Sécheresse : « Ce qui nous manque aujourd’hui, c’est une meilleure anticipation et une plus grande adaptation au changement »

Sécheresse : comment fixer la ligne de partage des eaux ? C’est le titre de la prochaine rencontre-débat publique du 19 juin 2025 organisée par la Mission Agrobiosciences-INRAE et le Quai des Savoirs (toutes les informations ICI). Pour préparer la rencontre et identifier des points aveugles, un appel à contributions a été lancé. Premier à s’être prêté à l’exercice, André Viola, personnalité politique et président de la Commission relations internationales du comité de bassin Adour-Garonne. Il est notamment l’auteur du plaidoyer « L’eau pour tous, tous pour l’eau », publié en 2024 aux Editions l’Harmattan.
Propos recueillis et mis en forme par Bastien Dailloux, Mission Agrobiosciences.
Qu’est-ce qui caractérise selon vous la gouvernance de l’eau en France ?
André Viola : En deux mots : robustesse et réactivité. Je travaille sur le volet coopération internationale à l’Agence de l’eau [1] Adour-Garonne et le modèle français est souvent pris en exemple dans le monde, avec notamment ce qu’on appelle le dispositif des « Parlements de l’eau » que représentent nos six comités de bassin. Ces instances de discussion ont la spécificité de réunir tous les acteurs – élus locaux, Etat, usagers de l’eau etc. – d’un bassin hydrographique autour de la table pour établir un plan de gestion de la ressource. Cela permet d’agir collectivement et d’être réactif en dépassant les frontières administratives des communes, des départements ou des régions.
Ce dispositif est-il à même de gérer désormais le manque d’eau ?
Depuis la création des Agences de l’eau par la loi de 1964, nous avons plutôt eu, effectivement, à gérer des périodes d’abondance mais face aux pénuries qui s’intensifient, il faut sans doute réajuster le modèle.
Toutefois, avec leurs nombreuses années d’existence, nos instances bénéficient d’effets d’apprentissage, avec des usagers qui se connaissent et ont l’habitude de dialoguer entre eux. Cela facilite grandement la prise de décision en cas de pénurie. Bien qu’on n’empêche pas toujours les tensions et divergences politiques dans les comités de bassin, il s’est aussi installée une culture du compromis, parfois même du consensus.
Que faudrait-il développer pour optimiser la prévention des épisodes de rareté de la ressource hydrique ?
En premier lieu, il est important d’avoir un maximum d’outils scientifiques de prévision et de partager les informations au long cours avec tous les acteurs concernés. Cela contribue à la prise de conscience des usagers et réduit le risque de voir apparaître, en situation de pénurie, une soudaine contestation des données et estimations réalisées.
On peut toutefois aller plus loin pour sensibiliser les usagers et les initier aux bonnes pratiques. En 2023 avec le « Plan eau » [2], il a fallu une sécheresse dramatique pour que nos concitoyens et les pouvoirs publics prennent la mesure du dérèglement climatique et de ses conséquences hydriques. Il s’est passé la même chose pour le phénomène inverse du « trop d’eau », notamment dans l’Aude qui a été victime d’épisodes cévenol et d’inondations, causant la mort de plusieurs personnes.
Dans cet esprit, ce qui nous manque aujourd’hui, c’est une meilleure anticipation et une plus grande adaptation au changement. Tout le monde n’a peut-être pas encore intégré le fait qu’il va falloir changer de modèle. L’agriculture, le tourisme, les consommateurs-citoyens etc. vont devoir modifier leurs pratiques. Il ne s’agit bien évidemment pas d’interdire l’accès à l’eau aux agriculteurs, mais de se donner les moyens de transformer les pratiques culturales pour plus de sobriété. L’Etat et l’Europe vont devoir accompagner cette nécessaire évolution. On sait que le climat change, qu’il faut tenir les accords de Paris pour ne pas dépasser les + 1,5° à l’échelle mondiale etc… Mais ce qu’on sait moins, c’est que 1,5° de réchauffement à l’échelle planétaire équivaut à +5° dans le sud de la France ! Cela change tout : le modèle touristique, les modes de vie, les activités agricoles. Il n’y a qu’à regarder ce qu’il se passe aujourd’hui à Barcelone ou dans le sud de l’Espagne pour se rendre compte de ce qui nous attend.
Vous avez évoqué l’Etat et l’Europe, mais que peuvent faire les collectivités territoriales à leur échelle ?
Celles-ci ont l’avantage d’être au contact quotidien de la population. Pour faire passer les messages, c’est quand même bien plus simple et efficace qu’une gestion centralisée au niveau de l’Etat. Et elles sont notamment en charge de la gestion de l’accès à l’eau potable. Mais, en cas de crise, la question des priorités se pose : au-delà de l’eau potable, que privilégier ? L’agriculture ? L’industrie ? Le tourisme ? Ces arbitrages politiques alimentent évidemment des tensions locales. Au printemps 2023, des agriculteurs ont par exemple bloqué des écluses du canal du Midi en dénonçant le gaspillage d’eau par les Voies Navigables de France.
D’ailleurs, on parle parfois de « guerre de l’eau ». Si elle reste rare à l’échelle interétatique, les conflits entre usagers, eux, se multiplient localement. Les collectivités territoriales ont donc de fortes responsabilités et devront assumer un mur d’investissement, nécessitant un accompagnant financier.
Le sujet de l’eau ne connaît pas de frontières. Comment agir à l’international ?
L’enjeu est mondial et seule une action collective aura un réel impact. C’est pour cette raison que je travaille aussi sur la coopération décentralisée à l’international autour de l’eau. Avec l’Agence de l’eau Adour-Garonne, nous menons des actions de coopération décentralisée, notamment dans des pays du Sahel. Ces échanges entre collectivités de différents pays sont bénéfiques pour les deux parties : en dehors de l’aide au financement, on partage aussi des expériences et de l’ingénierie. C’est un apprentissage mutuel.
Pouvez-vous donner des exemples de projets inspirants à l’étranger ?
Un exemple marquant : à Windhoek, capitale de la Namibie, 90 % de l’eau potable bue provient du recyclage des eaux usées. Israël et certains pays du Golfe sont également très en avance sur cette réutilisation de l’eau, y compris en agriculture. La France connaît bien ces processus, à l’image de ce que fait Inrae à Gruissan [3], mais faire évoluer la règlementation et les mentalités est un long chantier pour que les Français changent de regard sur cette ressource.
Agora du Quai des Savoirs (39 All. Jules Guesde, 31000 Toulouse).
Gratuit et ouvert à tous les publics sur inscription (recommandée)
S’INSCRIRE : [https://sondages.inrae.fr/index.php/122399?lang=fr]
A l’heure du changement climatique et face à la raréfaction de la ressource en eau, de plus en plus de collectifs tentent de (re)définir un partage équitable et démocratique de l’eau. C’est votre cas ? Alors participez à notre appel à contributions. Ouvert à tous les acteurs - institutionnels, associatifs, chercheurs, syndicats, élus – et toutes les paroles, celui-ci a pour objectif de recueillir différents retours d’expérience en la matière, pour mieux préparer l’animation de la rencontre.
Pour partager votre expérience, répondez à ces trois questions
* Pourriez-vous présenter brièvement votre initiative ?
* Quel a en été le déclencheur ?
* Quels en sont, selon vous, ses atouts et ses faiblesses ?
Envoyez-nous vos contributions d’ici le 11 juin 2025 en une page et demi maximum (6000 signes max) à mission-agrobiosciences[arobase]inrae.fr .
Après validation, celle-ci sera publiée sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences-INRAE.
[1] « Etablissement public administratif de l’Etat, une agence de l’eau a pour mission d’initier, à l’échelle de son bassin versant, une utilisation rationnelle des ressources en eau, la lutte contre la pollution et la protection des milieux aquatiques. Elle est chargée notamment de la coordination du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et des schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) qui en découlent. » Source : Wikipédia
[2] « Premier marqueur du changement climatique, l’eau est aujourd’hui une ressource en tension dans notre pays : intensification des épisodes de sécheresse, tensions structurelles sur plus de 110 bassins versants, pollutions. Le nouveau Plan eau vise à s’adapter dès aujourd’hui et à changer nos habitudes pour mieux préserver la ressource. » Source : Ministère de la transition écologique
[3] « À Gruissan, dans l’Aude, une unité INRAE expérimente la réutilisation des eaux usées traitées (abrégée « REUT ») pour irriguer la vigne. Dans ce territoire du littoral méditerranéen – frappé par des sécheresses récurrentes, comme de plus en plus de régions françaises –, la valorisation des eaux dites non conventionnelles fait partie des pistes pour sauvegarder l’activité agricole. Elle est notamment l’une des solutions identifiées, en février 2022, dans le cadre des conclusions du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique. » Source : Ministère de l’Agriculture