Aquaculture ou tradition ?
Quiconque voyage en Asie sait que, le répertoire de ce qui est mangeable y étant bien plus vaste qu’en Europe, le touriste occidental s’expose à de possibles moments de solitude devant son assiette, doublés de quelques haut-le-coeur. On aura beau se dire qu’une croustillante friture de vers n’a rien à envier à celle d’éperlans, et qu’elle est tout aussi riche en protéines, elle suscitera toujours, de prime abord, un certain dégoût... culturel.
Autant dire, à la lumière de ces quelques considérations sociologiques, que c’est avec une certaine angoisse que Bertil Sylvander appréhendait son voyage en Chine. Le détail de ses pérégrinations gastronomiques, dans cette chronique publiée par le magazine Web de la Mission Agrobiosciences.
Aquaculture ou tradition
Chronique "Le ventre du monde" de Bertil Sylvander. Emission de janvier 2012 de "Ça ne mange pas de pain !" : Pour que la mer monte... Les défis de la pêche et de l’aquaculture.
Bertil Sylvander. Un de nos soucis inavoués, lorsque nous étions occupés à planifier nos visites en Chine, était de nous imaginer les inévitables invitations à déjeuner, au cours desquelles nous redoutions être obligés de manger des choses abjectes. Connaissant le goût de la bienséance des chinois et conscients des enjeux politiques de notre mission, nous étions condamnés à manger sans mot dire ces choses abjectes.
Très complaisamment, de bons collègues nous avaient envoyé des power point remplis de photos de ces choses abjectes. Il est un adage en Chine, qui dit que « tout ce qui rampe sur terre ou sous terre, tout ce qui vole et tout ce qui nage est comestible, sauf les trains, les voitures et les bateaux ».
Ah ! Pensions-nous. Pourvu que les progrès récents de l’aquaculture en Chine soient allés suffisamment vite pour que nous n’ayons de ces choses abjectes à déguster devant le sourire curieux et narquois de nos hôtes ! Ah ! Pourvu que les 200 millions de bourgeois chinois, qui habitent le long des côtes et jouissent du premier décile de l’échelle des revenus en chine, soient passés avec armes et bagages aux modes de vie occidentaux !
Nous en avions parlé avec le délégué de l’INRA à Pékin et il s’était empressé de nous décrire par le menu ces choses abjectes : étoiles de mer à l’huile de requin, porc-épic de mer, poitrine de faucon, couleuvres de rivière, vers à soie frits, brochettes de serpent, foie et ragoût de viscères de chien, épaule d’iguane, vers à soie frits, scorpions noir et jaune en brochette, cafards grillés, lézards, grillons, hippocampes grillés…
Lors du premier repas, offert par l’équivalent de l’Institut National des Appellations d’Origine Chinois, un curieux silence s’était établi à l’arrivée des plats…
Et non ! Mes chers amis, l’aquaculture a fait de réels progrès depuis 1978, date de la libéralisation de l’économie ! Par contre, quel festival de poissons et autres fruits de mer, aux présentations innombrables…
Pour l’aquaculture en eau douce, en enclos, en cages, ou en rizière : carpes de vase (Cirrhina molitorella), carassin (Carassius auratus) [1], mandarin (Siniperca chuatsi), l’anguille Japonaise (Anguilla japonica), crabe chinois (Eriocheir sinensis), tortue à carapace souple (Pelodiscus sinensis), ainsi que des espèces exotiques comme le poisson-chat (Ictalurus punctatus), le tilapia (Oreochromis niloticus), le bouquet géant (Macrobrachium rosenbergii), le black-bass à grande bouche (Micropterus salmoides) et la truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss).
Et, pour ce qui concerne les eaux de mer et saumâtres, à côté des traditionnelles cultures d’algues (la laminaire du Japon – L. japonica - et l’algue nori P. tenera), on a vu apparaître depuis 1978 toutes sortes de crevettes (Penaeus monodon et P. chinensis), plusieurs espèces de mollusques et une variété de clam (Sinonovacula constricta), de pétoncle (Agropecten), d’ormeau (Haliotis discus hannai et H. diversidor) ; et des poissons comme le mérou (Epinephelus), le pagre (Pagrosomus), le cardeau (Paralichthys olivaceus), le turbot (Psetta maxima), et le tambour à gros yeux (Pseudosciaena crocea).
Certes, les chinois traditionnels regrettent les marchés de Canton, qui présentent des espèces classées chez nous dans la catégorie « mortels foudroyants » des pavillons spéciaux de nos zoos. En ce qui me concerne, je me réjouis des progrès récents de l’aquaculture chinoise. De plus, nous avons appris récemment que les choses abjectes faisaient l’objet d’une industrialisation, de manière à les rendre plus attractives.
Il ne faut jamais désespérer !
Chronique "Le ventre du monde" de Bertil Sylvander. Emission de janvier 2012 de "Ça ne mange pas de pain !" : Pour que la mer monte... Les défis de la pêche et de l’aquaculture.
Lire les autres chroniques et interviews de cette émission consacrée à la pêche :
- Pêche et aquaculture : les pouvoirs publics montent au filet. Interview de Philippe Mauguin, directeur des pêches et de l’aquaculture au Ministère de l’agriculture.
- Et si l’huître devenait une perle rare ?…. Interview de Jean-Pierre Baud, biologiste, coordinateur Transversal Conchylicole à l’Ifremer.
- Algues, la nouvelle vague ? Une interview de Jean-Paul Simier, directeur des filières alimentaires à l’Agence économique de Bretagne, sur le projet BreizhAlg.
- Alzheimer, la truite et le requin. Revue de presse "mise en bouche" de l’émission de janvier de « Ça ne mange pas de pain ! ».
Sécurité des aliments, santé publique, éducation au goût, obésité galopante, industrialisation des filières, normalisation des comportements... L’alimentation s’inscrit désormais au coeur des préoccupations des décideurs politiques. Enjeu majeur de société, elle suscite parfois polémiques et prises de position radicale, et toujours une foule d’interrogations qui ne trouvent pas toujours réponse.
Afin de remettre en perspective l’actualité du mois, toujours abondante, de rééclairer les enjeux que sous-tendent ces nouvelles relations alimentation et société, de redonner du sens aux annonces et informations parfois contradictoires et de proposer de nouvelles analyses à la réflexion, la Mission Agrobiosciences a organisé de novembre 2006 à juin 2012, une émission mensuelle sur l’actualité de l’Alimentation et de la Société, diffusée sur les ondes de Radio Mon Païs (90.1) : "Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go). D’abord en collaboration avec le restaurant le J’Go (16 place Victor Hugo, à Toulouse), puis directement au sein du studio de Radio Mon Païs.
A l’issue de chaque émission, la Mission Agrobiosciences a édité l’Intégrale des chroniques et tables rondes.
[1] En illustration