24/03/2014
Alimentation et société. Note de lecture du 24 mars 2014
Nature du document: Notes de lecture
Mots-clés: Politiques

Capitalisme et surconsommation : l’organisation d’une faim déstructurée

Copyright Actes Sud

Dans son essai L’organisation criminelle de la faim (Actes Sud, 2013), Olivier Assouly, enseignant à l’université Paris I, professeur et responsable de la recherche de l’Institut Français de la Mode, revient sur le pouvoir politique de la faim organisée. A la lumière du système établi par les Nazis dans les camps de concentrations, l’auteur expose les raisons et les méthodes pour gérer la faim au sein d’une population. Sommes-nous réellement tous cobayes ? Une note de lecture de Maxime Crouchez-Pillot, étudiant en Master de littérature et stagiaire à la Mission Agrobiosciences.

Capitalisme et surconsommation : l’organisation d’une faim déstructurée

Dans son essai L’organisation criminelle de la faim (Actes Sud, 2013), Olivier Assouly, enseignant à l’université Paris I, professeur et responsable de la recherche de l’Institut Français de la Mode, revient sur le pouvoir politique de la faim organisée. A la lumière du système établi par les Nazis dans les camps de concentrations, l’auteur expose les raisons et les méthodes pour gérer la faim au sein d’une population. Sommes-nous réellement tous cobayes ? Une note de lecture du 24 mars 2014, réalisée par Maxime Crouchez-Pillot, étudiant en Master de littérature et stagiaire à la Mission Agrobiosciences.

La famine organisée

Dans cet essai très sérieux, ouvert à un public d’amateurs, Olivier Assouly détaille l’importance et le rôle de la famine dans les camps de la mort du troisième Reich. A la différence des famines ordonnées en temps de guerre qui ont pour objectif l’asservissement de l’ennemi, celle établie par le nazisme sur les déportés à pour but ultime la mort. Mais alors ? Où est l’intérêt d’affamer une population déjà vouée à la tombe ? En s’appuyant, sur l’allégorie de Joseph Townsend mettant en évidence la balance régissant l’équilibre entre une population et les ressources disponibles dans un espace restreint et à partir de travaux menés par des scientifiques nazis (Hans Münch, Johann Paul Kremer), l’auteur précise les objectifs du système totalitaire. On s’aperçoit avec effroi que les bénéfices pour les bourreaux sont multiples. Déshumanisation des détenus (« L’une des fonctions essentielles de la famine sera de les dépouiller de leur prétendue humanité. » [1]), justification politique de l’extermination des Juifs, scission au sein des déportés, bénéfices financiers… Cette famine organisée est d’autant plus efficace qu’elle est atroce, au sens où les asservis sont partie prenante du processus économique total. Ils participent activement – dans leur volonté de rester en vie – à la machine nazie.

Une économie totale

Dans ses recherches, le philosophe dévoile les importants travaux qui furent menés autour de ce système alimentaire des camps de concentration. De hauts dignitaires du parti étaient en charge de gérer le bon fonctionnement de l’« économie totale ». Ne rien laisser de côté, tirer profit de tout. Les juifs dépossédés de leur corps, assimilés à du bétail, étaient, vivants comme morts, une plus-value pour le régime. Par son écriture précise et parfois dure, l’auteur fait ressortir la déshumanisation nécessaire à cette économie où l’Homme est un combustible. Les « chercheurs » nazis travaillaient non plus sur des humains, mais sur des bêtes. Les corps – vivants ou morts – furent relégués au statut d’énergie. Voilà l’idéale de l’économie totale : « un homme rendu à l’état de machine, économe en combustible, capable de produire plus qu’il ne dépense, c’est à dire " l’esclave ascétique, mais producteur". » [2]
C’est là que le lien avec notre société apparaît assez vite, au risque de choquer certains. Dans le traitement de certains cheptels par exemple, où les bêtes se vautrent dans leurs défections et où, comme dans les camps de la mort, la nourriture est savamment comptée pour être la plus rentable possible. Mais Olivier Assouly va plus loin en expliquant les études menées par certains industriels de la fin du XVIII (Jeremy Bentham) sur les « maisons de travail », pour calculer le revenu idéal du travailleur marginal ou indigent, afin qu’il dispose de quoi nourrir son organisme, sans excès, pour que celui-ci soit, sur le long terme, le plus rentable à l’entreprise. Ainsi, l’exode rurale ayant privé les individus d’une autonomie alimentaire, c’est la peur de la faim qui rend le prolétaire dépendant de l’usine, « La faim oblige les travailleurs de l’industrie, affamés ou effrayés à l’idée de connaître la pénurie, à venir d’eux-mêmes offrir leur service. » [3]

Quand la famine se mue en peur du manque

En élargissant à la société toute entière, Olivier Assouly démontre comment le capitalisme de consommation est finalement une économie totale qui parie sur la faim du consommateur, « l’hypertrophie du système de consommation est une façon de prolonger l’instrumentalisation de la famine. » [4] Ainsi, la faim organisée de la famine par les Nazis s’est transformée en un manque agité par les industriels de l’alimentation. L’auteur presse le bouton d’alarme, car les risques sont légion. « De même que les déportés sont coupés de leurs culture et humanité, contraints de laisser éclore leur bestialité, le marché stimule les pires instincts chez le consommateur. » [5] Et, tout comme les Nazis avec les déportés, mais de manière plus discrète, les chercheurs de l’industrie alimentaire intègrent le consommateur dans leur économie totale. Les acheteurs deviennent acteurs et bourreaux, dans ce sens où ils sont les seuls à pouvoir se blâmer de succomber à la surconsommation administrée par la grande distribution. Olivier Assouly prévient d’un danger d’éclatement de la cohésion sociale, car « la réalité de l’économie totale dissout le projet initiale de civilisation et de raffinement des mœurs dans la licence et le foisonnement des jouissances. » [6] Dans une filiation balzacienne, l’auteur met le doigt sur un déséquilibre sociale provoqué par la dissolution de l’individu dans ses passions. Danger d’autant plus fort que les agro-industriels font mainmise sur les semences, en apposant des brevets qui poussent les agriculteurs à se séparer d’une diversité biologique culturale et culturelle.
Dans cette œuvre singulière, Olivier Assouly pointe du doigt un nombre important d’abus commis par la société de consommation sur l’alimentation mondiale. On voit difficilement comment survivre dans ce capitalisme sans se faire dévorer tout cru…

Note de lecture de Maxime Crouchez-Pillot, 24 mars 2014.


d’après le livre "L’organisation criminelle de la faim" de Olivier Assouly.

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[1Olivier, Assouly, L’organisation de la faim, Actes Sud, Arles, 2013, p56.

[2Olivier, Assouly, L’organisation de la faim, opsit, p126. (incluse une citation de Karl Marx, Manuscrits de 1844, IIIe manuscrit, GF, Paris, 1996, p 186.)

[3Olivier, Assouly, L’organisation de la faim, opsit, p100

[4Ibid, p171.

[5Ibid, p172

[6Ibid, p176

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