22/09/2014
Les 20èmes Controverses européennes de Marciac. 22 septembre 2014.
Nature du document: Entretiens
Mots-clés: Foncier , Numérique , Travail

Réseaux : les nouveaux @griculteurs (entretien original)

A la faveur du dernier salon de l’agriculture, la presse a beaucoup parlé de cette agriculture connectée, peuplée de drones et autres tracteurs pilotés à distance. Au-delà des aspects matériels, quel est l’impact, sur les pratiques, de ces nouveaux instruments ? Quels nouveaux espaces se dessinent par-delà les frontières et les systèmes ? Quels sont les liens qui se tissent ?
Invités par la Mission Agrobiosciences à intervenir à l’occasion des 20èmes Controverses européennes de Marciac Pour des territoires vivants... Faut que ça déménage !, Jean-Luc Boursier, agriculteur, Fédération régionale des Cuma Grand-Ouest, et Jean-Baptiste Cavalier, animateur-coordinateur de Reneta reviennent sur cette notion, polysémique, de réseau.

Mission Agrobiosciences. Les nouvelles technologies de la communication et de l’information sont-elles à même de nous sortir de l’isolement ? Avec le net, plus de zone blanche ni de barrière géographique infranchissable : la communication est instantanée où que vous soyez.
A la faveur du dernier Salon de l’agriculture, la presse a beaucoup parlé de cette agriculture connectée avec ces tracteurs high tech, ses drones, et autres applis smart phone. Mais au-delà des aspects matériels, qu’entend-on par réseau ? Dans cette agriculture en mouvement, où sont les innovations : dans les outils techniques, les organisations sociales ? Quels sont les virages à ne pas rater ? Quels nouveaux espaces se dessinent par-delà les frontières et les réseaux habituels ?
Réponses avec Jean-Luc Boursier, agriculteur, en charge, au sein de la Fédération régionale des Cuma Grand ouest, de la communication, des réseaux sociaux et des NTIC ; et Jean-Baptiste Cavalier, animateur-coordinateur de Reneta, le réseau national des espaces-test agricoles.

MAA. Les NTIC [1] ont-elles vraiment changé les pratiques ?
Jean-Luc Boursier. Je commencerai par ce préambule : si les territoires sont complexes et hétérogènes, comme cela a été dit, le monde agricole l’est tout autant. Je ne parle donc nullement aux noms des agriculteurs ou du réseau Cuma, mais en mon nom propre.
La question des nouvelles technologies peut être entendue de deux manières distinctes. Il y a tout d’abord le machinisme, avec tout ce qui relève de l’électronique et de l’informatique embarqué. Sans entrer dans les détails, les perspectives offertes par ces nouveaux outils, à l’instar du guidage GPS, sont considérables.
On peut ensuite citer les technologies de l’information et de la communication, les NTIC. Quelques précisions quant à la manière dont elles influencent les pratiques. Lorsque je me suis installé, il y a de cela trente ans, les téléphones portables n’existaient pas. Qu’est-ce que cela signifie ? Que vous pouviez passer toute la matinée à chercher l’un de vos collègues sur son exploitation, d’un bâtiment à l’autre, d’un bocage à l’autre, sans le trouver. Avec le téléphone portable, le problème se résout en un coup de fil : « allo, t’es où ? ».
Au-delà de l’anecdote, cette innovation extérieure au monde agricole a eu pour principal effet de mettre fin à l’isolement des agriculteurs. Aussi vaste soit votre exploitation, vous restez connecté et joignable comme l’est n’importe qui à son bureau. C’est un changement profond.
L’arrivée de ces outils a eu un dernier effet : mettre tous les territoires sur un même pied d’égalité. Quel que soit votre lieu de résidence, vous pouvez accéder aux mêmes informations. Cela a réduit le handicap que l’on pouvait avoir au sein des territoires ruraux et du monde agricole.

Avec les NTIC, vous êtes plus libre d’échanger instantanément sur des savoirs ou des pratiques avec un agriculteur situé à l’autre bout de la France, ou même un collègue résidant au Brésil, en Inde… La proximité géographique n’est plus une condition sine qua non. Quel impact cela a-t-il dans les modes de fonctionnement ?
Effectivement. L’arrivée des NTIC impacte fortement les réseaux existants. Ceux-ci se sont structurés dans les années 50/60. Ils sont d’une certaine manière liés au modèle de production qui s’est alors constitué. Ils sont aujourd’hui appelés à évoluer. Les nouvelles voies de communication changent le visage des réseaux. Ce n’est plus tant la proximité géographique qui va le façonner que les valeurs, les relations de ses membres. Il faut intégrer cette dimension.
Les intervenants précédents ont parlé de ruptures créatrices, de leviers à enclencher pour favoriser les innovations. Pour terminer, j’aimerais verser quelques éléments à la controverse. Nous assistons tout d’abord à un exode intellectuel. Je le constate depuis l’ouest agricole où je réside. Les jeunes qui s’installent sont des opérateurs, qui produisent non pas une denrée mais du minerai pour l’industrie agroalimentaire. Ils n’ont pas de vision systémique de leur travail. Or, cela a été dit par Csaba Tabajdi : pour innover il faut avoir des gens capables de réfléchir, de s’extraire de leur quotidien. C’est un vrai problème. Autres éléments importants de mon point de vue, l’exode des centres de prise de décision. Qui décide aujourd’hui du prix du blé ? La bourse de Chicago. La réforme de la PAC de 1992 avec la mise en place des DPU [2], n’est pas en reste, je ne m’attarde pas.
Un dernier point qui répond indirectement à votre question. Les organisations professionnelles agricoles, dans leur acceptation large, ont été bâties dans les années 50/60, pour un certain type d’agriculture. Pourra-t-on changer ce dernier sans changer les OPA ? Un exemple parmi d’autres sous forme d’interrogation : quelle a été la part de l’Inra dans la mise en place et la promotion de l’agriculture biologique depuis 20 ans ?
Nous parlons depuis ce matin d’innovation de rupture. Souvenons-nous qu’il ne s’agit pas d’améliorer les systèmes mais de les changer en profondeur.

MAA.Poursuivons avec Jean-Baptiste Cavalier qui anime Reneta, le réseau des espaces-test agricoles. Pour le dire assez succinctement, un espace-test agricole est une couveuse d’entreprise appliquée à l’agriculture. Le principe : offrir les conditions nécessaires pour tester grandeur nature un projet d’installation pendant une durée maximum de trois ans, avec une prise de risque minimale pour le porteur de projet. A l’issue, le porteur décide ou non de s’installer. Jean-Luc Boursier a bien expliqué comment les NTIC bousculaient les pratiques et les réseaux pré-existants. Reneta est un réseau assez jeune. Pourriez-vous nous le présenter ? Et quel sens prend pour vous ce terme de réseau ?
Jean-Baptiste Cavalier. Pour commencer, précisons ce qu’est un espace-test agricole : il s’agit, pour simplifier, d’une couveuse d’entreprise agricole qui peut prendre des formes très variées (association, coopérative d’activité et d’emplois, dispositif informel…). Concrètement, nous offrons la possibilité à des individus, souvent des personnes hors cadre familial, de tester la viabilité et la vivabilité de leur projet d’installation. Bien des néoruraux arrivent à la campagne avec une vision « romantique » de l’agriculture, très vite remise en question par la réalité. Le dispositif permet de réaliser un test grandeur nature. Chaque individu dispose de deux à trois années pour mettre en place et perfectionner son projet. A la fin, il peut choisir de s’installer ou de se réorienter.
Chaque espace-test remplit trois fonctions principales : une fonction « couveuse », en mettant à disposition un cadre légal d’exercice du test, notamment pour la production et la vente ; une fonction « pépinière », avec la mise à disposition de moyens de production (matériel, bâtiment, foncier…) ; et enfin une fonction d’accompagnement, les porteurs bénéficiant d’un suivi personnalisé.
Dans ce dispositif, la notion de réseau est fondamentale et se déploie à différents niveaux. Premier niveau, l’échelle territoriale, qui correspond à la zone d’influence de l’espace-test. Celle-ci peut aller de l’échelle intercommunale à une échelle plus large, départementale voire régionale. Deuxième niveau, le réseau d’acteurs. Le projet peut associer un lycée agricole, une collectivité territoriale, une chambre d’agriculture, une association de développement agricole, une couveuse généraliste… Autant d’acteurs qui n’ont guère l’habitude de travailler ensemble. Chaque espace-test agricole est donc une construction « interculturelle », résultant de la rencontre des différents partenaires. Des partenaires variés qui ne recherchent pas tous la même finalité dans ce dispositif. Les objectifs assignés peuvent donc varier. Dans certains cas, il s’agit de re-dynamiser le territoire, dans d’autres d’assurer l’approvisionnement en fruits et légumes des restaurants scolaires, etc… Le réseau ainsi tissé est donc tout à la fois géographique (territorial), humain, et professionnel par les compétences qu’il mobilise. Reste un dernier échelon : le réseau national.
Le réseau Reneta a été créé en 2012. L’idée ? Regrouper les différents espaces-test pour favoriser les partages d’expérience. Nous parlons depuis ce matin d’innovation. Les espaces-test agricoles sont un dispositif innovant. Et qui dit innovation dit nouveauté ; autrement dit, il n’existe pas de solution ou de formule toutes faites pour appuyer le développement puis le fonctionnement d’un espace-test agricole. D’où la nécessité d’échanger et de mettre en commun les expériences. Nous l’avons d’abord fait de manière informelle puis, face à la multiplication du nombre d’espace-test, de manière structurée au sein d’un réseau [3]. Ce dernier a deux vocations principales : défendre et promouvoir une vision de ce que doit être un espace-test agricole, avec l’élaboration d’une charte commune ; favoriser et faciliter les échanges entre les membres du réseau. Précisons qu’il s’agit avant tout d’un réseau de praticiens. Il ne comporte qu’un seul salarié… moi. Ceci signifie que sa vivacité repose essentiellement sur l’implication de ses membres. Ces derniers étant disséminés dans toute la France, et même en Belgique, les NTIC constituent de fait un outil précieux pour le faire vivre.

On parlait hier de la crise des liens et des lieux [4]. Pensez-vous que cette initiative soit une réponse possible ?
Les espaces-test sont des outils ayant pour vocation de favoriser l’installation. Aujourd’hui, c’est un fait établi, le renouvellement des générations en agriculture s’opère de moins en moins par transmission au sein de la cellule familiale. Or, on le sait tout autant, il n’est pas facile de s’installer pour un hors cadre familial. En facilitant son installation, on répond à la crise des lieux, de la désertification et de la diminution des actifs agricoles.
Ce n’est pas tout. Pendant les deux à trois ans d’expérimentation du projet, nous mettons tout en œuvre pour favoriser l’insertion de la personne dans le territoire. Un porteur de projet qui arrive de Paris dans le Gers n’y a pas forcément d’attaches. Il va devoir créer son réseau social, son réseau agricole, son réseau professionnel. Pour ce faire, l’espace-test intègre un tutorat par les agriculteurs du coin. C’est une réponse possible.
J’ajouterai pour conclure ceci : Reneta est un réseau horizontal ; les échanges entre les membres sont directs et fluides. Des territoires confrontés aux mêmes problématiques dans des zones géographiques différentes ont l’opportunité d’échanger sur leur problématique d’installation. Ce fonctionnement en réseau comme la diversité des acteurs qui l’animent permettent d’innover et de trouver des solutions à cette double crise.

Avec Jean-Luc Boursier, agriculteur, Fédération régionale des Cuma Grand-Ouest ; et Jean-Baptiste Cavalier, animateur-coordinateur de Reneta

[1Nouvelles technologies de l’information et de la communication

[2Droits à paiement unique

[3Reneta en trois dates : 2005, constitution du premier espace test agricole. 2008, structuration informelle du réseau avec les premières réunions ; 2012 : création de Reneta.

[4Voir les interventions du mercredi 30 juillet 2014, à paraître prochainement


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