23/05/2023
Arrivée du chacal en France
Nature du document: Entretiens

Dans l’ombre du loup, le chacal doré

Si le loup et le renard sont des prédateurs qu’on ne présente plus, il en est un autre, méconnu, qui pointe le bout de son museau. A cheval entre les deux espèces, le chacal doré (Canis aureus) s’invite en France. Un nouvel hôte qui fascine autant qu’il interroge. Proche du renard dans la taille de son territoire et dans son régime alimentaire, il partage également l’extraordinaire capacité de mouvement du loup et son caractère social. D’où arrive-t-il ? Quelles sont les causes de son expansion ? Quels impacts sur nos écosystèmes ? Doit-on s’en inquiéter ? Sont autant de questions que la Mission Agrobiosciences-INRAE a posées à Nathan Ranc, écologue au CEFS-INRAE et expert européen du chacal doré.

Nathan Ranc a réalisé une thèse à l’Université d’Harvard aux Etats-Unis, en partenariat avec la fondation italienne Edmund Mach, sur le comportement animal. Il s’est particulièrement intéressé au rôle de la mémoire dans le mouvement et la formation des domaines vitaux [Ndlr : lieux de vie qui concentrent les activités des individus au cours de leur vie] chez la faune sauvage. Il a poursuivi son parcours par un post-doctorat à l’Université de Californie sur l’écologie du mouvement du puma. En janvier 2022, il intègre INRAE au sein de l’unité Comportement et Ecologie de la Faune Sauvage (CEFS), où il continue d’étudier le mouvement des grands mammifères sauvages et ses aspects cognitifs.
Pour ce passionné de nature, son séjour dans l’Est de l’Italie et ses visites dans les Balkans ont été l’occasion de découvrir le chacal doré qui y est très présent. Dans les années 2010, il se rapproche d’autres chercheurs et commence à travailler sur cette espèce peu étudiée et en expansion. Cela avec l’intime conviction que si le chacal était en train d’étendre son aire de distribution [Ndlr : elle représente la zone géographique où l’espèce est présente], un jour ou l’autre, il allait arriver en Europe centrale… et éventuellement en France. Une juste prémonition. Il en a fait aujourd’hui une question de recherche centrale dans ses projets. Dans ce contexte, il étudie les causes de son expansion - et notamment le rôle du déclin historique du loup comme facteur déclencheur - ainsi que les conséquences biologiques de l’arrivée du chacal.
Son expertise lui vaut d’être membre de plusieurs conseils scientifiques. Notamment ceux du Plan National d’Action (PNA) sur les loups et les activités d’élevages et du Parc national des Pyrénées. Il est également vice-président du comité Large Carnivore Initiative for Europe et membre du Canids Specialist Group, pour lesquels il participe à l’évaluation du statut de conservation des grands carnivores européens.

En 2022, un chacal doré a été aperçu dans le Finistère grâce à un piège photo. Le cliché a été posté sur les réseaux sociaux et a suscité des interrogations. D’aucuns l’ont pris pour un loup, d’autres pour un renard. Vous avez averti qu’il s’agissait en réalité d’un chacal doré. Était-ce la première fois qu’il a été aperçu en France ?

Nathan Ranc : Non, ce n’était pas la première fois. La première donnée qui atteste de sa présence en France date de décembre 2016. C’était un individu établi dans le Chablais, en Haute-Savoie, qui a été repéré régulièrement pendant plusieurs années dans la même zone. Aujourd’hui, il semblerait qu’il ait disparu de ce territoire. Par ailleurs, nous avons eu une donnée dans les Alpes-Maritimes, trois dans les Bouches-du-Rhône, une dans l’Essonne et une dans le Finistère l’année dernière. À cela s’ajoute une petite récurrence dans les Deux-Sèvres, où nous avons quatre informations, réparties sur deux ou trois ans, qui attestent de sa présence. Il pourrait s’agir d’un individu établi, comme précédemment en Haute-Savoie. Tout compte fait, nous disposons d’une quinzaine de signalements en France, avec une accélération sur les dernières années.
Les recensements sont typiquement effectués par des réseaux de professionnels tels que ceux de l’Office Français de la Biodiversité (OFB), des parcs nationaux, des fédérations de chasse, des associations de protection de la nature. Les informations sont ensuite centralisées et filtrées par l’OFB. Pour ma part, j’interviens dans la validation de l’identification de l’espèce à l’échelle nationale et travaille de concert avec l’OFB. Pour l’anecdote, la donnée du Finistère a une tout autre histoire, puisque j’ai été alerté via les réseaux sociaux.

C’est pourtant une espèce originaire de l’Europe du Sud-Est… Connait-on son expansion à l’échelle européenne ? Comment se fait-il qu’elle arrive en France ?

C’est une espèce qui est aujourd’hui en train de coloniser progressivement toute l’Europe, depuis un foyer d’origine situé dans les Balkans. Les populations de chacals y sont arrivées à capacité - c’est-à-dire qu’il n’y a plus d’espace disponible dans ces zones de présence historique - notamment en Bulgarie. Notons que les jeunes individus s’éloignent de la meute avec laquelle ils vivent, en quête de nouveaux territoires disponibles et de partenaires. C’est ce qu’on appelle le processus de dispersion. Il faut s’imaginer qu’en Europe on estime la population de chacals doré entre cent mille et cent cinquante mille individus. Chaque année, plusieurs dizaines de milliers partent alors probablement en dispersion. La majorité de ces jeunes chacals s’arrêtent à quelques kilomètres de leur lieu de naissance, d’autres en revanche sont des grands voyageurs.

"Que leurs déplacements soit d’échelle locale, régionale ou continentale, les jeunes chacals en dispersion représentent le moteur de l’expansion de l’espèce en Europe."

Actuellement, nous connaissons une expansion massive en Europe centrale, en particulier en Hongrie, ainsi qu’une dynamique d’accélération en Autriche, en Slovaquie, en Slovénie et en Italie. Il y a beaucoup de terres favorables à l’installation des individus en dispersion. Cependant, avec l’éloignement du front de colonisation, les partenaires se font plus rares et les opportunités de former des groupes reproducteurs diminuent. Bien que rares, nous avons noté certains cas de reproductions très éloignées des zones à forte densité. C’est le cas en Pologne, en Allemagne avec au moins deux groupes reproducteurs, ainsi qu’en République Tchèque. Plus au Nord, un noyau dynamique s’est même formé en Estonie. Parmi ces jeunes chacals, certains sont de très grands disperseurs [Ndlr : les individus qui parcourent le plus de distance pour coloniser de nouveaux territoires] et sont enregistrés à travers tout le continent : en Finlande, en Norvège, aux Pays-Bas, au Danemark, en France et, tout récemment, en Espagne.

"Dans ce contexte, il est prévisible que nous connaissions une accélération du nombre d’individus en dispersion recensés en France avec, probablement, de premières reproductions."

Outre la saturation des espaces disponibles dans son territoire d’origine, existe-t-il d’autres causes à son expansion ? L’action humaine a-t-elle son importance ?

Tout d’abord, il est important de noter que le chacal doré est une espèce qui est native en Europe. Certes, elle colonise de nouveaux territoires inexplorés. Mais cela ne fait pas d’elle une espèce exotique, car elle vient par ses propres moyens. Autrement dit, elle n’est pas transportée par l’Homme. Il est primordial de faire la distinction entre les espèces exotiques envahissantes et les espèces natives qui étendent leur aire de distribution en réponse à des changements globaux. D’après les multiples hypothèses suggérées pour expliquer l’expansion du chacal doré, il semblerait que le rôle de la persécution historique des populations de loups durant le siècle dernier soit la plus cohérente avec les données dont on dispose. Les populations de loups étaient initialement denses et continues dans les Balkans. L’espèce étant compétitivement dominante, les chacals dorés étaient limités dans de petites zones géographiques côtières du Sud-Est de l’Europe. Son expansion importante est concomitante avec les politiques fortes de réduction des populations de loups via des tirs et des empoisonnements à grande échelle associés à des primes. Ces pratiques ayant cessé, on observe désormais un retour du loup à travers l’Europe. Mais cela n’est pas suffisant pour restaurer l’équilibre initial entre loup et chacal. En effet, les loups restent essentiellement cantonnés dans les massifs montagneux, souvent loin des habitats de plaine qui sont les plus favorables au chacal doré.
En plus du rôle du loup, les modifications importantes des habitats - avec par exemple une fragmentation historique des zones forestières au profit des terres agricoles – ont créé les conditions favorables au développement de populations de chacals. Ces derniers affectionnent tout particulièrement les paysages agricoles hétérogènes, où les loups sont généralement absents.

" On a donc fait de l’Europe un continent idéal pour le chacal ! "

Doit-on entendre par là qu’il n’y a pas de retour en arrière possible ? Allons-nous vivre dans un territoire à chacal ?

Il y a eu un effet papillon – avec les persécutions du loup au siècle dernier – dont on voit la manifestation aujourd’hui. Ce bouleversement a entraîné une série de conséquences que nous mesurons à peine aujourd’hui et qui vont s’accélérer. La dynamique du chacal doré est actuellement si forte qu’il parait peu probable que son expansion ralentisse voire se résorbe. Tout semble indiquer que le chacal fera durablement partie de la majorité des écosystèmes européens. Pour l’heure, l’espèce reste rare en France, parce qu’occupée seulement par des supers disperseurs. Cependant, nous pouvons anticiper le développement de populations dans un futur proche et nous attendre à une influence sur les communautés animales.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur l’impact écologique de cet animal ?

Le chacal doré est généralement présent en densité relativement forte et joue probablement un rôle important dans les communautés animales et le fonctionnement des écosystèmes. Nous manquons cruellement d’études à ce sujet mais nous sommes en mesure de faire des suppositions. Il est probable qu’une clé majeure dans la compréhension de son influence sur les écosystèmes réside dans sa relation avec le renard. Les deux espèces occupent des niches écologiques similaires, avec notamment une forte ressemblance dans leur régime alimentaire. Diversifié, il est composé principalement de micromammifères, mais aussi de charognes et de fruits. De par sa taille et son comportement social, le chacal est très probablement un compétiteur dominant capable de limiter le renard. Ce dernier est aujourd’hui une espèce centrale dans les socio-écosystèmes ruraux, au cœur de beaucoup de relations interspécifiques. L’interaction entre chacals et renards pourrait engendrer des dynamiques surprenantes du fait des effets indirects. Par exemple, ces deux canidés peuvent consommer des lièvres. Si les renards en sont les principaux prédateurs et si les populations de renards sont négativement impactées par le chacal, il est ainsi possible que l’arrivée du chacal doré représente un bénéfice net pour sa proie, le lièvre. Malgré des impacts importants sur les communautés animales à anticiper, les données récoltées en Europe centrale indiquent que l’arrivée du chacal doré ne devrait pas menacer l’état de conservation des espèces présentes.

À l’instar du loup, faut-il s’attendre à de la prédation sur les troupeaux ? Doit-on s’en inquiéter ?

Difficile de formuler des prédictions sur l’impact du chacal sur les activités humaines tant son écologie reste méconnue. A priori, c’est une espèce qui est physiquement capable de s’attaquer aux troupeaux domestiques en l’absence de mesures préventives. Cependant, les expériences en Europe Centrale ne semblent pas indiquer que cela soit un enjeu majeur. Il faut rester très prudent avec ce parallèle, chaque système d’élevage a des caractéristiques propres qui influencent sa vulnérabilité à la prédation.

"En d’autres termes, c’est une problématique territorialisée et dépendante du système d’élevage."

Propos recueillis par Bastien Dailloux, Mission Agrobiosciences-INRAE, le 14 mai 2023.

Si le chacal doré était…
Un animal : il serait bien sûr un chacal doré ! Physiquement proche du loup pour sa carrure, il a une queue tombante et un manteau doré.
Une saison : on peut penser à l’été, période durant laquelle il est le plus actif et où son pelage doré se fond parfaitement dans les teintes de la nature environnante. Il pourrait aussi être le printemps, car c’est la saison où les femelles mettent bas.
Un lieu : imaginons un terrier ou un abri aménagé, car c’est l’endroit où les femelles élèvent leurs petits.
Une taille : elle serait comprise entre 60 cm et 1 m de long avec une queue noire de 20 à 30 cm.
Un poids : il pourrait peser de 8 à 15 kg.
Un régime alimentaire : il serait essentiellement carnivore, composé de petits rongeurs et d’oiseaux, de charognes, mais également capable de chasser des herbivores affaiblis ou jeunes.
Un caractère : il pourrait être la curiosité, un trait qui caractérise bien son comportement aventureux et explorateur.
Un statut de conservation : considéré comme une préoccupation mineure aujourd’hui, il a le statut d’« espèce de gibier non chassable » en France.
Entretien avec Nathan Ranc, expert européen du chacal doré

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