Le sel soit loué !
Chronique "Grain de sel" de Valérie Péan, Mission Agrobiosciences
Sale temps pour le sel
Depuis plusieurs années, le corps médical souligne les méfaits d’une surconsommation de sel qui serait responsable, dans les pays développés, de troubles rénaux, de maladies cardiovasculaires, d’obésité et d’hypertension. Un excès de chlorure de sodium – l’autre nom du sel de table -dû principalement aux produits industriels (des plats cuisinés aux laitages en passant par les biscuits, sodas et céréales), où cette poudre magique permet à la fois de masquer l’insipidité, de régler la vitesse de fermentation, de favoriser la conservation et de réhausser les couleurs telles que le rose des charcuteries. Du coup, alors qu’il est recommandé de ne pas en ingérer plus de 5 à 6 grammes par jour, les Français en avalent en moyenne 10 à 12 grammes.
Reste que la démonstration de cette nocivité sur la santé n’est pas si claire, notamment concernant le lien entre la consommation du sodium et l’hypertension artérielle, et qu’une controverse anime les scientifiques, nourrie par les résultats contradictoires des études épidémiologiques. Retenons-en toutefois que dans les pays industrialisés, pour les individus qui ont une sensibilité plus grande au sel, qui sont hypertendus ou qui connaissent une fragilité rénale, il serait criminel d’inciter à manger trop salé. Dans les pays pauvres, en revanche, il est fréquent de constater des problèmes de santé dûs, tout au contraire, au manque de sel…
Deux grammes de bon sens
Explications : le sodium est une substance naturelle indispensable à la vie de nos cellules. Il est d’ailleurs présent dans notre salive, la sueur, le sang, le sperme, les sucs digestifs. Il fait également partie intégrante des aliments que nous consommons, même sans additifs : viandes, œufs, légumes, poissons… Il joue un rôle essentiel dans la conduction de l’influx nerveux, la contraction des muscles, l’absorption des sucres et des éléments nutritifs, la rétention de l’eau pour éviter la déshydratation… Bref, pour assurer ces besoins de l’organisme, il ne faut surtout pas passer en-dessous de 2 grammes par jour. Si vous avez des problèmes de tension trop basse, il est même recommandé d’augmenter vos rations.
Mieux, préférez au sel raffiné de table le sel marin non raffiné, reconnaissable par sa couleur grise : il garde tous ses minéraux tels que magnésium, calcium et potassium, qui permettent de compenser les effets hypertenseurs du sodium. Le top tendance, bien plus cher évidemment ? Le sel de l’himalaya, un sel fossile (dit sel gemme ou encore halite) bourré de ces minéraux et donc moins nocif pour nos artères.
En revanche, seul le sel de table raffiné est supplémenté en iode– un oligo-élément non seulement antiseptique et antifongique mais indispensable pour le fonctionnement de la thyroïde - et parfois en fluor , une supplémentation que l’OMS [1] a encouragée pour prévenir les caries.
Sel-control.
De fait, dénigrer en soi le sel serait méconnaître les vertus de ce véritable or blanc, dont la production et le commerce ont fait l’objet, jusqu’il y a peu, de monopoles d’Etat. Ingrédient de base de multiples activités – teinture, tanneries, détergents, pâte à papier – conservateur des aliments, le sel a été longtemps si précieux qu’il était utilisé comme monnaie d’échange contre de l’or, des tissus ou des esclaves, et comme impôt : la fameuse gabelle instaurée par Louis XI, supprimée sous la Révolution, rétablie par Napoléon comme simple taxe, définitivement supprimée en… 1946. Un impôt qui a connu ses faux-monnayeurs (les faux-sauniers) et ses tribunaux spéciaux, les greniers à sel. Preuve de cette importance, au Moyen-Age, il était courant de dire, « Aller au sel » pour signifier qu’on allait faire les courses.
Plus près de nous, au 20ème siècle, c’est le monopole de la Grande-Bretagne sur la collecte du sel et sa taxation qui a soulevé la colère des populations, cristallisée par longue « marche du Sel » menée par Gandhi, en 1930.
Longtemps enjeu stratégique, donc, le sel a cependant vu peu à peu décliner sa valeur marchande, dès lors qu’ont été exploités les gisements fossiles en plus des marais salants, et surtout, que la conservation par le froid et par la stérilisation ont pris le relais de la salaison.
Des dérivés saugrenus
De cette importance, il reste néanmoins, dans le langage, une quantité de dérivés du mot lui-même, tel que saupoudrer (poudrer de sel), salade, sauce, saucisse, saumure, bien sûr… mais aussi la salicorne, une plante comestible qui pousse dans les marais salés, le salmigondis qui désignait à l’origine un ragoût de restes de viandes ou encore le saupiquet, qui, avant d’être une marque, recouvrait une sauce « piquée » avec du sel.
Quittant la table, le sel nous a également légué le terme saugrenu, littéralement « grain salé », d’où le sens figuré de piquant, qui, sous l’influence homonymique du mot sot, a dévié vers le sens de ridicule, d’absurde. Citons encore le « sel de pierre », qu’est le salpêtre. Ou encore le salaire, c’est-à-dire la ration de sel que recevait les soldats, puis la somme d’argent qui leur était versée pour acheter leur sel… D’où l’expression demi-sel qui qualifiait un homme ayant pour partie un métier régulier mais avec un substantiel complément de revenu tiré du proxénétisme ! Une métaphore quelque peu éloignée de la symbolique du sel comme force spirituelle, illustrée dans la Bible par cette parole adressée par Jésus aux disciples : « vous êtes le sel de la Terre ».
Quant au sens figuré, c’est dès l’Antiquité que le divin cristal désigne le caractère piquant d’un esprit, son raffinement, sa subtilité. Si votre discours était alors qualifié de dessalé, gare, ce n’était guère flatteur : en d’autres mots, votre propos, dénué de tout piment, relevait de la niaiserie… Ce même piquant, bien plus tard, versera du côté du grivois. Ainsi, à l’époque classique, un « petit salé » ne désignait pas vraiment de la viande de porc aux lentilles mais un enfant né hors mariage…
On le voit, le sel a été mis à toutes les sauces. Et ce d’autant plus que les chimistes ont eu, pendant des siècles, les plus grandes difficultés à en caractériser la structure. Du coup, était appelé « sel » tout corps cristallin soluble dans l’eau. D’où les « sels » qu’on faisait respirer en cas de malaise – en fait, de l’ammoniac - ou encore le fameux « esprit de sel », qui n’était autre que l’acide chlorhydrique… De quoi se faire un assaisonnement quelque peu décapant.
Chronique Grain de sel de Valérie Péan. Emission de "Ça ne mange pas de pain !" de janvier 2010. "Gras, sucré, salé.... Pourquoi faut-il quand même en manger ?.
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