« La végétalisation de l’alimentation permet de donner accès à de la viande de qualité »

« Végétalisation de l’alimentation : à l’aube de nouveaux régimes ? » C’est le titre de la prochaine rencontre BorderLine organisée par la Mission Agrobiosciences-INRAE et le Quai des Savoirs le 20 mars prochain. Pour préparer le débat en amont et identifier des points aveugles, un appel à contributions a été lancé. Naturellement, Guillaume Martin, directeur de recherche en agronomie des systèmes de production au centre INRAE Occitanie-Toulouse, est apparu comme une personne à solliciter. Ce dernier a en effet étudié des transitions vers la durabilité de cantines scolaires notamment via la végétalisation des menus, et piloté des programmes de recherche sur la durabilité des systèmes d’élevage. Pour cet agronome, opposer végétalisation et élevage serait une erreur. Propos recueillis par Bastien Dailloux, Mission Agrobiosciences.
Que vous suggère l’expression « végétalisation de l’alimentation » ?
Guillaume Martin : Il s’agit d’augmenter la part de produits d’origine végétale dans les régimes alimentaires, tout en réduisant ceux d’origine animale. Cela pour deux raisons principales : la santé et l’environnement. Ainsi, pour les 80% de Français assez fortement carencés en fibres, manger plus de céréales complètes, de fruits et de légumes frais et secs permet d’augmenter la part de fibres dans l’assiette. D’autre part, en réduisant la part de produits d’origine animale dans les régimes alimentaires, on réduit leur impact environnemental. Ce rééquilibrage est donc important mais ce n’est pas simple ! Concrètement, il faut agir et innover du champ jusqu’à l’assiette avec toute une série d’étapes intermédiaires. Par exemple, il faut développer des nouvelles cultures comme les légumineuses à graine en innovant de l’agriculteur au consommateur.
Pour mieux comprendre, pourriez-vous donner des exemples de facteurs limitants ?
Ce qui bloque, par exemple au champ, c’est que les agriculteurs n’ont pas forcément de repères avec ces nouvelles cultures - c’est notamment le cas avec certaines légumineuses - qui vont permettre de végétaliser l’assiette. Les semenciers ont longtemps négligé la sélection de ces cultures pour les adapter aux défis actuels (NDLR : résistance aux maladies, aux ravageurs, à la sécheresse etc.), bien que des programmes de recherche commencent à réémerger.
Les collecteurs, comme les coopératives, souhaitent faire des économies d’échelle. Il leur est coûteux de collecter, trier et transformer les petites quantités engendrées par ces nouvelles cultures.
Il y a également la question des débouchés économiques pour les agriculteurs. Par exemple, on sait que les consommations de légumineuses à graine hors domicile n’augmentent pas, malgré toute la communication faite autour de leurs vertus. Les agriculteurs en produisent de plus en plus mais le marché ne suit pas. J’ai tendance à croire que si ce dernier se développe, les agriculteurs et les opérateurs intermédiaires suivront ! Ils sont plus disposés à s’adapter que ce l’on peut souvent penser.
Et puis, les pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour aider à mettre en place ces pratiques avec des incitations et des subventions. Un enjeu important réside dans l’incitation à modifier les modes de consommation. Faute de quoi, nous retombons sur la situation actuelle du bio : un secteur qui se développe fortement, mais une consommation qui stagne et, aujourd’hui, des agriculteurs en grande difficulté.
Le cas du pois chiche en est un bel exemple…
Oui. En 2019, la tonne de pois chiche bio dans le Gers était payée 1400€ aux agriculteurs. En 2024, elle plonge à 700€… Il y a désormais plus d’offre que de demande. Il faut alors vendre les surplus sur le marché conventionnel ou sur les marchés d’exportation qui sont moins rémunérateurs et plus volatiles.
Quelles pistes décelez-vous pour relancer la consommation de légumineuses ?
En les intégrant par exemple en restauration collective. J’ai travaillé avec d’autres chercheurs, des chefs cuisiniers et des directeurs de restauration sur les transitions vers la durabilité en restauration collective dans le cadre d’un projet de recherche : Cantines vertes et responsables, comment y arriver ? [1] Nous avons étudié 29 cantines dans toute la France, de tailles très différentes, en zones rurale et urbaine et nous avons choisi différents indicateurs : la part des produits bio, la fréquence des menus végétariens, l’utilisation d’aliments ultra-transformés, et la gestion du gaspillage.
Les expériences les plus poussées que nous avons observées montrent par exemple que dans les cantines 100% bio des collèges de Dordogne, il n’a jamais été autant servi de viande locale que depuis qu’ils ont augmenté la part de protéines végétales et réduit le gaspillage alimentaire ! Les économies réalisées grâce à ces deux leviers ont permis de réinvestir dans l’achat de viande plus coûteuse, mais de meilleure qualité, tant sur le plan organoleptique qu’environnemental, et achetée directement auprès de producteurs locaux.
Donc réduire la part des produits d’origine animale ne signifie pas forcément l’arrêt de l’élevage…
Tous les modèles d’élevage ne se valent pas. Par exemple, un éleveur bovin allaitant bio n’a quasiment aucun avantage de prix par rapport à un éleveur conventionnel. Comment valoriser les systèmes plus respectueux de l’environnement et de la santé [2] ? Cela peut être par des paiements pour services environnementaux (NDLR : préservation de la qualité de l’eau, stockage de carbone, protection du paysage et de la biodiversité…), ou en payant plus cher cette viande via des marchés publics. On oppose souvent la végétalisation et la viande mais c’est paradoxalement la première qui peut permettre à la seconde d’être de meilleure qualité !
Ces changements de régime sont-ils acceptés par les usagers de la restauration collective ?
L’acceptation est un point vraiment déterminant. Avec les cuisiniers mobilisés dans le projet, nous avons travaillé sur la manière d’introduire progressivement ces changements. Par exemple, certains ont partiellement remplacé la farine de blé par de la farine de pois chiche. Jusqu’à 30 % de substitution, cela n’altère ni le goût ni la texture des plats. Au-delà de ce seuil, la préparation devient plus amère et peut perdre en texture. C’est une manière efficace d’intégrer des protéines végétales dans différentes parties du repas- entrées, plats, desserts…- presque sans que les usagers s’en aperçoivent.
Dans la même logique, nous avons travaillé sur le millet en remplacement de la semoule de blé. Laquelle est un aliment très transformé issu du blé dur, une culture qui génère beaucoup d’impacts environnementaux négatifs à cause notamment des niveaux de fertilisation qu’elle demande. A l’inverse, le millet, très rustique, est peu exigeant en intrants et adapté au changement climatique. Et là aussi, certaines cantines incorporent 30% de millet en substitution de la semoule de blé dur. C’est une façon de commencer à habituer les enfants à consommer différemment. Ainsi, la transition vers des assiettes plus végétales se fait en douceur, sans donner l’impression de manger toujours la même chose.
Ces initiatives se généralisent-elles en France ?
Cette stratégie de remplacement a été mise en place dans plusieurs cantines en France et représente de gros volumes de légumineuses achetés aux producteurs. Ce sont des initiatives qui se développent et qui ne demandent qu’à être généralisées. Un tel système de substitution partielle a aussi l’avantage de ne pas augmenter la charge de travail pour le cuisinier. On doit continuer à trouver d’autres astuces pour que cette transition s’opère sans perturbations majeures.
Agora du Quai des Savoirs (39 All. Jules Guesde, 31000 Toulouse).
Gratuit et ouvert à tous les publics sur inscription (recommandée)
S’INSCRIRE : https://sondages.inrae.fr/index.php/661445?newtest=Y&lang=fr
Spécialistes du sujet comme néophytes, répondez aux deux questions :
1/ Que vous suggère, d’emblée, l’expression « végétalisation de l’alimentation » ? Pouvez-vous en donner une définition ?
2/ Selon vous, cette notion comporte-t-elle des points aveugles, des éléments sous-estimés ou rarement abordés dans les débats ?
Envoyez-nous vos contributions d’ici le 10 mars 2025 en une page maximum (4000 signes max) à mission-agrobiosciences[arobase]inrae.fr .
Après validation, celle-ci sera publiée sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences-INRAE.
Retrouvez dans l’encadré ci-dessous d’autres réponses à l’appel à contribution
[1] Cantines vertes et responsables, comment y arriver ?, Guillaume Martin, Lise Pujos et Marie-Benoit Magrini, INRAE, 2022 https://www.inrae.fr/actualites/cantines-vertes-responsables-comment-y-arriver
[2] Voir le projet financé par le programme européen Horizon2020 MIXED, qui explore les avantages des systèmes agricoles et agroforestiers mixtes pour le climat, l’environnement et la société en général et soutien le développement de ces pratiques : https://projects.au.dk/fileadmin/ingen_mappe_valgt/PDFs/Leaflets/MIXED_Leaflet_2021_-_FR.pdf