07/07/2015
Contribution aux Controverses européennes de Marciac 2015 (7 juillet 2015)

La coexistence des systèmes sera possible au cœur du 2.0

Exploitant agricole, producteur laitier, secrétaire général de la chambre d’agriculture et vice-président de la FDSEA de Vendée, Hervé Pillaud est aussi passionné de nouvelles technologies (un de ses veaux s’appelle Hashtag !), en particulier de celles applicables à son métier. Il est d’ailleurs président de Tech’elevage, un salon dédié au hightech dans l’élevage, et sortira le 16 septembre prochain, "l’Agronuméricus, Internet est dans le pré" (France agricole éditions, 256 pages).
Dans cet ouvrage, il parle des enjeux auxquels les agriculteurs vont être confrontés, de l’évolution de leur métier et s’interroge sur la façon de relever ensemble l’immense défi du XXIème siècle, à savoir produire plus en disposant de moins d’eau, d’énergie, d’intrants et de terres arables...
Un livre qui pose également la question de la capacité des agriculteurs et de leurs organisations à entrer dans ce qu’il nomme la renaissance 2.0 et à être bien plus que de simples utilisateurs de technologie. Il montre comment faire de cette révolution une véritable opportunité pour gagner en autonomie et en degré d’implication dans la société hyper connectée de demain.
L’occasion pour la Mission Agrobiosciences de lui demander, dans le cadre des contributions aux Controverses européennes de Marciac, son avis sur la coexistence des modèles d’élevage dans le monde de demain : nécessaire, possible, impossible ?
Lire l’entretien avec Hervé Pillaud, ci-dessous…

La coexistence des systèmes sera possible au cœur du 2.0

Mission Agrobiosciences. Pourquoi faudrait- il que les modèles coexistent à tout prix ? Nous pourrions faire le choix d’un seul modèle, le bio, l’intensif… Concernant l’élevage, puisque la question des fermes-usines surgit violemment, vont-elles coexister avec l’élevage traditionnel, ou bien vont-elles l’étrangler ? Bref, pensez-vous que la coexistence est nécessaire, obligatoire, possible en terme d’élevage ?

Hervé Pillaud. Est-elle possible ? Oui. Est-elle souhaitable ? Oui. Est-elle vivable ? Oui. Pourquoi ? Nous sommes en train de changer de monde. Nous vivons une véritable révolution planétaire, essentiellement liée au numérique. On peut parler de révolution pour trois raisons :
1) Car il est vecteur d’énormes innovations de toutes sortes, même si bien sûr certaines sont éphémères, d’autres resteront durablement.
2) Les rapports entre les hommes changent, il n’y a plus un sachant qui envoie un message à une personne qui ne sait pas. Dorénavant, tout le monde peut envoyer de tout à n’importe qui. La communication qui, avant, était essentiellement descendante, est aujourd’hui à la fois bottom up et top-down. De plus, désormais les hommes parlent aux machines et les machines parlent entre elles, grâce au phénomène de la robotique.
3) Le numérique change fondamentalement l’agrégation, l’utilisation et la diffusion des données. Grace à la loi de Moore, nous pouvons constater tous les 14-15 mois, que l’on double la quantité de données disponibles. La quantité de données disponibles et exploitables devient exponentielle.
Comprenez bien, si le numérique est une révolution, Internet, lui, représente une rupture, car il revoit les notions de temps - on peut communiquer en direct avec l’autre bout de la planète, avec qui l’on veut, quand on veut ; il revoit les notions de géographie - il ne connait pas les frontières- ; et il revoit la notion de gouvernance puisque les groupes qui se créent, que ce soient des groupes d’influence ou autres, ne sont plus liés à un périmètre au sens où il était pensé avant. Ces groupes ne sont pas toujours physiques, ils peuvent être virtuels bien qu’à un moment ou un autre ils sont amenés à avoir un rapport dans la vraie vie.
Cela nous amène à une renaissance 2.0 et l’agriculture en sera un élément essentiel car nous allons passer d’une économie verticale en filières, à une économie beaucoup plus horizontale, beaucoup plus dans le nuage, dans la nébuleuse, plus difficile à cerner.
C’est pour cela que tous les systèmes vont cohabiter parce qu’ils vont répondre ici et là à différents besoins, à différents marchés. Ils vont être à l’image de la nature,extrêmement complexes. L’image que l’on pourrait avoir du small qualitatif et du big quantitatif n’est pas vraie. On peut aussi avoir du très qualitatif dans les gros élevages… Les notions évoluent en ce sens. Et les besoins (sociétaux, économiques…) étant multiples, il faudra que tout cela cohabite demain.

Mission Agrobiosciences. N’est-ce pas une injonction, un vœu pieux ? Ne va-t-il pas y avoir des freins empêchant que tout cela soit possible ? Par exemple, que les gros prennent toute la place et mangent les petits qui finiront par disparaître.
Hervé Pillaud. Je ne crois pas. Il s’agit d’injonction si on le prend à court terme. Quand je dis « il faudra que », je me projette dans le long terme. Je ne dis pas que tout cela viendra naturellement, sans chaos, ni difficulté. Mais un équilibre nouveau devra se trouver.
Le biomimétisme a peu été travaillé jusque-là, à savoir regarder ce que fait la nature et le reproduire. Je pense que cela va prendre une place considérable dans l’avenir. Quand je dis que le petit aura une place, c’est que le marché va devenir glocal. Le système sera à la fois global et très local.
Le très local, on voit assez facilement ce que c’est, un consommateur et un producteur à proximité, avec peu de transport. Mais je dis qu’il est aussi global, car cette proximité va aussi devenir globale. Pourquoi ? Car avec les nouveaux moyens de communication, mon voisin peut vivre en Chine : il peut voir ce que je fabrique chez moi. Mieux, concernant les transports un certain nombre de moyens logistiques vont permettre de créer des ponts énormes à un coût très faible. Un exemple : actuellement, et je pense que cela va durer très longtemps, beaucoup de produits manufacturés viennent d’Asie et 2/3 des containers repartent à vide. Ces gens-là ont envie d’un certain nombre de nos produits, pas des produits de masse, (bas de gamme), mais des produits très qualitatifs. Et un certain nombre d’agriculteurs de produits label vont pouvoir en profiter. C’est pour cela que les choses sont beaucoup plus diffuses qu’on pourrait l’imaginer. Ainsi, l’AOC du Comté, du Reblochon ou du Beaufort vont disposer d’un marché à l’international très éloigné,à l’autre bout du monde, créant d’autres tensions, car ces marchés-là vont venir en concurrence avec l’ultra-local.
Les cartes sont en train de se rebattre, et je ne suis pas capable de dire ce qu’il va en sortir, mais je suis convaincu qu’il n’y aura pas un système qui va s’imposer aux autres. Nous allons passer une période d’incertitude énorme et c’est cela qui va être difficile à passer. C’est un peu inquiétant car on sort d’une zone de confort. En revanche, c’est très excitant.

Livre l’Agronuméricus, Internet est dans le pré, France agricole éditions, 256 pages, sortie le 16 septembre.

Retrouvez les contributions filmées sur AgrobiosciencesTV

Sur le thème « Nouveaux résidents et agriculteurs : la grande brouille ?

  • "On évite de travailler le week-end", par Roger Beziat. Cet agriculteur met en évidence la nécessité du dialogue et du partage pour redéfinir un espace commun, au sein duquel chacun trouve son compte.
  • Une coexistence de tranchée, par Michèle Gascoin, agricultrice et ancien maire de Cobonne (Drôme).
  • Sur le thème : Afrique, Le modèle paysan survivra-t-il à l’agribusiness ?Jean-Christophe DEBAR, Farm.

Et les contributions écrites :

Si vous aussi vous voulez contribuer sur le thème de la coexistence, ouvert jusqu’au 20 juillet 2015

Retrouvez le programme actualisé des Controverses européennes de Marciac

Télécharger le programme détaillé et le bulletin d’inscription (document interactif) des 21èmes Controverses européennes de Marciac



Par Hervé Pillaud, exploitant agricole, producteur laitier en Vendée

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