21/04/2021
L’édito de Lucien Bourgeois
Nature du document: Chroniques
Mots-clés: Gouvernance , Santé

Danone et la santé, une "mission" délicate

Fidèle chroniqueur de la Mission agrobiosciences-Inrae, l’économiste Lucien Bourgeois est spécialiste entre autres des politiques agricoles. Dans son dernier édito pour la revue A Vrai Lire, il revient sur le concept ambigu d’entreprise "à mission", à travers la crise traversée par Danone et le limogeage de son PDG, Emmanuel Faber.

Cela tenait du rêve ! Danone, une multinationale française du CAC 40, joyau de l’industrie alimentaire, s’assignait par un vote quasi unanime en Assemblée générale une « mission » plus large que le profit de ses actionnaires : la santé des consommateurs. Emmanuel Faber, alors PDG et excellent communiquant, martelait le message. Pourtant, il y a quelques semaines, le Conseil d’administration le limogeait. Certains y voient l’influence pernicieuse des fonds de placement anglo-saxons qui peuvent dicter leur loi avec seulement 3 % du capital.
Mais ce serait peut-être aussi lié à la personnalité du PDG ? Emmanuel Faber coche toutes les cases. Spécialiste de la finance, il est aussi humaniste et osait explorer des voies nouvelles. Mais son discours semblait inaudible en interne. Un management qualifié d’autoritaire et de personnel, des changements trop fréquents d’objectifs ont entraîné la démission d’une partie de l’équipe dirigeante sans que des résultats rapides confirment la pertinence de ses choix. Les attaques des fonds de pension sont toujours facilitées par les dissensions internes.
Quel est le rôle de la gouvernance ? Le créateur de Danone, Antoine Riboud avait déjà une vision d’une entreprise plus respectueuse de ses fournisseurs agriculteurs et de ses salariés. Mais il avait pris soin de verrouiller le capital pour avoir les moyens d’appliquer sa politique sans être à la merci d’attaques boursières hostiles. Son fils Frank a dû baisser la garde pour accéder à la bourse de New-York. Dans un contexte où les États se désengagent de la vie économique, il est difficile de choisir des voies de développement originales.

L’industrie agroalimentaire a-t-elle besoin d’une mission spéciale pour utiliser moins de sucre, de sel, etc. ?

Le problème viendrait-il du nouveau concept de « mission » trop ambigu ? Étymologiquement, il signifie délégation. Historiquement, on pense aux « missi dominici », les plénipotentiaires envoyés par Charlemagne dans ses provinces lointaines pour rétablir son autorité. Cela fait référence à une autorité extérieure ou immanente. Mais n’est-ce pas là, le rôle que les États auraient dû préserver, celui de veiller au respect des valeurs sociétales ?
Le réchauffement climatique et la crise Covid mettent en avant les notions de souveraineté alimentaire. Les médecins expliquent qu’une bonne alimentation est déterminante pour la santé. Mais, l’industrie agroalimentaire a-t-elle besoin d’une mission spéciale pour utiliser moins de sucre, de sel, d’additifs, de capsules métalliques et autres bouteilles en plastique ? Il vaut mieux des perspectives politiques claires. La Commission européenne en a défini le contour avec le concept « One health - Une seule santé », qu’elle veut aussi appliquer à sa stratégie « de la fourche à la fourchette ». Mais les traces sont infimes dans les mesures envisagées pour la prochaine Pac. Souhaitons que ce ne soit pas mission impossible.

A Vrai Lire n°27, une revue d’AGIRAGRI, groupement d’experts comptables et d’avocats : https://www.agiragri.com/fr/avl/a-vrai-lire/145/

Avril 2021

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