07/03/2022
Le Monde, Ouest-France, Les Echos, South China Morning Post...
Nature du document: Revue de presse
Mots-clés: Mondialisation

Les enjeux du lithium : une situation électrique

Le lithium, objet de toutes les convoitises ? Ses surnoms, « le nouvel or blanc », « the new oil  », reflètent bien l’importance de ce métal alcalin au cœur des enjeux internationaux, représentatif des interactions électriques entre grandes puissances à l’heure de la transition énergétique.
Une revue de presse réalisée par Nina Sipp, étudiante Insa Toulouse, stagiaire à la Mission agrobiosciences.

Découvert en 1817, le lithium, de son petit nom [Li], n’a longtemps été qu’un métal rare de second plan. On peut lire dans Les Echos qu’il n’est réellement utilisé qu’à partir de 1991 dans des caméscopes SONY, ainsi que dans les téléphones et ordinateurs portables. Mais, depuis, à en croire la déferlante d’articles publiés sur le sujet ces derniers temps, l’explosion actuelle de la demande est due à l’ère nouvelle de la mobilité et de l’essor des voitures électriques. Le lithium est en effet un métal adapté pour les batteries du fait de sa grande énergie massique (soit un bon rapport entre énergie accumulée et masse), sa durabilité dans le temps et sa faible autodécharge. Idéal pour les batteries électriques ! Du coup, Philippe Escande, éditorialiste économique pour Le Monde, nous apprend que les ventes de voitures électriques ont augmenté de 64 % en Europe en 2021 ; dans Les Echos, qui reprennent les chiffres de l’association des constructeurs automobiles chinois, on peut lire que ces ventes ont enflées de 170% en Chine, où elles représentent déjà 15% des ventes de véhicules.
A travers la presse régionale, nationale et internationale, tentons de dresser l’état des lieux de la situation et de déchiffrer les enjeux géopolitiques autour de ce métal tant convoité, symbole du dilemme de la transition énergétique.

Une demande sous tension face à des capacités de production limitées

Résumons la situation. Pour Barbara Pompili, ministre de la transition énergétique, qui s’exprimait dans Les Echos le 17 février dernier, «  L’enjeu du lithium, c’est de pouvoir baisser nos émissions de gaz à effet de serre et de passer à l’électrique, ou au tout-électrique ». Dans le même article, on découvre ainsi qu’un moteur de voiture électrique contient en moyenne 50 kg de nickel, 45 kg de lithium et 7 kg de cobalt. En conséquence, l’Agence internationale de l’énergie estime que la demande en métaux critiques va quadrupler d’ici 2040. Un bond considérable, mais pas insurmontable. En revanche, concernant le seul lithium, ce n’est plus par 4 mais par… 42 que les besoins vont être multipliés à l’horizon 2040, si l’on souhaite atteindre les objectifs planétaires de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Est-ce réaliste ? En 2020, la production mondiale atteint 475 000 tonnes, rapporte Ouest-France. En 2022, l’institut Standard and Poor’s estime déjà que, pour répondre à la demande, il faudrait aller jusqu’à 640 000 tonnes, donnée reprise dans Le Monde. Sachant que l’offre de lithium, elle, atteindra au maximum 636 000 tonnes. Reste à voir comment le marché va évoluer dans ce contexte d’offre limitée, alors que le prix du lithium atteint déjà des sommets inédits.

Des prix qui s’échauffent

Parmi les plus chers métaux du monde, le lithium s’arrache à 45 000€ la tonne fin 2021, contre 6 430€ un an plus tôt, relaie Ouest-France, soit une augmentation de 700% . Une flambée qui n’est pas près de s’arrêter : depuis le 1er janvier 2022, Les Echos enregistrent une augmentation de 13%. A titre de comparaison, le cobalt et le nickel, autres métaux stratégiques utilisées dans les batteries des voitures électriques, ont progressé respectivement de 100% et de 15% en 2021, rappelle Ouest-France.

Un réseau mondial de production inégalement distribué

Mais, au fait, quels sont les pays fournisseurs et l’état de leurs gisements ? Dans l’avalanche de chiffres disponibles, il convient d’abord de distinguer les « quantités prouvées » et les « réserves estimées ». De même, quand il est fait mention de « production » de lithium, il s’agit de la quantité de lithium industriel finalement extraite. Aujourd’hui, l’Australie, sans avoir les plus grandes réserves de lithium (10% des réserves connues d’après le South China Morning Post), en est le premier producteur mondial. Le « Triangle du Lithium », ou Triangle ABC (Argentine, Bolivie, Chili), abriterait quant à lui 56% des réserves mondiales exploitables de lithium selon l’institut géologique des USA. Ensemble, l’Amérique du sud et l‘Australie fournissent aujourd’hui, à elles seules, 85% du lithium mondial, selon IHS Markit. Et la Chine ? Si sa production n’est pas négligeable, elle se distingue surtout dans la transformation industrielle du métal. On s’en doute, la répartition géographique de ces mines risque bien de « lézarder la domination des pays producteurs d’hydrocarbures » (Les Echos), au profit d’autres grandes puissances.

Un métal galvanisant les relations internationales

Guerre en Ukraine

Si la guerre déclenchée par la Russie de Poutine n’attente au marché du lithium mondial qu’à une échelle minime, elle laisse présager des menaces qui pèseraient sur l’Europe en cas de conflit armé avec, cette fois, un grand producteur de lithium. Une étude du laboratoire de recherche scientifique et technique de l’UE dresse le tableau suivant : aujourd’hui, la Russie fournit 6% des matières premières nécessaires à certaines technologies de pointe, dont les batteries au lithium. Du côté de l’Ukraine, un article de India Today sur les impacts économiques de la guerre nous informe que le pays possède des gisements dans le Donetsk, au Kirovohrad et dans la région de Zaporizhzhia. La vente de ces gisements d’envergure internationale était d’ailleurs, juste avant le conflit, au cœur d’une rude lutte entre plusieurs exploitants de lithium et, bien qu’actuellement inexploitée, cette ressource peut apparaître comme l’un des enjeux majeurs de la guerre.

La position centrale de la Chine

L’UE dépend déjà de la Chine pour de très nombreux métaux rares - notamment pour 40% des « matières premières critiques » (Les Echos). Pour le lithium, cela risque d’être encore plus prégnant.
Ainsi, la patronne du groupe Minier Eramet, Christel Bories, estime sur BFM Bussiness que l’Europe souffre d’une « double-dépendance » à la Chine concernant les terres rares : pour leur extraction et pour leur transformation. En premier lieu, la Chine profite en effet de ressources en lithium importantes sur son territoire. Le South China Morning Post du 22 février dernier affichait ainsi la découverte d’un nouveau gisement d’importance sous l’Himalaya, qui vient s’ajouter à ce qui constitue 7% des réserves mondiales connues. Ensuite, Pékin tire profit de ses nombreuses entreprises exploitant du lithium à l’étranger, en Amérique Latine, au Chili et en Argentine, au Zimbabwe… Sans oublier que ses hommes d’affaires s’intéressent de près au Canada, à la Zambie, au Ghana. « Les entreprises chinoises constituent les plus gros acheteurs et investisseurs dans les mines de lithium autour du monde  » conclue le South China Morning Post. Toutefois, la Chine et ses firmes ne se contentent pas d’exploiter ce métal : en 2020, elles ont transformé 60% du lithium mondial selon le New York Times, et Le Monde nous apprend que 107 des 142 raffineries de lithium sont basées sur le territoire chinois.

L’inquiétude des US et des Européens face au potentiel chinois

Une suprématie qui n’est pas au goût de tout le monde. Ainsi, le South China Morning Post relève que l’administration Biden vient de rendre un rapport sur la dépendance américaine au lithium Chinois. Conclusion ? « Une vulnérabilité critique du futur de l’industrie automobile des Etats Unis ». Sachant le président des Etats Unis souhaite que 50% des véhicules vendus en 2030 soient électriques (CNN Business).
L’Europe, elle aussi, s’inquiète de l’hégémonie chinoise, alors que ses besoins en métaux critiques n’ont jamais été aussi importants, avec l’interdiction de la vente de voitures thermiques envisagée en 2035 et cet autre objectif : passer des 3% actuels de batteries fabriquées sur le continent à 25%. Les constructeurs automobiles ne sont pas en reste : Ainsi, Renault a déclaré ne vouloir produire que des voitures électriques d’ici 2030 (Ouest-France).

France, un circuit en panne ?

La France transforme déjà du lithium et produit des composants de voitures électriques sur le territoire. Et Le Monde de citer notamment Blue Solutions du Groupe Bolloré, en Bretagne, qui produit des batteries, sachant que d’autres usines devraient sous peu voir le jour : Stellantis avec TotalEnergie et Envision de Renault dans les Hauts de France. Ouest-France complète la liste en mentionnant l’industrie Vektor en Isère. Voilà pour la transformation, où la France accuse néanmoins « 20 ans de retard sur la Chine  » (M. Varin, ancien président de France Industrie). Et importe 100% de son lithium…
La France pourrait-elle disposer de ses propres ressources ? Prenez le rapport Varin de Janvier 2022 sur la sécurisation de l’approvisionnement en matières premières minérales ; Ajoutez-le au rapport 2018 du BRGM (Bureau de Recherche géologique et Minière) faisant état de 41 gisements de lithium connus sur le territoire français. Et vous obtenez un fond d’investissement d’un milliard d’euros débloqué par l’Etat, avec un appel à projet pour le développement de mines et la transformation de lithium dans l’Hexagone. Pour encourager des entreprises et méthodes plus respectueuses de l’environnement et rassurer les populations, Ouest-France indique que les pouvoirs publics souhaitent également créer un label « mine responsable ». Sans oublier des « contrats d’importation de long terme  » avec des normes sociales et environnementales précises.

Le lithium, symbole du paradoxe énergétique.

Pour autant, l’exploitation de lithium en France rencontre déjà ses premiers obstacles. Dans le Finistère, le gisement sous la baie d’Audierne est le deuxième filon connu le plus important de France. Or, alors qu’aucun projet d’exploration du sous-sol n’est encore officiellement lancé, la population locale fait déjà savoir son désaccord. Après une importante mobilisation sur les réseaux sociaux, les habitants se sont réunis à Tréguennec le dimanche 27 février pour que reste intouchée cette zone catégorisée Natura 2000. Un événement qui fait écho à l’abandon du projet de Rio Tinto par le gouvernement Serbe en janvier, face à l’opposition massive de la population.
Voilà bien le paradoxe : pour atteindre la neutralité carbone, nos sociétés, loin d’adopter une stratégie de sobriété, lancent de nouveau une course technologique effrénée, nécessitant d’autres ressources non renouvelables.

Revue de presse du 07/03/2022

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