Bort med Sillen ! (encore du hareng !)
La chronique Le Ventre du Monde de Bertil Sylvander
Un réveillon nordique, aux chaudes couleurs des bougies...
En Suède, le soir de Noël, on décore l’arbre en buvant du vin chaud, on affiche aux murs de belles images naïves, on fait des gâteaux au pain d’épices et à la cannelle, on met des bougies partout dans la maison, on sort le Julbok (bouc de Noël, confectionné avec la paille de la moisson de l’année, censé apporter les cadeaux), on écoute de la musique traditionnelle et on met la table.
Au début du repas, on boit du schnaps (c’est un alcool de blé) et on chante. On mange ensuite des pommes de terre, accompagnées de crème fraîche à l’aneth et, surtout, on sort les délicieuses conserves de poissons marinés. On les sert dans des petites coupelles, alignées sur la table, toutes parfumées de mille arômes : hareng à l’aneth, hareng au persil, hareng au petit lait, hareng à la sauce moutarde... On s’en fait des tartines sur des galettes de pain d’orge et on boit de la bière nouvelle. Et on chante. Bref, pour les Suédois, c’est le bonheur, autour du plus merveilleux poisson qui soit : le hareng.
Changement de décor
Karl Oskar, le héros du film « Pelle le Conquérant », est ouvrier agricole dans une ferme danoise, au milieu du XIXième siècle, vous savez, ce siècle où tant de Suédois ont émigré vers les Etats-Unis, poussés par la misère. Comme pour sa vingtaine de collègues, le travail est dur. Lui, il est vacher. Il doit s’occuper seul d’une trentaine d’animaux : les nourrir, les soigner, les sortir au pré, les panser, les traire, etc. Pour un salaire de misère : 100 couronnes par an, alors qu’un aller simple pour l’Amérique en vaut 500 ! (Imaginez qu’il faille 65 000 € à un ouvrier pour aller à New York).
De l’aube jusqu’à la nuit, on travaille et on n’a guère le temps de jouir de la vie.
Mais voici qu’en pleine froidure de l’hiver, arrive Noël. Avec les fenaisons, c’est le seul moment où l’on peut espérer bien manger ! Rassemblant leurs petites ressources, valets de fermes et servantes ont mis leurs « beaux atours » : pauvres robes et vestons élimés. Ils attendent le repas de fête.
Ils voient alors arriver... du hareng. Silence consterné à table. Puis c’est la révolte. Encore du hareng ? Toujours du hareng ! Tous les jours, du hareng. On n’en peut plus, de ce poisson. Comment ose-t-on nous en donner encore et le soir de Noël ? Stupéfiés par tant d’injustice, ils se dressent et protestent bruyamment. On va leur montrer, à ces maîtres, qu’on ne doit pas traiter les gens aussi mal. Arrive alors le régisseur, attiré par la rumeur. Il se campe pesamment sur le pas de la porte, menaçant et silencieux, et... chacun se rassoit, penaud, le nez dans l’assiette. Soumis, on mange le hareng.
Le hareng
Le hareng, Clupea harengus, est un poisson vivant en grands bancs, dans toutes les mers, non loin des côtes de l’Atlantique, de la Baltique et du Pacifique. Ses déplacements ont été étudiés de près par les hommes, car il a toujours été fortement consommé. Facile à pêcher, son prix a toujours été très abordable. Poisson du pauvre au XIXième siècle, il reste un plat recherché, dans un des pays aujourd’hui les plus riches du monde, où l’abondance règne.
Dans les deux histoires que je viens de raconter, c’était le même poisson très banal, le hareng. Mais il a suscité jadis le dégoût chez les valets de ferme et il éveille aujourd’hui la délectation des convives. Comment s’est-il glissé dans l’imaginaire des hommes, au point de susciter des réactions aussi opposées à ces deux époques différentes ?
Certes, il a bon goût et on sait aujourd’hui qu’il a une bonne qualité nutritive, qu’il est plein d’Oméga 3. de plus, il s’accommode de mille manières...
Autres temps, autre mœurs...
Mais sa valeur symbolique et affective, elle, change à travers les époques. Ainsi, la qualité (dans le sens de préférence) a une forte composante historique et sociale. Il est toujours utile de mesurer la relativité des choses !
Alors, profitez bien de la dinde, car dans un siècle, elle sera, peut-être, bonne pour les chiens ! Et bon Noël à tous !
Chronique le Ventre du monde de Bertil Sylvander, "Ça ne mange pas de pain !", 9 décembre 2008.
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"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (17h30-18h30) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....
A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez Toutes les Intégrales de "Ça ne mange pas de pain !" mais aussi toutes les chroniques et tables rondes.
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