02/06/2025
Revue de presse du 2 juin 2025
Nature du document: Revue de presse
Mots-clés: Eau , Elevage , Nature , Représentations

Comté : pourquoi en faire tout un fromage ?

Vingt Dieux, quelle polémique ! L’appel implicite au boycott du comté par un chroniqueur de France Inter, habitué à rompre des lances avec les chasseurs sur la question du loup, a mis la France entière... la tête à l’envers.

« Un très bon fromage sur le plan gustatif, mais un mauvais produit sur le plan écologique », lâchait Pierre Rigaux le 24 avril dernier dans sa chronique de l’émission La Terre au carré. Le jugement sans appel de ce naturaliste présenté comme « militant » a « mis le Jura en ébullition », constate le quotidien gratuit 20 Minutes. Le préfet du département s’est même fendu d’une réaction sur le réseau social X (ex-Twitter) d’Elon Musk, rapporte Jérôme Gicquel, journaliste basé... en Bretagne.

« Mon intention n’était pas d’appeler à l’interdiction du comté. Il s’agissait d’alerter sur les impacts écologiques et éthiques de nos pratiques alimentaires », se défend Pierre Rigaux dans Le Monde. Cet ancien salarié de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) a fondé sa propre ONG et milite activement pour la cause animale et contre la chasse, expose Zineb Dryef. La journaliste du Monde explique que le chroniqueur de France Inter « se dit « dépassé » par la médiatisation d’un sujet « en passe de devenir le nouveau totem antiécolo et de rejoindre le " barbecue masculiniste" de Sandrine Rousseau ».

Quand c’est flou, c’est qu’il y a la Loue

Sur place pourtant, la presse locale semble plus mesurée. La journaliste Eleonore Tournier décortique très bien dans l’Est Républicain comment la machine « politico-médiatique » s’est emballée lorsque le Figaro Magazine a repris au vol la chronique de France Inter, quelques jours plus tard, pour accuser « les Khmers Verts » de vouloir « interdire » le comté. « Pierre Rigaux met le doigt sur un vrai problème, mais apporte de mauvaises solutions », réagit le collectif SOS Loue et Rivières Comtoises dans les colonnes du quotidien régional. La Loue est une rivière de Franche-comté qui traverse les départements du Doubs et du Jura et qui « symbolise depuis plusieurs années les ravages de la pollution sur les cours d’eau », expose La Voix du Jura. L’hebdomadaire local relève que cette vive polémique donne une autre image au « fromage star » que le film Vingt Dieux, couronné par deux Césars au début de l’année.

A Besançon, l’éditorialiste d’Hebdo25 renvoie dos à dos « le récit simpliste » de Pierre Rigaud et celui du Figaro. « En relayant des mensonges au nom de la défense de notre terroir, certaines personnalités incarnent une réelle faillite collective et un profond déni de la réalité », déplore Martin Saussard. « Cette polémique instille le poison du ’’nous’’ contre ’’eux les écolos’’... Ça rend nos discussions difficiles en coopérative », regrette un producteur de fromage qui témoigne dans le journal en ligne Basta après avoir été sollicité à réagir sur la chaîne de télévision Cnews.

« Agribashing » contre « greenwashing »

La télévision régionale a longuement rencontré le garde-pêche devenu « lanceur d’alerte » qui s’inquiète depuis des années de la disparition des truites de la Loue. « Les raisons sont multifactorielles, mais les études scientifiques montrent que cette pollution est d’abord d’origine agricole », expose Jean-Marc Bertacchi devant la caméra de France3. Avec le collectif SOS Loue, le garde-pêche a finalement organisé une manifestation qui a réuni plus de 700 personnes dans le département voisin du Doubs le 22 mars dernier. Une journaliste de Reporterre s’est rendu sur place pour un reportage en amont de ce rassemblement. Un militant du collectif y compare la situation aux déjections des élevages alimentant les algues vertes en Bretagne. Patrice Malavaux cible l’épandage des citernes à lisier à la fin de l’hiver sur le sol karstique des plateaux jurassiques. « Le fumier, composé aussi de paille, absorbe les excréments des vaches, ce n’est pas le cas du lisier qui demande beaucoup moins de travail aux agriculteurs », explique le militant de SOS Loue, également garde-pêche. L’association a été accusée par un ancien préfet de faire de « l’agribashing », rapporte l’envoyée spéciale de Reporterre.

« On tire toujours sur nous, mais il y a aussi les industriels, les fromageries, les habitants », se défend un éleveur dans Libération. Un représentant de la filière a accepté de recevoir la journaliste du quotidien national. « Le nouveau cahier des charges qui s’appliquera prochainement est un des plus restrictif en Europe », assure le directeur du Comité interprofessionnel de gestion du comté. Valéry Elisseeff annonce une interdiction d’épandage avant la sortie de l’hiver et une réduction des quantités de lisier autorisées.

Le collectif SOS Loue dénonce de son côté le « greenwashing autour du nouveau cahier des charges du comté », rapporte Eleanore Tournier dans L’Est Républicain. « Il y a quelques petites améliorations, mais ça ne suffit pas... Depuis 15 ans, on dénonce tout ça sans que ça avance, car il y a trop d’enjeux économiques », réagit Philippe Koeberlé, membre du collectif. Les militants associatifs locaux estiment que la région produit plus de lait que les sols ne peuvent le supporter. Il plaide pour une limitation des volumes compensée par une augmentation du prix du lait versé aux éleveurs...ou une extension de la zone d’appellation du comté AOP.

Cette polémique bien française relève d’une « forme de chauvinisme stupide, voire dangereux », considère depuis Bruxelles un grand quotidien flamand repris par Courrier International. Le scénariste et chroniqueur Raf Njotea recommande dans les colonnes de De Standaard d’éviter « de jeter de l’huile sur le feu ». « Parce qu’une fois qu’une controverse est déclenchée, elle risque de se politiser. Et de diviser ».


Pour aller plus loin sur le sujet des appellations d’origine, lire le dossier sur le site de la revue Sesame :AOP : l’origine fait-elle encore recette ? (mai 2025)


Par Stéphane Thépot, journaliste
Mot-clé Nature du document
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