18/07/2016
Contribution aux 22èmes Controverses européennes de Marciac (29 et 30 juillet 2016)
Mots-clés: Agroécologie

Quelques « ruptures » pour ré-inventer l’avenir

Afin de recueillir une pluralité de points de vue et d’alimenter en amont les 22èmes Controverses européennes de Marciac (29 et 30 juillet 2016), posant la question "Avec quoi nous faut-il rompre pour réinventer l’avenir ?", la Mission Agrobiosciences a lancé un appel à contribution.
Aujourd’hui, celle de Rémi Mer qui invite à s’appuyer sur les facteurs de changement présents, tels l’agroécologie qu’il faudrait décloisonner, car elle n’est pas l’affaire d’un ministre, ni d’un seul pays. Par ailleurs, il incite à miser sur le collectif et la solidarité, et à rompre avec le corporatisme.

Quelques « ruptures » pour ré-inventer l’avenir

Pour préparer l’avenir, il faudrait sans doute au préalable savoir tirer les leçons du passé, mais surtout s’appuyer sur les facteurs de changement déjà présents et envisager les ruptures nécessaires. Nombre de ces ruptures sont déjà présentes dans la diversité des « modèles » ou des « logiques de développement » déjà à l’œuvre. Les exemples d’expérimentation technique (ou économique) et d’innovation sociale sont légion (cf. les « signaux faibles » en prospective). Pour autant, ils n’ont pas toujours eu les effets d’entraînement attendus. L’agroécologie tient ici sa place à la fois comme pratique ou système de production, mais aussi comme mouvement social. Ce qui supposera de la décloisonner, de la faire sortir de son pré carré, à la fois agricole, politique et français, car l’agroécologie n’est pas l’affaire d’un ministre, ni d’un seul pays.

Miser sur le collectif et la solidarité
Chacun peut imaginer tirer les marrons du feu, trouver sa niche, ses débouchés ou profiter d’une opportunité pour se développer en reprenant la ferme ou l’atelier du voisin. Mais l’avenir sera d’abord collectif et solidaire, si l’on ne veut pas éviter l’hécatombe ou les pertes sur le bord du chemin, par déficit de compétitivité, par isolement social ou tout simplement par défaitisme et parfois pour ces trois raisons cumulées. Le nombre croissant de situations difficiles, de départs précipités, voire le spectre des suicides doit conduire à un minimum de clairvoyance. Cela doit inciter à maintenir autant que possible les réseaux de solidarité, les groupes de soutien, les dispositifs d’accompagnement. Quand la compétitivité et la concurrence s’imposent comme des impératifs économiques sans autre forme de contrepartie, la solidarité n’a rien d’évident ; c’est presque devenu un combat d’arrière-garde et pourtant, là aussi, la rupture sociale doit être évitée…

Agriculture et alimentation, des enjeux de société
Les questions agricoles et alimentaires ne doivent pas être l’apanage de la profession agricole. A l’inverse, ces questions souvent sensibles ne peuvent se penser en dehors des agriculteurs, directement concernés par ces enjeux. Cela commence dans l’assiette, le repas et le menu, les courses, le caddy ou le panier… Les produits agricoles ne prendront de la valeur que si celle-ci est perceptible en « bout de chaîne » ou au point de départ de la prise de conscience des citoyens-consommateurs. C’est aussi à ce stade que prend sens (ou non) le métier d’agriculteur, ses conditions d’exercice, ses contraintes et ses spécificités dans ses relations à la nature, au vivant, au climat… Redonner du sens à l’alimentation, à la dimension sociale de l’agriculture permettra de renforcer en amont la fierté du travail bien fait et susciter la reconnaissance sociale qui aujourd’hui fait tant défaut. Cela suppose de rendre ce « travail » a minima visible et non de le diluer ou le dissimuler dans des produits agroalimentaires transformés, neutralisés et une (grande) distribution rendue anonyme, financiarisation oblige.

Rompre avec le corporatisme
L’agriculture ne peut se résoudre à une vision « corporatiste », captatrice de prés carrés ou détentrice de domaines réservés. Cela n’autorise pas pour autant le droit d’ingérence dans le quotidien des pratiques. De l’entre-soi pour chercher à tout contrôler hors tout contrôle social et l’ouverture à un changement imposé sans réserves, il y a place pour une confrontation raisonnable débouchant sur un contrat multipartite. Il faut rétablir ce contrat de confiance renouvelé, basé sur une transparence assumée, une éthique de la responsabilité… et une meilleure fluidité ente les acteurs de la filière, consommateurs compris. Si la vente directe répond en partie à ces exigences, elle n’est pas exclusive ; d’autres signes de qualité, témoins du lien au territoire, sont également des gages de confiance pour le consommateur et méritent tout autant un retour de valeur ajoutée au producteur.

Sortir de nos frontières, s’ouvrir au monde
La question agricole est si prégnante en France que la tentation reste forte de se soustraire des règles du marché, à dominante européen, pour solliciter la « puissance » publique (en cas de crise), de pourfendre la PAC, sauf quand elle va dans le « bon sens ». Si la France peut revendiquer un leadership bien assumé, elle s’honorerait d’abandonner son côté arrogant, voire autoritaire, de 1er de la classe à l’égard des autres pays agricoles de l’UE. Si l’on veut encore d’une Europe agricole, il faudra renforcer les coopérations et partenariats - techniques et économiques - avec nos pays voisins dans toute leur diversité. Certes, certains problèmes méritent un traitement « local » (politique de montagne, gestion des zones sensibles, qualité des eaux…), d’autres initiatives en matière de recherche, de développement, de qualité et de « références » normatives environnementales mériteraient de plus fortes collaborations d’abord à l’échelle européenne, (entre professionnels comme entre experts).

De l’exclusion à l’addition : du « ou » au « et »
La multiplicité des systèmes et les combinaisons à l’échelle d’une exploitation comme des territoires obligent à penser l’avenir plus en termes de complémentarité que de concurrence. Deux exemples : les producteurs en vente directe écoulent une partie de leur production dans les circuits traditionnels ; de même des producteurs en circuits longs imaginent pour une partie de leur production une valorisation en vente directe. Il en est de même des pratiques techniques ou de systèmes de culture ou d’élevage. La (bio)-diversité à venir va à l’encontre de la spécialisation en cours, car celle-ci a montré ses limites techniques, économiques et sociales. L’analogie des écosystèmes devrait nous éclairer sur la perméabilité des frontières comme des milieux, sur les barrières d’espèces et les limites (naturelles ?) des champs. Il en va de même des débats et controverses stériles où chacun s’arc-boute sur ses propres arguments sans prendre en compte la « vérité » de l’autre interlocuteur…

Sortir de l’impératif technique
Si la technique reste un des ressorts du métier, elle ne peut être le pilier central d’une relation avec les consommateurs. Hier, la mécanique, la sélection génétique et la chimie, demain la robotique et les big data, la génomique et les biotechnologique nous incitent à aller bien au-delà du seul gène ou de la molécule, vers lesquels la science (et le progrès technique) tentent de nous réduire ou nous conduire.
Au contraire, les choix techniques doivent être mis en perspective pour répondre aux interrogations légitimes de nos concitoyens, par exemple en matière de pesticides ou de bien-être animal. Il s’agit là de choix difficiles sur le long terme, qui n’iraient pas à l’encontre d’un patrimoine hérité de nos ancêtres et soucieux des biens communs de demain. Dans ce domaine, les sciences sociales doivent trouver pleinement leur place en associant directement les acteurs eux-mêmes.

Et les « politiques » dans tout cela ?
L’agriculture reste et restera une question politique majeure en raison de son implantation dans les territoires (ruraux), de ses spécificités en matière d’alimentation, de santé et d’environnement, voire de culture et de patrimoine. Tout laisse à penser que la vision urbaine sera encore demain hyper-dominante ; c’est dire l’effort à faire de part et d’autre pour mieux se comprendre, dépasser les a priori, accepter la diversité des situations comme des analyses et adapter les politiques publiques en conséquence. Rien ne serait pire que de conforter le sentiment d’abandon par les politiques, aujourd’hui largement répandu dans les campagnes… Ne serait-ce que pour éviter des politiques opportunistes ou clientélistes, voire pire.

Une contribution de Rémi Mer, consultant, auteur de l’essai « Le paradoxe paysan », (L’Harmattan, 1999). Publiée le 18 juillet 2016.

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Rémi Mer, consultant, auteur de l’essai « Le paradoxe paysan » (L’Harmattan, 1999)

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