01/03/2010
Vient de paraître dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !". Mars 2010
Nature du document: Entretiens
Mots-clés: Cancer , Consommation , Obésité , Santé

Alimentation et société. Et si on discutait le bout de gras ? (interview originale)

Janvier 2010. Au lendemain des fêtes de Noël et du Réveillon, à l’heure des grandes résolutions, la Mission Agrobiosciences n’invitait pas ses auditeurs au régime. Tout au contraire ! Elle consacrait son émission mensuelle "Ça ne mange pas de pain ! au sujet "Gras, sucré, salé… Pourquoi faut-il quand même en manger ?". Entre la chronique de Valérie Péan le sel soit loué et l’entretien sur le sucre de Lucie Gillot, Sylvie Berthier, elle, discutait le bout de gras, avec la nutritionniste Béatrice de Reynal (photo ci-contre). Conclusion : mangeons du gras, pas trop certes, mais surtout du bon gras. Car l’important n’est pas tant de grossir que de le faire en restant en bonne santé ! Explications.

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Et si on discutait le bout de gras ?
Une interview Les Pieds dans le Plat, janvier 2010

Sylvie Berthier : Il est de bon ton aujourd’hui de stigmatiser les graisses. Sources de calories inutiles, elles favoriseraient l’embonpoint et les maladies cardiovasculaires.
Dans les supermarchés, les produits 0% de matières grasses se multiplient comme des petits pains et au rayon des ustensiles culinaires, les cuits-vapeurs ont le vent en poupe. Cela me fait penser à mon coiffeur qui, après les fêtes de Noël, me disait avoir reçu en cadeau, une friteuse dans laquelle on peut faire cuire ses frites avec une simple cuillère d’huile. Je trouvais que c’était un peu « cheap » comme cadeau de Noël, mais il faut savoir qu’en l’occurrence, la fameuse cocotte sans graisse coûte quand même la modique somme de 250 euros. Manger des frites, sans culpabiliser, n’est pas donner à tout le monde…
Et vous, chers chroniqueurs, avec quoi préférez-vous cuisiner ? De l’huile d’olive, de pépins de raisin ? Préférez-vous le beurre, la margarine ? Quand vous préparez le dîner, êtes-vous attentifs aux Omégas-3, aux gras trans, à l’huile de palme hydrogénée ? Que savez-vous vraiment de la graisse d’oie, de canard ou de porc ?
Bref, êtes-vous au clair : y a-t il vraiment de bonnes et de mauvaises graisses ? N’avez vous pas un peu le sentiment qu’il faudrait un doctorat en nutrition pour s’y retrouver ? Allez, nous allons vous, directrice de la société Nutrimarketing.

Sylvie Berthier : Imaginons que nous ne mangions jamais aucune matière grasse, qu’adviendrait-il des humains que nous sommes ?

Béatrice de Reynal. Si nous ne mangions jamais aucune matière grasse, nous n’existerions pas, parce que chacune de nos cellules est composée d’une double couche de matière grasse. C’est donc absolument indispensable, d’abord pour construire l’organisme, et ensuite pour bien le faire fonctionner.

Sylvie Berthier : J’ai lu que si on ne mangeait pas de lipides, on pouvait avoir des problèmes de peau, par exemple ?

Oui, si un adulte cesse de manger toute trace de matière grasse, il commence par avoir la peau qui tiraille, qui s’étiole puis, petit à petit, il va avoir des ennuis plus conséquents. La peau perd son intégrité devient perméable aux pathologies diverses.

Je crois que les matières grasses sont également très importantes pour le fonctionnement cérébral. On entend beaucoup parler des omégas-3…
Chez les adultes, les matières grasses sont indispensables pour le renouvellement cellulaire et effectivement pour l’entretien des cellules cérébrales et nerveuses. Ce sont surtout les femmes enceintes qui ont besoin d’omégas-3 et les enfants en croissance, pour la constitution du cerveau...

Nous avons donc besoin de gras, mais y-a-t-il de bonnes et de mauvaises graisses ?
En matière de nutrition, vous ne trouverez jamais la panacée dans un seul aliment ou un seul nutriment. Tout est question d’équilibre. Il existe une foultitude de matières grasses qui sont composées de triglycérides et de différents acides gras. Et il existe une kyrielle d’acides gras, plus ou moins utiles à l’organisme. Aujourd’hui, le problème, c’est que nous mangeons trop de graisses saturées, les « mauvaises matières grasses », et pas suffisamment de bonnes matières grasses. Mais, encore une fois, c’est une question d’équilibre. Il n’est pas question de faire un cours de biochimie au consommateur pour l’aider à faire des choix quand il fait ses courses, il suffit qu’il sache que, au quotidien, il doit manger un peut de tout : un peu de beurre, un peu d’huile de vinaigrette, un peu de fromage, etc. Si vous mangez varié, vous disposerez automatiquement de tous les acides gras dont vous avez besoin. Je tiens aussi à prévenir que si vous commencez à faire des régimes, surtout des régimes d’exclusion, en pensant que ne plus manger de matière grasse va vous faire maigrir, ce n’est pas un bon calcul, du tout. Simplement, parce que vous privez votre corps de l’essentiel.

Sans faire de cours de biochimie, on peut peut-être quand même préciser ce que sont les graisses saturées. Ne viennent-elles pas principalement des graisses animales ?
Aujourd’hui, ce résumé que l’on faisait, il y a quelque temps, devient caduc, car certaines graisses végétales sont tout aussi saturées que les autres. Le distinguo n’est donc pas aussi facile. Globalement, on peut retenir que très souvent les graisses saturées sont concrètes à température ambiante, comme par exemple, la végétaline, que l’on met dans la friteuse. Elle n’est donc pas bonne. Alors que l’huile, fluide, que vous utilisez pour la vinaigrette, quelle que soit celle que vous utilisez, sera toujours de meilleure qualité. La graisse d’agneau, par exemple, se fige assez vite même à température ambiante. Vous pouvez en conclure que sa composition n’est pas forcément terrible, alors que d’autres types de graisses ne sont pas aussi concrètes, à cette température.

On retient dans un premier temps qu’il faut varier les sources de matières grasses et préférer les matières grasses fluides à température ambiante. Reste qu’il existe des matières grasses un peu partout, dans les produits animaux, dans les huiles végétales, mais qu’un bon nombre sont cachées…
C’est vrai.. Le problème avec les matières grasses c’est que parfois on sait très bien où elles sont (le beurre, les frites…) mais on a davantage de mal à réaliser qu’un biscuit peut être très gras. On ne s’en doute pas, car il ne laisse pas d’huile sur les doigts, comme une frite. Pourtant, quand on fait un biscuit maison, on met beaucoup de beurre, non ? Concernant la composition des produits industriels, une seule solution : lire la liste des ingrédients !
Mon conseil : n’excluez pas toutes les matières grasses quand vous cuisinez, gardez celles qui sont essentielles, car vous en avez besoin tous les jours… Ce sont l’huile de colza, l’huile de soja, celle de noisette ou de noix. Ces huiles-là, il faut en manger un peu tous les jours. En revanche, attention au gras caché dans les charcuteries, dans les sauces et différents plats. Soyez un peu plus précautionneux. Mangez-en de temps en temps, mais pas quotidiennement.

En clair, vous nous déconseillez de manger des plats préparés quotidiennement
Surtout, je veux dire que ce n’est pas forcément idéal de manger des pâtisseries ou des viennoiseries tous les jours de la semaine. Et, malheureusement, c’est ce que nous donnons aux enfants au goûter, ou des barres chocolatées. De temps en temps, pourquoi pas. Mais pas tous les jours. Idem pour les adultes et les biscuits salés à l’apéritif. Quant aux plats cuisinés, tout dépend de la façon dont ils sont fabriqués. Là, vous n’avez pas le choix : vous êtes obligés de lire la liste des ingrédients, car il peut y avoir d’énormes différences d’une marque à l’autre.

Dans ces graisses cachées dans les aliments, qu’est-ce qui est le plus gênant, le fait qu’elles soient cachées ou la nature même des graisses ? On entend de plus en plus parler des acides gras trans présents dans l’alimentation industrielle, si mauvais que certains pays les ont interdits.
Les acides gras trans ne sont pas incorporés sciemment aux préparations industrielles, mais ils apparaissent au cours des process industriels ou culinaires. Quand la matière de grasse de départ est de qualité médiocre, elle se transformera largement en acides gras trans. Du coup, l’alimentation en sera riche. Pour illustrer ce propos, j’ai réalisé l’analyse de deux menus pour les enfants. Le premier est composé d’une salade avec du surimi, d’un morceau de poisson avec des légumes et des pâtes. Le second menu consiste en un hamburger et des frites. Globalement, la teneur en acides gras trans est deux fois plus élevée dans ce menu hamburger/frites que dans le premier. En mangeant des plats, qui nous sont quotidiens, on peut parfois ingérer beaucoup d’acides gras trans. Globalement ils apparaissent quand la température est assez élevée, par exemple dans la friture ou alors quand la teneur en gras est très élevée, comme dans un hamburger qui contient 20/25% de matières grasses. Donc, attention à notre alimentation, et surtout à celle des enfants.

Quel est le problème avec les acides gras trans ?
Ils se comportent dans l’organisme comme des graisses saturées. Là, même une graisse végétale peut être « mauvaise »…

On associe souvent le gras avec le goût. Est-ce culturel ou bien y a t il, vraiment, des raisons physiologiques, physico-chimiques ?
Effectivement, beaucoup de gastronomes, de gourmands aussi, ont fait état de ce lien entre le gras et le goût. Il est vrai que certains arômes sont portés par les matières grasses, solubles dans les matières grasses. Au moment de la dégustation, ils sont libérés dans la bouche ou dans l’arrière bouche et provoquent d’agréables sensations. Mais ce n’est pas vrai de tous les arômes. Nombre d’entre eux, heureusement, ne sont pas liposolubles et sont perçus sans apport de matière grasse. Certains amateurs de viande ont prétexté que plus une viande est grasse plus elle est goûteuse. Ce n’est pas une marche obligée : certaines viandes, très maigres, sont très goûteuses...

Quelles sont encore aujourd’hui les dernières connaissances scientifiques concernant certaines huiles, graisses ou composés lipidiques ?
Tout d’abord, les omégas-3 sont essentiels et il est vrai que c’est une des classes d’acides gras qui nous fait défaut aujourd’hui en France. Les enfants et les adultes n’en mangent pas suffisamment. Mais plutôt que d’aller les chercher dans des huiles de poissons ou des poissons gras, l’huile de colza suffit largement, par exemple. En revanche, il faut avoir le réflexe de mélanger les huiles, par exemple de l’huile de colza pour la santé mélangée avec de l’huile de noix ou de l’huile d’olive pour le goût. Aujourd’hui, les Français sont loin de leur quota, mais sachez aussi qu’il ne faut dépasser ce fameux quota, car en nutrition le mieux est toujours l’ennemi du bien.
Ensuite, on sait que les acides gras trans sont le plus souvent apportés par des graisses animales. Il y en a naturellement dans le gras du bœuf ou dans la matière grasse laitière, mais ces acides gras trans n’ont pas un effet délétère lorsqu’ils sont naturellement produits par les animaux. Ils deviennent vraiment gênants lorsqu’ils sont produits industriellement et évidemment lorsqu’on en mange en trop grande quantité.

Que sait-on vraiment aujourd’hui des pathologies liées aux graisses ?
Vaste sujet, qui mériterait plus de temps ! Globalement, on sait que le déséquilibre et l’excès de matière grasse a un rôle dans la survenue de certains cancers, et puis, bien sûr, des maladies cardio-vasculaires. Il y a un lien très direct. Mais nous avons la chance d’être des omnivores et, globalement, nous sommes un peu comme des petits cochons ! Comprenez : le gras que nous mangeons va être stocké sous la même forme. Pour être très claire, le gras que nous avons sur les fesses ou sur le ventre a une composition très proche des graisses que nous avons mangées. Cela veut dire qu’il suffit de changer son alimentation pour changer sa composition corporelle et être en meilleure santé. Si vous avez dans votre entourage des personnes un peu trop gourmandes, qui ont quelques kilos en trop, donnez leur à manger de bonnes matières grasses : elles seront peut-être un peu trop fortes, mais seront en bonne santé. Car ce qui est important, ce n’est pas d’être mince, mais d’être en bonne santé.

Propos de table
Discussion avec les chroniqueurs

Bertil Sylvander. Pour revenir aux matières grasses saturées, dans le Sud Ouest, on nous dit souvent que le foie gras et le confit de canard ont de bonnes graisses, des matières grasses insaturées.
Béatrice de Reynal. Comme nous, les gallinacés, les canards, etc., stockent la graisse qu’on leur donne à manger. Si les volailles ont été nourries ou gavées avec de bons aliments, alors ils auront un gras de composition correcte. Et nous fourniront des produits sains. Vous pourrez éventuellement grossir, car vous en mangerez trop, mais vous grossirez en santé.

Sylvie Berthier. On peut donc grossir bien ou grossir mal…
Si vous prenez du foie gras ou du confit provenant d’un animal correctement nourri, certes vous aurez de l’embonpoint mais vous éviterez certaines pathologies, notamment maladies cardio-vasculaires, cancers, etc.
Dans une certaine limite bien sûr, car on sait aussi que le surpoids et l’obésité sont générateurs de pathologies. Je ne dis donc pas qu’il faut manger ad libitum.

Bertil Sylvander. Que veut dire « correctement nourri » pour un canard ? Et le gras de canard est-il bon, alors qu’il fige à température ambiante ? Est-ce qu’on dit est vrai et, si oui, comment l’expliquer ?
Le point de fusion de la graisse de canard bien nourri n’est peut être pas à 20°C mais à 23°C, c’est ce que j’appelle la température ambiante. Pour simplifier, elle n’a pas besoin d’être chauffée à 50°c pour fondre.
En résumé et pour conclure, vous avez beaucoup de chance parce que vous vivez dans une région où vous avez pris de bonnes habitudes alimentaires. Malheureusement, ce n’est pas le cas de tous les Français qui, dans certaines régions, ont des habitudes davantage tournées vers la graisse de bœuf ou celle de porc. Une précision quand même : il n’y a pas de problème avec la graisse de porc si l’animal a été nourri correctement. Sauf que ce n’est pas la majorité des produits que l’on trouve aujourd’hui dans le commerce ! De nombreux animaux sont gavés avec des aliments de qualité nutritionnelle très moyenne. Je vous encourage donc à maintenir et protéger votre exception régionale et à garder vos bonnes habitudes alimentaires.

Séquence Le Pieds dans le plat de l’émission de janvier de "ça ne mange pas de pain !", "Gras, sucré, salé : pourquoi faut-il quand même en manger ?".

Une interview de Béatrice de Reynal, nutritionniste

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