19/05/2025
[BorderLine] Sécheresse : comment fixer la ligne de partage des eaux ?
Nature du document: Contributions

Sécheresse : « Il y a des fantasmes auxquels notre livre cherche à répondre »

Eric Sauquet, directeur de recherche en hydrologie à Inrae, est l’un des coordinateurs du livre à paraître fin juin 2025, « Comment partager l’eau en France ? A l’ère de l’anthropocène [1] » (éditions Quae). Après celle d’André Viola, il apporte dans cet entretien sa contribution au débat public du 19 juin 2025, organisé par la Mission Agrobiosciences-INRAE et le Quai des Savoirs, « Sécheresse : comment fixer la ligne de partage des eaux ? » (toutes les informations ICI).

Propos recueillis et mis en forme par Valérie Péan, Mission Agrobiosciences-Inrae

Quel a été le point de départ de cet ouvrage ?

Eric Sauquet : Il était intéressant pour nous de mettre à plat l’état des connaissances scientifiques en réponse à une série de questions que nous posent régulièrement des acteurs opérationnels, sachant qu’émergent des questions sensibles et des controverses, par exemple autour de la Réutilisation des Eaux Usées Traitées (REUT). Chaque chapitre du livre part ainsi d’une interrogation : va-t-on manquer d’eau ? Combien d’eau utilisons-nous ? Comment partager l’eau comme bien commun ? etc.

Votre constat, c’est celui de la raréfaction de la ressource…

A travers une série d’épisodes de sécheresse, nous voyons bien que nous connaissons déjà des tensions sur le partage de la ressource en période de crise. Il y a aujourd’hui un débat autour de l’accès à l’eau. Nous disposons des futurs possibles de ces ressources grâce au projet Explore2 [2] que j’ai coordonné. Les modélisations montrent que, quelle que soit la trajectoire en termes d’émissions de Gaz à Effet de Serre (GES), nous allons vers une diminution des ressources hydriques en période estivale, avec des modifications profondes du fonctionnement des bassins versants. Il nous faudra bouger des curseurs dans la gestion de l’eau, par exemple vis-à-vis de nos usages et nos dépendances. Nous devrons changer nos manières de faire.

On parle souvent des solutions qu’apporterait le stockage de l’eau. Quel est votre regard sur ce point ?

Un stock, cela signifie un barrage, et donc forcément un impact sur les milieux. Ensuite, un stock pour qui ? S’il est dédié à un seul usage, il est souvent très contesté, car perçu comme un « hold-up ». On peut également soupçonner que cette solution permette de passer outre d’autres réponses possibles, ancrant des pratiques à l’identique, sans souhait d’évolution. Dernier point, faire un stock c’est une chose, parvenir à le remplir en est une autre, notamment en cas de sécheresse hivernale comme en 2023. Cela a été le cas du barrage de Naussac (bassin de la Loire) avec des difficultés de remplissage suite aux déficits pluviométriques de 2022 et 2023. Sur la Durance, les déstockages de l’eau pour l’énergie ont été limités pour garantir un volume pour les autres usages. Toutes les ressources de la Durance n’ont pas été mobilisées, certes, mais il y a eu des économies d’eau, des usages pénalisés. Lors de ces événements récents, nous avons pris des mesures conjoncturelles qui ont pu « passer » mais que se passera-t-il si elles ne devaient plus être exceptionnelles ?

Toutes les régions en France sont-elles concernées ou est-ce limité à la moitié sud ?

En cas d’émissions fortes de GES – si on continue comme aujourd’hui – la baisse de la ressource en eau toucherait quasiment l’intégralité du territoire métropolitain, avec des nuances toutefois dans le Nord, pour le bassin Artois-Picardie et le bassin parisien. En revanche, dans le sud, le signal est très fort, avec des projections qui annoncent même des baisses de débit en hiver.

Dans ce cas, pourquoi ne pas transférer l’eau d’un territoire à l’autre ?

Vue la carte des futurs débits estivaux, personne ne sera épargné. Il paraît illusoire d’imaginer qu’il y aura abondance en un endroit, laquelle pourrait bénéficier à d’autres cours d’eau en difficulté à proximité immédiate. Il y a quelques semaines, des médias ont annoncé la possibilité de dévier les eaux de la Vienne et la Dordogne pour alimenter la Charente [3]. Cela paraît absurde compte-tenu des travaux à entreprendre et d’une efficacité discutable.

Beaucoup de communes, notamment à proximité du Rhône, songent effectivement à se tourner vers le fleuve. Cela m’interroge. Car le débit du Rhône, qui prend sa source en Suisse, est régulé par Genève : en fonction du niveau du lac Léman et des apports alpestres, un barrage gère le débit du fleuve avant son entrée en France, en ouvrant plus ou moins le robinet ! Des négociations sont en cours entre la Suisse et la France pour encadrer cette régulation notamment en cas de crises. Il y a là un aspect géopolitique qu’on ne maîtrise pas. Par ailleurs, si tout le monde prélève sur le Rhône, cela va finir par poser problème pour les milieux aquatiques.

De même, les acteurs du littoral méditerranéen s’interrogent actuellement sur des transferts d’eau depuis la Durance. C’est un peu la course à l’eau, où chacun croit que son voisin est mieux loti ! On se développe en inadéquation avec les ressources locales.

Sur cette toile de fond de ressources en baisse et d’un partage indispensable, il y a des fantasmes auxquels notre livre cherche à répondre.

Quelles autres difficultés repérez-vous ?

Les enjeux politiques et les intérêts économiques qui peuvent brouiller le message. Typiquement, les compagnies d’aménagement ont un discours souvent très optimiste sur la gestion de l’eau, car ils aiment « tirer des tuyaux ». Hydrologiquement et climatiquement, ce n’est pas forcément très logique.

La clé, c’est la gouvernance ?

En partie, oui. Dans notre livre, Sylvain Barone [4] a consacré un chapitre à cette question.

Pour avoir examiné les arrêtés de limitation des prélèvements d’eau, on peut soupçonner un fort jeu d’acteurs dans les comités sécheresse, dits aussi comités ressources en eau, qui se réunissent au niveau départemental ou interdépartemental, sur lesquels le préfet s’appuie pour limiter voire interdire certains usages. C’est certes un fonctionnement démocratique (consultation des parties prenantes dans ces comités), mais très perméable aux lobbies. Au final, on peut ne pas retrouver une cohérence avec les débits très faibles constatés sur le terrain.

Le dispositif français de gestion de l’eau est très fortement maillé, mais il a tellement connu l’abondance de la ressource qu’il s’est peut-être mis tardivement à réguler la rareté…

Jusqu’il y a peu, on a toujours vu la France comme un pays pour lequel la ressource en eau n’était pas problématique. Quand j’étais en école d’ingénieur hydraulique, au début des années 1990, notre formation sur la ressource et l’étiage (ndlr : le plus bas niveau des eaux) était réduite. L’essentiel de la formation était centré sur le risque inondations. Il y avait pourtant déjà eu la sécheresse de 1976, puis celle de 1989-90, mais cela n’a commencé vraiment à bouger qu’à partir de 2003.

Et puis, c’est vrai, notre maillage territorial est dense, et surtout, il est structuré par bassin versant, ce qui est très bien. Il est perfectible, mais il a le mérite d’exister. En revanche, s’y superpose un découpage politique par départements et régions qui peut parfois interférer, avec des initiatives prises par ces collectivités circonscrites à leur échelle territoriale. Par exemple, tel département qui lance sa propre étude hydrologique, ce qui est un peu absurde.

Connaissez-vous des initiatives exemplaires en France ou ailleurs en matière de gouvernance et de partage de l’eau ?

Je ne peux parler que de ce que je connais. Je citerai un exemple issu d’un projet sur l’axe durancien. La gouvernance pour la répartition de l’eau des barrages y est installée depuis longtemps, c’est la Commission exécutive de la Durance qui en est chargée (ndlr : née en 1907) : elle est une arène de discussion qui fonctionne dans la confiance dans un secteur naturellement en tension. Il y en a certainement d’autres ailleurs.


Rendez-vous le jeudi 19 juin 2025, de 18h00 à 20H00,
Agora du Quai des Savoirs (39 All. Jules Guesde, 31000 Toulouse).
Gratuit et ouvert à tous les publics sur inscription (recommandée)

S’INSCRIRE : [https://sondages.inrae.fr/index.php/122399?lang=fr]


APPEL A CONTRIBUTIONS
A l’heure du changement climatique et face à la raréfaction de la ressource en eau, de plus en plus de collectifs tentent de (re)définir un partage équitable et démocratique de l’eau. C’est votre cas ? Alors participez à notre appel à contributions. Ouvert à tous les acteurs - institutionnels, associatifs, chercheurs, syndicats, élus – et toutes les paroles, celui-ci a pour objectif de recueillir différents retours d’expérience en la matière, pour mieux préparer l’animation de la rencontre.

Pour partager votre expérience, répondez à ces trois questions
* Pourriez-vous présenter brièvement votre initiative ?
* Quel a en été le déclencheur ?
* Quels en sont, selon vous, ses atouts et ses faiblesses ?

Envoyez-nous vos contributions d’ici le 11 juin 2025 en une page et demi maximum (6000 signes max) à mission-agrobiosciences[arobase]inrae.fr .
Après validation, celle-ci sera publiée sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences-INRAE.

Entretien avec Eric Sauquet, hydrologue INRAE

[1Autres coordinateurs de l’ouvrage : Sami Bouarfa, Marielle Montginoul et Thomas Pelte.

[2Porté par INRAE et l’Office International de l’eau, Explore2 établit des projections de disponibilités des ressources en eau en France hexagonale et en Corse, sur l’ensemble du XXIe siècle. Il vise à actualiser les connaissances sur l’impact du changement climatique sur l’hydrologie, à partir des publications du GIEC, et à accompagner les acteurs des territoires pour adapter leurs stratégies de gestion

[4Chercheur INRAE en science politique au sein de l’UMR G-EAU à Montpellier


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