Alimentation/toxicologie : effroyables jardins ?
Qui, se promenant dans la nature, n’a jamais été tenté de croquer ici une framboise sauvage, là une fraise de bois ? Ou, l’automne venu, de partir à la cueillette des champignons, histoire de se préparer une bonne omelette ?
Il faut dire que la nature est généreuse de substances qui peuvent venir égayer nos papilles. Tout comme elle regorge de composés toxiques. Alors que la pratique de la cueillette semble connaître un regain d’intérêt, Sylvie Berthier, de la Mission Agrobiosciences, et son invitée François Flesch, toxicologue clinicienne, s’interrogeaient, en mai dernier dans "Ça ne mange pas de pain !", sur la nature et les caractéristiques des accidents dus à la consommation de produits végétaux.
Sylvie Berthier. Cueillette de champignons en sous-bois, ramassage d’herbes et de légumes sauvages en lisière de fossés, récolte de baies et de fruits seulement connus de quelques initiés, cultures de légumes tordus et oubliés…
Pour contrer les effets de la malbouffe industrielle, soupçonnée d’être à l’origine de bien des maladies contemporaines, certains préconisent le retour à une alimentation plus saine. Le mot d’ordre : manger naturel.
Alors bien sûr, il n’est pas question ici de défendre les adjuvants, les sucres cachés et autres graisses hydrogénées de tous poils, mais simplement d’alerter : non, la nature ne fait pas que du bon. Tenez, pas plus tard que la semaine dernière, la société BCI rappelait plusieurs lots de haricots verts en conserve vendus sous les marques Notre jardin et U. La raison : une plante, le Datura stramonium, impropre à la consommation car très vénéneux, était détectée dans des boîtes. L’activité des alcaloïdes de cette plante commune produit un délire hallucinatoire de plusieurs heures. Elle fut à cet effet employée pour des pratiques divinatoires depuis l’Antiquité et utilisée par les chamans. Alors bien sûr, grâce aux systèmes de contrôle sanitaire et à la traçabilité, nous sommes très peu exposés à ce genre d’incidents. Néanmoins chaque année, des accidents dus à la consommation de toutes sortes de végétaux sont enregistrés par les centres antipoison de notre pays. Quels sont-ils ? Sont-ils en augmentation ? Ont-ils changé de nature ? Et comment s’en prémunir ?
Vous êtes cueilleur du dimanche, accro à une alimentation sauvage, adepte du naturel… Cette interview de Françoise Flesch, toxicologue clinicien, chef de service du Centre antipoison et de toxicovigilance de Strasbourg, vous intéresse.
Quel est le rôle et comment fonctionnent les centres antipoison et de toxicovigilance ?
Françoise Flesch. Les centres antipoison et de toxicovigilance, qui sont actuellement au nombre de dix en France, sont des services accessibles 24h/24 pour donner des avis ou des conseils à tout type de public, en cas d’exposition à tout type de produit. Ils sont de ce fait au cœur d’un dispositif d’alerte dans la mesure où ils peuvent eux-mêmes générer une alerte devant un symptôme inattendu ou une augmentation de la fréquence des expositions par exemple, ou relayer une alerte en provenance des autorités sanitaires et enregistrer les signalements.
Quelles sont les grandes catégories d’intoxications répertoriées par les centres antipoison ?
Les centres antipoison sont concernés par tous les agents : les médicaments, les produits ménagers ou cosmétiques, de bricolage, de jardinage, les plantes, les champignons. La moitié de notre activité est concernée par les médicaments. Les plantes représentent environ 5% de l’activité des centres antipoison, et les champignons autour de 1%.
Comment les gens s’intoxiquent-ils avec des végétaux ?
Les intoxications par plantes sont accidentelles dans 94% des cas, dont 6% en raison d’une confusion alimentaire. Et pour le reste, 6%, ce sont des intoxications dans un but suicidaire ou au cours d’une pratique addictive.
94% d’intoxication de manière accidentelle ; quels types d’accidents et quels types de plantes rencontrez-vous ?
Les accidents les plus fréquents sont ceux qui surviennent chez les enfants. La moitié des enfants ont généralement entre un et quatre ans ; il s’agit principalement d’ingestion accidentelle de baies. Les plantes les plus fréquemment en cause sont le laurier cerise, le pyracantha, le cotonéaster, le mahonia, les baies de muguet et d’autres plantes. Toutes ces baies un peu colorées sont à portée des petites mains. Le maximum des intoxications avec ces baies se produit en automne.
Chez les adultes, il s’agit de confusion au moment de la cueillette. En ce moment, nous sommes en période où une confusion est possible entre des colchiques et du poireau sauvage, ou entre des colchiques et de l’ail des ours.
Si on n’est pas initié, on peut confondre les plantes, en particulier le poireau sauvage et les colchiques.
Il y a donc une saisonnalité dans les confusions
Oui, effectivement. Il y a des saisons préférentielles pour certaines variétés d’intoxication. Par exemple, en hiver on peut confondre des bulbes de narcisse avec les oignons, qui sont entreposés à la cave, on peut confondre les coloquintes avec les courgettes. Pour la fabrication de liqueur, on peut confondre les racines de gentiane avec le vératre… et d’autres.
Imaginons, que l’on ait fait une cueillette de colchiques au lieu de poireaux sauvages, on les cuisine, on commence à manger. Y-a-t-il des premiers signes qui permettraient aux mangeurs d’arrêter de manger ?
Il y a certainement un signe, qui n’est pas général, mais fréquent : c’est l’amertume de la plante. Si vous cuisinez une plante et qu’apparaît une amertume réelle, il convient de ne pas la consommer. Certains pensent que c’est le goût habituel. Par exemple, pour ceux qui ont pu confondre la belladone avec des myrtilles, même lorsque le goût était très mauvais, ils ont rajouté du sucre pour masquer le goût. Quand le légume ou le fruit a mauvais goût, il ne faut pas le consommer.
Imaginons que nous continuions à manger ce plat, quels sont les symptômes de l’intoxication ?
Les premiers signes sont en général digestifs avec des nausées, suivis généralement de vomissements. Si cela se produit, il faut alors prendre immédiatement contact avec le centre antipoison de la région.
Concernant les suicides, certaines personnes connaissent-elles bien les plantes et peuvent-elles passer à l’acte par ce moyen ?
Malheureusement, ça arrive. S’ils connaissent bien les plantes, ils connaissent aussi la toxicité inhérente de la plante. Ils choisissent en général des plantes qui ont une toxicité cardiaque comme la digitale, l’aconit, le laurier rose, l’if, par exemple, qu’ils peuvent prendre sous différentes formes. Ils consomment généralement la plante crue.
Il y a eu cette alerte il y a quelques semaines sur le Datura stramonium, qui est une plante dangereuse qui était présente dans des boîtes de haricots verts. C’est une plante commune que vous connaissez bien ? Que l’on peut manger par inadvertance ?
C’est une plante que l’on connaît bien, que l’on trouve dans les jardins comme plante ornementale mais qui pousse également à l’état sauvage. C’est surtout une plante connue par les jeunes qui peuvent l’utiliser dans un but addictif, c’est à dire consommer les graines ou en faire une décoction pour avoir des effets hallucinatoires.
Les évolutions sont rarement mortelles, il y a peu de décès chaque année dus à l’ingestion de plantes toxiques (moins de 10 par an, en France), en revanche vous désirez alerter sur certaines conséquences qui peuvent être très graves.
Tout à fait. Selon les plantes, l’activité toxique diffère. Ce peut être une toxicité essentiellement cardiaque, comme par exemple la digitale, l’aconit ou l’if ; une toxicité neurologique avec des problèmes d’hallucination et de convulsions ; ou encore hématologiques, comme avec les colchiques, qui ont, au niveau de l’organisme, le même effet qu’une substance anti-cancéreuse. In fine, les personnes se retrouvent en réanimation avec des effets secondaires graves.
Quel conseil pouvons-nous-donner, si l’on veut cueillir des plantes pour les consommer ? Se munir d’un livre de botanique est-il suffisant ? Faut-il demander conseil à son pharmacien ?
Clairement, il ne faut pas cueillir et ne pas manger ce que l’on ne connaît pas. Le fait de consulter un livre ne suffit pas à reconnaître la plante. Et le pharmacien n’est pas forcément un spécialiste de l’identification d’une plante ou d’un champignon, à moins que le sujet ne le passionne.
Malgré tout en cas d’ingestion accidentelle, il faut appeler le centre antipoison. A quel numéro ? Y a t il un numéro commun aux dix centres ?
Non, pour l’instant il n’y a pas de numéro unique. Chaque centre dispose de son propre numéro
Propos de table
Discussion avec les chroniqueurs
Lucie Gillot. Vous avez parlé de saisonnalité. De la même façon y a t-il une géographie des plantes toxiques.
Forcément. Certaines plantes poussent dans le nord, mais pas au sud, et inversement. Par exemple, le Redoul est une plante extrêmement dangereuse de la Garrigue qui ne pousse pas au Nord. Et il en est de même pour les champignons.
Valérie Péan. Quand nous étions jeunes, nous parlions beaucoup de champignons hallucinogènes. Recevez-vous ainsi dans les centres antipoison des jeunes qui ont tenté l’expérience ?
Personne ne vient dans les centres antipoison, car ce ne sont pas des services de soins mais des services de réponse téléphonique à l’urgence toxicologique. Alors, nous recevons effectivement des appels concernant des jeunes, qui sont par ailleurs pris en charge par des services d’urgence, car ils ont consommé des champignons hallucinogènes de type psilocybe, par exemple.
Il faut donc leur rappeler que consommer des champignons hallucinogènes n’est pas un petit voyage plaisant mais que cette ingestion est risquée.
Oui, d’autant que le problème reste le même qu’avec celui des plantes : il peut y avoir confusion dans la cueillette. Ainsi, il arrive que certains patients sont admis dans des services d’urgence car ils pensaient ramasser un psilocybe, qui a des effets psychotropes, mais qu’en réalité ils ont consommé un autre champignon à la toxicité certaine.
Interview réalisée dans le cadre de l’émission de mai 2010 de "Ça ne mange pas de pain !" : Alimentation et société. Et si on végétait ?
"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (19h00-20h00) et mercredi (13h-14h) de chaque mois.
A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement.