13/10/2004
Lévy-Leblond

Jean-Marc Lévy-Leblond

Professeur à l’université de Nice jusqu’en 2002, dans les départements de physique, de philosophie et de communication, Jean-Marc Lévy-Leblond est professeur émérite et Directeur de programme au Collège international de philosophie (depuis 2001).
Cette figure atypique du monde de la recherche se distingue non seulement par ses nombreux travaux de recherche en physique théorique et mathématique, mais aussi par sa forte implication dans le domaine de l’éducation scientifique - y compris pour des littéraires- et ses contributions importante à l’histoire, la politique et la philosophie des sciences. Redonnant à la vulgarisation et à la culture scientifiques ses lettres de noblesse, il ne cesse de combattre la simplification et les clichés, quitte à dévoiler, avec humour, l’"immense musée des erreurs qui nous ont précédées".
Doté d’un solide sens de la formule et d’un réel talent d’écriture, il a signé de nombreux ouvrages de "critique de la science", comme d’autres sont critiques d’art. Citons notamment "L’esprit de sel" (Seuil 1984), "Mettre la science en culture" (1986), "Impasciences" (Réédition en 2003 au Seuil) ou encore "La vitesse de l’ombre. Aux limites de la science" (Le seuil, 2006).
Notons enfin qu’il a fondé et qu’il dirige la revue trimestrielle Alliage, mais aussi plusieurs collections au Seuil : "Science ouverte", "Point science", "Sources du savoir" et La Dérivée". On peut également lire les chroniques ou les articles qu’il rédige régulièrement dans des revues ou magazines telles que "Euréka", "La Recherche", "Science et Vie" ou Esprit".

Son portrait, par Valérie Péan, réalisé le 13 décembre 2006.
A l’occasion du cycle de rencontres "Livre en main", organisé par la Librairie Ombres Blanches (Toulouse) et la Mission Agrobiosciences, chaque auteur invité à commenter son dernier ouvrage et à débattre avec le public se voit présenté à travers un portrait où, au-delà de la simple biographie, la Mission Agrobiosciences tente de restituer l’originalité de l’homme (ou de la femme !). Tel fut l’esprit, du moins, de ce portrait de Jean-Marc Lévy-Leblond, lors de la rencontre du 13 décembre dernier, autour de son livre "La vitesse de l’ombre. Aux limites de la science" (Seuil, collection Science ouverte. septembre 2006).

"Celui que nous accueillons ce soir est certes un physicien, mais c’est aussi un alchimiste, à l’image, après tout, d’un certain Isaac Newton.
Il nous en laisse d’ailleurs quelques indices visibles.

Ainsi, l’un de ses ouvrages les plus connus, publié en 1981, n’affiche-t-il pas pour titre L’Esprit de Sel ? Ce fameux acide chlorydrique qui, au Moyen-Age, était utilisé dans la quête de la pierre philosophale.
Un acide qu’utilise volontiers Jean-Marc Lévy-Leblond, pour décaper les idées reçues et dissoudre les mythes les plus tenaces, tel que celui d’une science pure et autonome, génératrice d’un bienfait universel. Un côté corrosif que nous retrouvons dans son style, non dénué de piquant et pouvant facilement irriter certains scientifiques.

Pour nous mettre mieux encore sur la piste, il signe en 1996 un autre ouvrage, clairement intitulé La pierre de touche. Celle-là même qui, par réaction, est censée révéler la composition du métal en fusion, et distinguer ainsi l’or ou l’argent des métaux non précieux. Bref, de vérifier l’accomplissement ou non du Grand Oeuvre.
Dans ce test rigoureux, censé distinguer le vrai du faux, Jean-Marc Leblond a évidemment apporté sa touche personnelle, en renversant la charge de la preuve : pour mesurer ce qu’est la validité et la pertinence d’un concept scientifique, mieux vaut s’appuyer, selon lui, sur les théories fausses, les erreurs, les hypothèses qui n’ont pas marché. Le soleil froid, la terre creuse, la mémoire de l’eau... rien de tel que ces élucubrations ou errements pour susciter une réflexion critique et épistémologique de la démarche scientifique. Pour repérer où se niche l’idéologie, la constante évolution au cours du temps de qui est tenu pour vérité reçue, de faire jouer la réfutabilité et l’expérimentation propres à la science.
La pierre de touche, c’est bien celle-là même qui met la science à l’épreuve. A l’épreuve de ses rapports au politique, de son activité sociale, des autres créations et activités humaines.

Dernier indice visible, l’ Alliage, le nom de la revue qu’il a fondée et qu’il dirige. Les métaux, toujours, comme autant de disciplines scientifiques en fusion dans un même athanor, plus solide qu’un regard univoque. Une transmutation de la matière, en l’occurrence ici, la matière à réflexion, qui combine la culture, la science et la technique sur des sujets tels que la science et la littérature, pour ne citer que le dernier numéro paru.

Dans cette alchimie contemporaine, on pourrait croire qu’il manque toutefois encore quelques ingrédients. Le soufre, par exemple. Quoi que... Bon nombre d’articles, d’interventions et d’ouvrages de JM Lévy-Leblond sentent bel et bien le soufre ; des écrits hérétiques aux yeux d’une certaine orthodoxie scientifique. N’a-t-il pas eu, très tôt, c’est-à-dire aux lendemains immédiats de 68, l’outrecuidance de lancer un recueil d’autocritique de la science, de monter la revue Impasciences, (75-77), de préconiser une gouvernance démocratique de la recherche, ou encore de mettre la science en culture, à portée des mains des profanes ? Une Œuvre qui continue de contester et saper le dogme, en professant non plus une critique de LA science, mais une critique de science, comme il est des critiques d’art. La science, en tant qu’activité intellectuelle, activité sociale, doit s’exposer et exposer sa méthode et sa production.

Il ne manque plus, à ce stade, que le mercure. Métal encore, matière de prédilection des physiciens, vif-argent dont l’alchimiste est censé extraire une substance particulière : le ferment des philosophes. Tiens donc... De fait, ce normalien, aux côtés de ses recherches en physique de la matière, a mené des travaux d’épistémologie, c’est-à-dire la philosophie qui prend la science pour objet. Professeur à l’Université de Nice, n’enseignait-il pas jusqu’en 2002 à la fois dans les départements de physique, de philosophie et de communication ? Et aujourd’hui encore, n’est-il pas directeur de programme au Collège International de Philosophie ?
Un mélange des genres qui, après tout, était monnaie courante avant l’avènement de l’époque moderne, où les « savants » pouvaient être à la fois astrologues, mathématiciens, physiciens, philosophes et alchimistes...

Ajoutons-y l’alchimie du verbe à laquelle s’adonne Jean-Marc Lévy-Leblond, et nous voilà face à une œuvre au noir, pour reprendre le titre de Marguerite Yourcenar, qui joue sur les clair-obscurs, visant à montrer combien les Lumières peuvent être aussi éblouissantes qu’aveuglantes, et combien l’ombre de l’obscurantisme nous guette à chaque époque.
Reste une nuance de taille à apporter : cet alchimiste là n’a rien de l’occulte et de l’ésotérique. Tout au contraire, cet homme de culture(s) veut dévoiler, transmettre, informer, diffuser, à l’image de cette collection du Seuil qu’il a créé, « Science ouverte ».
Disons en conclusion qu’il a l’art et la matière de nous faire entrer en sciences, et de nous les faire aimer pour ce qu’elles sont, ni plus ni moins."

Physicien et philosophe
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