Loup en Europe : la fin du conte ?

La semaine dernière, les États de la convention de Berne ont voté en faveur de la dégradation du niveau de protection du loup dans l’Union européenne. Une décision inédite, révélatrice de la trajectoire actuelle des politiques agricoles européennes. Revue de presse du 16 décembre 2024.
Quelle sera la place du loup dans les forêts d’Europe ? Le 3 décembre dernier, les cinquante Etats membres de la convention de Berne (traité de référence pour la protection de la faune et la flore en Europe) ont voté en faveur d’un abaissement du niveau de protection du canidé. Seuls cinq pays - la Bosnie-Herzégovine, l’Albanie, Monaco, le Monténégro et le Royaume-Uni – s’y sont opposés, tandis que la Tunisie et la Turquie se sont abstenues.
Par cette décision, le comité a validé une proposition de loi de l’Union européenne du 25 septembre, qui visait à « éliminer plus facilement les loups quand ils sont jugés trop nombreux dans certaines régions », rapporte Sciences et avenir.
Dans les faits, que faut-il attendre de cette modification ? Dans un article du 3 décembre, Le Monde détaille les étapes à venir : pour entrer en vigueur dans les pays de l’UE, la décision (qui prendra effet dans trois mois) doit d’abord être inscrite dans la directive européenne « Habitats » qui met en œuvre les exigences du traité. Cette démarche aura ensuite pour effet d’abaisser le statut de protection du loup de « strictement protégé » à « espèce protégée » et ce « pour les [pays] qui n’ont pas formulé d’objections », d’après le Conseil européen. Concrètement, alors que toute mise à mort intentionnelle d’un loup est aujourd’hui interdite (hors raison très précises, dont des dommages importants aux élevages), il sera désormais autorisé d’en éliminer, dans la mesure où cela reste « compatible avec leur maintien dans un état de conservation favorable ». Une notion qui est loin d’être clairement définie, comme le rappelle Guillaume Chapron, chercheur à l’Université suédoise des sciences agricoles et membre du groupe de spécialistes de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), dans Le Monde : « Tout reposera sur l’interprétation qui sera faite du statut de conservation favorable. »
En attendant, certains États ont déjà annoncé qu’ils comptaient diminuer les effectifs de Canis lupus sur leur territoire. C’est le cas de la Suède, qui entend passer de 375 à 170 individus.
Quand on parle du loup…
« C’est l’aboutissement de plus d’un an de crises agricoles à répétition et de pressions intenses exercées par les organisations professionnelles agricoles, les États membres de l’Union européenne et la présidente de la Commission européenne elle-même. », analyse le media en ligne Reporterre. Il faut dire qu’en septembre 2022, Ursula von der Leyen avait vu l’un de ses poneys tué par un loup. Deux mois plus tard, Euractiv révélait que la région de Hanovre (Allemagne) avait délivré un permis de chasse pour l’individu en question. L’année suivante, la présidente de la Commission déclarait que « la concentration de meutes de loups dans certaines régions d’Europe est devenue un véritable danger pour le bétail et, potentiellement, pour l’Homme », avant de déposer une proposition de révision de la Convention de Berne le 20 décembre 2023.
Dans cette chasse au loup de l’année écoulée, la Commission est loin d’être la seule à avoir sorti les fusils : dans la foulée de la proposition européenne, l’Etat français publiait son « Plan National d’Actions sur le loup », qui proposait également le déclassement de l’animal. De quoi satisfaire le secteur agricole, dont la colère contre le canidé faisait partie des revendications portées par les dernières manifestations. En octobre dernier, Reporterre rapportait les propos du président de la chambre d’agriculture de la Haute-Saône : « J’enjoins les éleveurs à protéger vous-mêmes (sic) vos biens, à sortir armés et à taper un loup si vous en voyez un ! », alors que tuer un loup sans dérogation reste « passible de trois ans d’emprisonnement et 150 000€ d’amende ».
« C’est un nouveau grand pas de franchi »
Au lendemain de la décision de la Convention de Berne, le secteur ovin se réjouit. « C’est une véritable reconnaissance pour l’élevage en général qui est de plus en plus touché par la prédation » se félicite Claude Font, secrétaire général de la Fédération Nationale Ovine (FNO) dans les pages de l’Allier agricole. Pour Bernard Mogenet, le responsable loup de la FNSEA, « c’est un nouveau grand pas de franchi. Un pas qui va dans le bon sens. La mobilisation sans relâche du réseau Jeunes agriculteurs, FNSEA et ses associations spécialisées paie ».
De l’autre côté de la barrière, la colère monte : dans un communiqué commun du 4 décembre, les organisations de protection de la nature siégeant au Groupe National Loup (GNL) - FNE, ASPAS, Ferus, Humanité & Biodiversité, LPO et WWF - déplorent « un non-sens qui montre que la parole scientifique n’est pas écoutée et que nos dirigeants, loin de choisir des solutions efficaces sur le long terme, préfèrent céder à la démagogie. » Plus de 205 000 Français et 320 000 Européens avaient signé deux pétitions à l’encontre du déclassement.
L’UICN, quant à elle, « regrette la décision annoncée cette semaine, qui n’apparaît pas fondée sur l’état actuel des connaissances scientifiques disponibles » dans un communiqué. L’année dernière, l’organisation rappelait dans une note que « les effets des mesures létales sont hautement variables d’une situation à l’autre et que les effets des tirs dépendent fortement du contexte local : s’ils peuvent être efficaces pour réduire la prédation dans certains cas, ils peuvent également se révéler inefficaces, voire augmenter les niveaux de prédation dans d’autres cas ». Dans Vert le media, Nathan Horrenberger, chargé de mission à l’association Humanité et biodiversité, juge que la mesure « ne va pas aider à résoudre les difficultés du monde de l’élevage, parce que ça fait des années qu’on tire des loups dans les pays européens, 20% disparaissent chaque année en France, et ça ne porte pas ses fruits ».
Faut-il vraiment crier au loup ?
Alors, que penser de l’efficacité de la mesure ? D’abord, il est vrai que le canidé a fait son grand retour sur les terres européennes ces dernières décennies. Quasiment disparue de l’Ouest du continent au début du 20e siècle, la population est passée de 360 à 1 104 entre 2017 et 2023 en France. Et cela, sans que l’animal n’ait jamais été « réintroduit » insiste Life Wolfalps EU : « les loups ont réussi à recoloniser, à partir des années 1970 et au fil de nombreuses générations, les territoires alpins dont ils avaient été éradiqués ». Il y a six ans, l’espèce a même fait son retour aux Pays-Bas, après 150 ans d’absence, rapportait Courrier international en septembre dernier. Et sa présence a des conséquences indéniables sur les élevages : selon les dernières données disponibles, les loups tueraient au moins 65 500 têtes de bétail chaque année dans l’UE, (Réussir le 3 décembre dernier). Pour autant, les accidents ne semblent pas augmenter proportionnellement au nombre de canidés : en dépit de l’augmentation de la population, « les dommages sont restés stables, autour de 11 000 et 12 000 animaux d’élevage attaqués chaque année », affirme Nathan Horrenberger dans Reporterre.
Dans le même temps, on lit dans Le Monde que l’efficacité des abattages ciblés sur la réduction des dommages n’a jamais été démontrée. Dans Le Figaro, Yann Laurans, responsable du pôle biodiversité terrestre du WWF-France et ancien directeur du programme Biodiversité et écosystèmes de l’Iddri, juge qu’« en affaiblissant l’espèce qui est le sommet du système écologique européen, on risque de fragiliser l’ensemble de la santé, déjà assez peu robuste, de l’écosystème ». En 2023, la Commission européenne elle-même publiait les résultats d’une étude établissant que 0,065% du cheptel ovin de l’Union était prédaté par le loup chaque année et que, dans le même temps, l’espèce n’avait atteint un état favorable que dans l’une des sept régions biogéographiques de l’UE. « La meilleure façon de réduire les pertes de bétail après la recolonisation des loups est d’appliquer des mesures de prévention de la déprédation par les loups. » pouvait-on lire dans le document.
Et demain, l’ours ?
Au-delà des préoccupations propres au canidé, les défenseurs de la biodiversité s’inquiètent : cette révision pourrait être le début d’un large mouvement de relâchement dans la préservation des espèces protégées. À commencer par l’ours, responsable de la mort de 552 animaux domestiqués en 2023, d’après l’OFB. La semaine dernière, Euractiv révélait que le groupe politique européen de centre droit PPE souhaite réviser le statut de protection de l’ours et d’autres espèces, parallèlement au déclassement de la protection du loup. Le media européen a pu consulter un document interne du parti ayant pour objet des propositions en ce sens, visant les travaux de la Commission pour 2025, notamment « des changements dans les directives européennes Habitats et Oiseaux. »
En Suède, l’autorisation de chasse du grand mammifère vient d’être élevée à 500 individus, soit 20 % des effectifs nationaux. Un véritable « retour en arrière pour le pays nordique qui avait chassé le prédateur jusqu’à sa quasi-extinction dans les années 1920 », lit-on sur le site du Huffington Post. Dans les Pyrénées, on compte une centaine d’individus. Et eux, contrairement aux loups, y ont bel-et-bien été réintroduits.
- Les membres de la Convention de Berne approuvent la baisse de protection du loup Sciences et Avenir, 6 décembre 2024.
- Le Comité permanent de la Convention de Berne approuve la proposition de l’UE de modifier la protection du loup Conseil de l’Europe, 03 décembre 2024.
- Le loup perd son statut d’espèce « strictement protégée » au sein de la convention de Berne Le Monde, 03 décembre 2024.
- Le loup ne sera plus autant protégé en Europe Reporterre, 04 décembre 2024.
- Wolf that killed von der Leyen’s pony to be shot Euractiv, 09 décembre 2022.
- Loups en Europe : La Commission invite les autorités locales à utiliser pleinement les dérogations existantes et recueille des données en vue de l’examen de leur état de conservation Commission européenne, 04 septembre 2023.
- Plan National d’Actions 2024-2029. Loup et activités d’élevage
- Un président de chambre d’agriculture appelle les éleveurs à tuer des loups Reporterre, 8 octobre 2024.
- La Convention de Berne approuve le déclassement du loup Réussir, 04 décembre 2024.
- Déclassement du loup : un choix démagogique qui n’apporte aucune solution ! Ferus, 04 décembre 2024.
- Déclassement du loup : un choix démagogique qui n’apporte aucune solution Communiqué de presse de la LPO, 03 décembre 2024.
- Avis sur la proposition de modification du statut de protection du loup en Europe UICN, 06 décembre 2024. ET sa NOTE
- Les loups moins protégés en Europe : il sera bientôt plus facile « de tirer et de tuer » le canidé Vert, 03 décembre 2024.
- « Non, le loup n’a pas été réintroduit » Life Wolfalps EU
- https://www.courrierinternational.com/article/debat-les-pays-bas-vont-devoir-apprendre-a-vivre-avec-le-loup_221773 Courrier International, 04 septembre 2024.
- Loup : la Convention de Berne valide la baisse de son statut de protection Réussir, 03 décembre 2024.
- L’avenir du loup est-il menacé en Europe ? Le Figaro, 03 décembre 2024.
- The situation of the wolf (canis lupus) in the European union Union européenne, 2023.
- Rapport de l’OFB sur l’ours
- Après les loups, le PPE veut s’attaquer au statut de protection des ours Euractiv, 06 décembre 2024.
- En Suède, des ours bruns seront tués lors de la chasse annuelle, les défenseurs des animaux s’insurgent Huffington Post, 28 août 2024.