affluent du Rhône. Dans le cadre de l’appel à contributions lancé par la Mission Agrobiosciences-INRAE et le Quai des savoirs pour la rencontre-débat du 19 juin 2025 « Sécheresse : comment fixer la ligne de partage des eaux ? »

Propos recueillis et mis en forme par Valérie Péan, Mission Agrobiosciences

Qu’avez-vous mis en place pour gérer et anticiper la raréfaction de la ressource en eau au niveau de la Drôme ?

David Arnaud : Ce territoire a été le premier en France à adopter un Schéma d’Aménagement et de Gestion de l’Eau (SAGE), dès 1997, en réponse aux sécheresses successives que nous connaissions déjà à l’époque. Des phénomènes qui s’accentuent, avec des épisodes en 2021, 22 et 23 qui nous ont secoués. C’est parfois au point que la Drôme ne parvient plus jusqu’au Rhône ! Il s’agit d’un cours d’eau, voire d’un torrent de type méditerranéen, avec un très fort charriage, donc beaucoup de matériaux en fond de rivière qui, conjugués aux faibles débits, amènent à des assecs en été. Des phénomènes naturels aggravés par les prélèvements en amont, agriculture en tête, suivie de l’eau potable et des industries. Dès l’origine, des mesures fortes ont ainsi été prises, comme le gel des surfaces irriguées.

Le Sage a ensuite été révisé en 2013 pour intégrer les évolutions réglementaires et les connaissances produites entretemps. Pour ce faire, l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse a demandé que nous menions une des premières études des volumes prélevables, car nous sommes dans un bassin structurellement déficitaire. Un déficit qui, pour la Drôme, nécessitait une réduction de tous les prélèvements de 15% pour atteindre l’équilibre. Face à cela, un Plan de Gestion des Ressources en Eau (PGRE) a été élaboré, pour la période 2014 à nos jours. Si le bilan a été assez mitigé au début, on relève aujourd’hui des résultats positifs avec des tendances à la baisse des prélèvements en eau potable. Côté agriculture, les investissements structurants engagés dès 2017, pour réaliser des interconnexions et des substitutions d’une partie des prélèvements depuis le Rhône ont aussi porté leur fruit. Mais ce n’est pas suffisant et une deuxième révision du Sage a été lancée en parallèle.

C’est à cette période que vous avez lancé une étude prospective, Sage Drôme 2050, pour intégrer l’impact du changement climatique…

Oui, il s’agissait d’en appréhender l’ampleur : une baisse de débits des cours d’eau de l’ordre de -25 à -30%. C’est énorme et cela va devenir très compliqué à gérer. On a réuni 150 à 200 acteurs socio-économiques pour partager ces ordres de grandeur et le diagnostic, pour définir collectivement des solutions. Cela a été très structurant pour construire le SAGE de manière à s’adapter au changement climatique, puis élaborer un projet de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) permettant de déterminer collectivement le programme d’actions à mettre en œuvre. Cela n’a pas été chose facile, en raison des incertitudes sur la hauteur de la marche à franchir ensemble et les moyens d’y arriver. Car ce sont là des projections et non des prévisions.

L’autre difficulté a été d’amener les agriculteurs, et les autres acteurs, à mettre en œuvre les quatre axes de notre action : en premier lieu la sobriété, la résilience, le partage et, tout au bout, le stockage et la sécurisation. Car ces axes sont interdépendants et il ne s’agit pas de choisir l’un ou l’autre. Ainsi, face à un projet en cours de réserve de substitution, nous avons encore le plus grand mal à rendre concrets les principes de sobriété et de résilience, sachant que les injonctions au niveau national sont plutôt d’assouplir les normes et les contraintes de la politique agricole… Sans parler de définir un cadre aux conditions de remplissage en périodes de hautes eaux, qui constitue pourtant une attente issue de la concertation : nous ne disposons pas aujourd’hui du matériau scientifique pour avancer techniquement sur ce sujet sensible.

Comment parvenir à sensibiliser la population face au nombre de résidences secondaires et de touristes qui ne sont que de passage ou présents par intermittences ?

D’abord, la politique d’urbanisme prend en compte l’enjeu des ressources en eau. Comment accueillir de nouvelles populations sans mettre en péril la ressource, sachant que nous sommes déjà au-dessus des volumes prélevables ? Il s’agit dès lors de guider l’aménagement du territoire grâce aux indicateurs que nous produisons.

Par ailleurs, nous avons lancé en 2023 un programme pour les économies d’eau, EcoDrôme, qui vise plusieurs grandes cibles : les acteurs de l’urbanisme et la gestion de l’eau potable dans les collectivités, les professionnels du bâtiment, de l’agriculture et des espaces verts, et les acteurs du tourisme. Cela fonctionne plutôt bien pour diffuser les bonnes pratiques. Nos élus mouillent beaucoup la chemise sur ce point à l’échelle de leur commune, y compris auprès des résidences secondaires. Cela passe aussi par des stands sur des marchés pour capter ces publics saisonniers. C’est un travail de longue haleine.

Votre point fort, c’est donc la concertation ?

Sans conteste et ce de longue date, et cela a permis de développer une culture de l’écoute et du dialogue. Souvent, des élus nous disent : « on a deux oreilles et une bouche, c’est pour écouter deux fois plus qu’on ne parle. » Pour favoriser l’implication des citoyens et construire le diagnostic, nous avons bénéficié d’un projet européen d’Inrae, concernant la « planification stratégique des écosystèmes des rivières alpines » (SPARE), de 2016 à 2018.

Une centaine d’actions concrètes ont ainsi été recueillies auprès des habitants en amont de la révision du SAGE. Inrae travaille encore aujourd’hui à nos côtés sur la recomposition de la gouvernance de l’eau face aux défis du changement climatique en observant les dynamiques de concertation au sein du territoire et ce qu’il se passe au niveau de la société civile. C’est très utile car souvent, notre langage technique est aride. Et il n’est pas toujours simple de parler de volumes prélevables. Ce langage arithmétique heurte les logiques de projets de territoire. Entre les registres réglementaire et politiques, il y a des crispations. Trouver le point d’équilibre est délicat.


Rendez-vous le jeudi 19 juin 2025, de 18h00 à 20H00,
Agora du Quai des Savoirs (39 All. Jules Guesde, 31000 Toulouse).
Gratuit et ouvert à tous les publics sur inscription (recommandée)

S’INSCRIRE : [https://sondages.inrae.fr/index.php/122399?lang=fr]


APPEL A CONTRIBUTIONS
A l’heure du changement climatique et face à la raréfaction de la ressource en eau, de plus en plus de collectifs tentent de (re)définir un partage équitable et démocratique de l’eau. C’est votre cas ? Alors participez à notre appel à contributions. Ouvert à tous les acteurs - institutionnels, associatifs, chercheurs, syndicats, élus – et toutes les paroles, celui-ci a pour objectif de recueillir différents retours d’expérience en la matière, pour mieux préparer l’animation de la rencontre.

Pour partager votre expérience, répondez à ces trois questions
* Pourriez-vous présenter brièvement votre initiative ?
* Quel a en été le déclencheur ?
* Quels en sont, selon vous, ses atouts et ses faiblesses ?

Envoyez-nous vos contributions d’ici le 11 juin 2025 en une page et demi maximum (6000 signes max) à mission-agrobiosciences[arobase]inrae.fr .
Après validation, celle-ci sera publiée sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences-INRAE.

Entretien avec David Arnaud, à la tête du Syndicat Mixte Rivière Drôme

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Rejoignez-nous lors du prochain débat, le jeudi 19 juin à 18h, sur la gouvernance de l’eau.

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