La production industrielle d’insectes roulée dans la farine

Grande fierté de l’innovation française il y a quelques années, le secteur de la fabrication de protéines d’insectes connaît aujourd’hui une crise majeure. Une à une, les entreprises montrent des signes de faiblesse, à commencer par les françaises Ynsect et Agronutris. Signe d’une surestimation des débouchés ou simple crise conjoncturelle ?
Crédit photo : Quang Nguyen Vinh
« Qui veut déguster une farine d’insecte protéinée ? », demande Laurence Girard dans Le Monde. La journaliste revient dans un court billet sur les difficultés financières marquantes de deux pépites françaises, pionnières dans la production industrielle de larves d’insectes pour l’alimentation. Des centaines de millions ont été englouties en pure perte dans des usines « sophistiquées » et l’existence d’un marché pour les vers de farine d’Ynsect ou les mouches noires d’Agronutris « n’est pas démontré », tranche la chroniqueuse économique. Pour Laurence Girard, les débouchés se limitent au créneau de l’alimentation animale visé par Innovafeed, troisième acteur majeur du secteur qui se concentre sur la pisciculture et les animaux domestiques.
Les usines de la « start-up nation » contre la filière des vers « à la ferme »
A l’inverse, Annabelle Grenier estime sur France Culture que la « filière insecte française reste dans la course » et a toujours un bel avenir devant elle car « le marché est exponentiel ». Pour la journaliste du Journal de l’éco, les deux start-up subissent une crise conjoncturelle de financement. « On évalue de 10 à 15 ans le temps nécessaire pour qu’une start-up industrielle devienne rentable », souligne Annabelle Grenier. Elle salue au passage « le succès d’Innovafeed » qui a conçu ses « fermes à insectes en symbiose avec des usines agroalimentaires existantes » : ses larves de mouche soldat noire recyclent les déchets d’une sucrerie du Pas de Calais et son usine sera « dupliquée » aux USA.
Dans Libération, des voix s’élèvent contre cette course au gigantisme jugée symptomatique de la « start-up nation » : « les politiques ont parié gros sur eux, il y a eu un soutien total du gouvernement. Quand on soulève autant d’espoir, c’est difficile de revenir en arrière sur la stratégie », analyse un doctorant de l’université de Strasbourg. « Dans la filière, deux modèles s’affrontent », résume le journaliste Arthur Cerf : « d’un côté, celui des gros, Ynsect, Innovafeed, Agronutris, centralisé, avec des méga-usines intégrant toute la chaîne, de l’élevage à la production. De l’autre, celui des plus petits, décentralisé, où certaines phases sont sous-traitées. Pour le directeur de la société Invers, le vers de farine « est mieux maîtrisé par un éleveur que par une machine ». « L’insecte, ça reste un animal. Notre idée, c’est de travailler avec plusieurs acteurs organisés en filière, comme on fait dans l’élevage classique », abonde le patron d’une autre PME du secteur.
Vitamine D et allergies
Au détour de son article très documenté, le journaliste de Libération soulève un angle souvent occulté sur le sujet : une thésarde qui travaillait pour Ynsect à l’université de Nantes signale avoir été victime d’une crise d’allergie. « Plus l’élevage est dense, plus le risque de développer une maladie est important, comme dans tout élevage », souligne la chercheuse anonyme, qui a jeté l’éponge. Les risques d’allergie ont bien été identifiés par l’autorité européenne de sécurité des aliments, mentionne Le Point en précisant que le dosage de poudre de vers de farine récemment autorisé par la commission européenne dans le pain, les fromages ou les compotes est strictement limité, après traitement UV et sous mention obligatoire. Ce n’est pas la première fois que la farine d’insecte est autorisée dans l’alimentation humaine : la « poudre partiellement dégraissée » du grillon domestique est au menu en Europe depuis 2022, signale le Huffington Post.
C’est une société française, Nutriearth, qui a obtenu l’autorisation de commercialiser cette nouvelle farine d’insecte, précise le Courrier Picard. Le quotidien régional suit l’affaire de près car les usines d’Ynsect et d’Innovafeed se trouvent dans sa zone de diffusion. Nutri Earth est une start-up de la région lilloise qui veut mettre sur le marché un nouvel ingrédient enrichi en vitamine D3, explique La Croix. Selon son directeur, cette nouvelle farine n’ajoute aucun goût, odeur ou texture aux plats auxquels elle est incorporée.
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France Culture, 05/02/2025.
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