22/06/2009
Dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !", l’émission radiophonique de la Mission Agrobiosciences
Mots-clés: Cuisine , Plantes , Santé

Arsenic et vieilles recettes

Plat de résistance du crime alimentaire, le poison est un des plus anciens compagnons de l’homme. Un entretien vénéneux pour décanter les breuvages les plus suspects, réalisé par la Mission Agrobiosciences, dans le cadre de l’émission de "Ça ne mange pas de pain !" avec Georges Bories, directeur de recherche Inra et expert en toxicologie à l’Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments.

Arsenic et vieilles recettes
Entretien avec Georges Bories, réalisé par Valérie Péan, Mission Agrobiosciences, dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !" de mai 2008, "Alimentaire, mon cher Watson"

Valérie Péan : Aussi loin que l’on remonte, on trouve trace de l’usage de substances mortelles, avec des périodes qui semblent fort prospères en matière d’assassinats... On songe notamment à la Renaissance avec les Borgia qui ont érigé l’empoisonnement au rang d’art, voire à l’Antiquité...

Georges Bories : Et l’on peut même remonter jusqu’à la Genèse, au chapitre 3, où figure le premier épisode de toxicité alimentaire avec la pomme, dont les conséquences ont été terribles ! Quant à la période antique, on peut évoquer le plomb et le saturnisme, avec l’hypothèse formulée à plusieurs reprises qu’il s’agirait là d’une des origines possibles du déclin de l’Empire Romain... Une théorie qui a rebondi en 1967, par l’entremise d’un chercheur américain qui a publié dans ce sens un article dans une revue médicale, puis en 1983 par un Canadien.
Le saturnisme est une intoxication au plomb, dont le nom se réfère à la planète Saturne qui désigne le plomb en chimie. Or on a effectivement observé sur des cadavres d’aristocrates romains des teneurs en plomb extrêmement élevées dans les os et les dents. On a d’abord pensé que c’était dû aux canalisations en plomb, que les Romains ont considérablement développées, mais il s’avère que le plomb est très peu toxique en présence d’eau alcaline ou riche en calcaire. Seules des eaux très acides sont à même de dissoudre ce métal sous forme de sels de plomb. Une autre piste plus séduisante s’est alors intéressée à la préparation du vin que l’aristocratie romaine, principalement, buvait. Pour conserver le vin, on utilisait en effet à l’époque une préparation, appelée de frutum ou sapa, un jus de raisin concentré auxquels s’ajoutaient des extraits de plantes et des résines qui avaient sans doute des propriétés antibactériennes. Ce sirop était ensuite refermenté avec les moûts. Cette préparation a été décrite par Pline, l’agronome Columelle et d’autres. Ils ajoutent qu’il est préférable pour réduire le moût de le chauffer dans des récipients en plomb plutôt qu’en cuivre...

V. Péan : Pourquoi préférer le plomb ?
G.Bories : Parce que le cuivre confère un goût désagréable... A l’inverse, l’acétate de plomb, qui se formait en contact avec ces vins légèrement vinaigrés, se trouve avoir un goût très doux, très suave et sucré. D’où cette recommandation.

Voir dans cette recette la chute de l’Empire Romain, est-ce bien sérieux ?
Bien sûr que non ! Cette théorie a été largement combattue car, soyons raisonnables, il y a bien d’autres causes beaucoup plus importantes à cette décadence !

Cela dit, le saturnisme est une maladie sérieuse...
Tout à fait. Il crée des dégénérescences au niveau du système nerveux. Par ailleurs, chez la femme enceinte, il est transférable au fœtus qui y est particulièrement sensible au niveau cérébral. Cela provoque notamment des retards mentaux chez les jeunes enfants.

Si je veux faire un meurtre parfait et qu’on ne détecte rien, que dois-je choisir comme substances ?
Vous savez, la nature offre des dizaines de milliers de molécules tout à fait adéquates pour mettre fin aux jours de quelqu’un, avec des substances comme les alcaloïdes, extrêmement toxiques ! Sans oublier les métaux dits lourds, dont le mercure, le cadmium ou le plomb font partie : en s’accumulant dans l’organisme, ils créent à terme de graves incidents de santé. Reste à savoir si vous voulez une mort lente ou une mort rapide... Tout est possible, mais il faut bien dire qu’avec les progrès considérables réalisés dans le domaine de l’analyse chimique et de la biologie, peu de substances restent indétectables. Dès qu’un soupçon d’empoisonnement est présent, des tests biochimiques, sanguins, urinaires et autres sont menés, notamment sur les organes cibles comme le foie, le système nerveux... On a là une force de frappe de plus en plus précise.

Quel est le dernier grand empoisonnement alimentaire collectif que la France ait connu ?
Ce n’est peut-être pas le dernier, mais il est très intéressant : il s’agit de l’"affaire de Pont- Saint-Esprit" qui a eu lieu au cours de l’été 1951, avec sept morts, une cinquantaine de personnes internées en hôpital psychiatrique et plusieurs centaines de gens plus ou sévèrement touchés. Les symptômes pouvaient correspondre à l’empoisonnement à l’ergot du seigle, un champignon qui se développe sur les épis de seigle et qui produit une substance alcaloïde, l’ergotamine, dont un dérivé sert à lutter contre les migraines - vous voyez comme du toxique à la substance utile, il n’y a pas loin - et également proche du LSD, d’où les hallucinations et accès de folie dont souffaient ces villageois.

C’est la fameuse affaire du "pain maudit"...
Le boulanger était en effet suspecté, mais on n’a jamais éclairci le mystère. Un journaliste de l’époque a d’ailleurs écrit un article qui résonne juste encore aujourd’hui : Alors, faute du nom du mal, on veut connaître celui de l’homme responsable. Les versions les plus abracadabrantes circulent. On accuse le boulanger ( ancien candidat RPF, protégé d’un conseiller général gaulliste), son mitron, puis l’eau des fontaines, puis les modernes machines à battre, les puissances étrangères, la guerre bactériologique, le diable, la SNCF, le pape, Staline, l’Eglise, les nationalisations.

Entretien réalisé par Valérie Péan, Mission Agrobiosciences, dans le cadre de "ça ne mange pas de pain", émission de mai "Alimentaire, mon cher Watson"

"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (17h30-18h30) et mercredi (13h-14h) de chaque mois.
A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement.

avec Georges Bories, toxicologue

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