27/02/2024
[BorderLine] Surtourisme : une fréquentation contre nature ?
Nature du document: Contributions

Le « sur » tourisme, un point de bascule

Des canaux de Venise aux falaises d’Etretat, de plus en plus de lieux peinent à gérer l’afflux de visiteurs. Qualifiée de « surtourisme », cette hyperfréquentation pose notamment question dans les espaces naturels, qui doivent combiner passage des promeneurs, préservation de ces milieux, et maintien des activités humaines existantes. Pourtant, si la fréquentation de certains sites augmente, faut-il parler de « surtourisme » ? La prochaine rencontre BorderLine du 23 avril 2024, organisée par la Mission Agrobiosciences-INRAE (MAA-INRAE) et le Quai des Savoirs, propose de s’interroger sur ces aspects. Pour préparer la rencontre, diversifier les points de vue et les retours d’expérience, un appel à contributions a été lancé. Marie-Julie Filippini, consultante à KIPIK Conseils et professeur de tourisme, livre ici son ressenti sur le sujet.

Marie-Julie Filippini : "Un territoire a une certaine capacité d’absorption de visiteurs. Celle-ci est liée à sa configuration en termes géographiques, de services, d’équipements, de niveau de naturalité et de sensibilité à la présence humaine. L’équilibre peut se rompre à des niveaux de fréquentations très divers. Par exemple, un territoire rural de montagne, peu équipé en offres d’hébergement et présentant des espaces naturels sensibles, peut être rapidement dépassé.
Cela s’observe sur le terrain par des dégradations de l’espace naturel : chemins abîmés, présence de déchets, « wc sauvages », traces de feux de bivouacs répétées et anarchiques… La liste est longue. Il y a aussi des dégradations de nature « sociales ». Avec, par exemple, des agriculteurs qui rejettent les « étrangers » n’ayant pas les « bons comportements ». Comme quand ces derniers ouvrent les clôtures et ne les referment pas, ou encore piétinent un pré de fauche. Ou bien, lorsque les habitants subissent des hausses de prix au supermarché local en période de forte affluence touristique, ou encore quand les locaux rencontrent des difficultés de circulation et en veulent à ces mêmes touristes. C’est-à-dire, plus largement, lorsque cela relève de conflits d’usage.
Finalement, cette situation arrive quand le territoire ne peut pas offrir aux visiteurs ce qu’ils sont venus chercher comme la liberté, l’exploration de la nature, la tranquillité, la convivialité avec les locaux… les touristes recherchent surtout de l’accueil, tout simplement.

Le point de bascule du « sur » tourisme, c’est lorsque se produit de l’insatisfaction côté locaux et côté touristes.

Le « sur » tourisme ne me semble pas spécifique d’un type d’espaces, ni lié à une fourchette de fréquentation. Je pense qu’il s’apprécie de manière très précise sur un espace avec l’ensemble de ses spécificités. De plus, le phénomène est souvent réversible… Si ce n’est pas le cas, il se transforme en surfréquentation plus chronique liée à des spots touristiques.
Par exemple, le Covid a exacerbé certaines attentes des visiteurs. Elles ont conduit des populations d’origine urbaine à rechercher, en territoires de campagne ou de montagne, des sensations de liberté et d’espace. Des personnes habituées à des niveaux et types de services de zones dédiées au tourisme, de type stations balnéaires ou de montagne, ont abordé des territoires moins équipés avec ces envies de consommation. Avec leurs besoins et motivations, elles ont pu ressentir de la frustration : hébergements complets, attentes en restauration, faiblesse de l’offre d’activités par rapport à leur référentiel. Ces touristes ont parfois pu développer un certain ressentiment vis à vis des destinations qui n’étaient pas en capacité de les recevoir.
Cela s’est par exemple produit autour du Puy Mary - emblème cantalien d’un territoire montagnard rural et protégé par une mesure Grand Site de France - plus habitué au tourisme diffus que quantitatif. Heureusement, l’équilibre est revenu depuis la saison 2023. Mais la crise a laissé des séquelles chez les hébergeurs, les restaurateurs et les prestataires d’activités qui se sont sentis dépassés et agressés. Il faut dire qu’ils l’ont parfois été par des touristes à bout de nerfs. De plus, le malaise ressenti et exprimé par certains professionnels a pu être mal interprété par les pouvoirs politiques locaux. Ces derniers étant plutôt satisfaits de voir leurs investissements en communication touristique enfin récompensés par du flux. « Ils ne veulent pas travailler ! », ont-ils pensé des prestataires épuisés.
C’est ce que l’on a pu également observer du côté de la montagne basque. Ce territoire n’a pas réussi à gérer l’augmentation de bivouacs sauvages, ni le stationnement des vans, générant brusquement des nuisances importantes pour l’agropastoralisme. Il a fallu réfléchir au moyen de contenir les comportements inadéquats, avec de la pédagogie plutôt que de la coercition.
Le « sur » tourisme est donc une forme de mésusage d’un espace, provoqué par un nombre de visiteurs supérieur à ce que le territoire est en capacité d’absorber, dans de bonnes conditions et sans produire d’insatisfaction. Tous les espaces peuvent y être potentiellement confrontés, ce n’est pas du « tourism bashing », c’est une réalité."


Rendez-vous le mardi 23 avril 2024, de 18h00 à 20H00,
Agora du Quai des Savoirs (39 All. Jules Guesde, 31000 Toulouse) ou en ligne. En savoir plus
Gratuit et ouvert à tous les publics sur inscription auprès de la mission agrobiosciences

Vous aussi, contribuez au débat

Pour préparer en amont la rencontre, diversifier les points de vue et les retours d’expérience, la Mission Agrobiosciences-INRAE lance un appel à contributions ouvert à toutes et tous, spécialistes du sujet comme néophytes. Plus précisément, elle soumet à votre sagacité deux questions :

1/ Que désigne selon vous le terme « Surtourisme » ? A quoi l’associez-vous ?
2/ Plusieurs expérimentations (quotas, réservations...) visant à encadrer la fréquentation touristique des sites naturels ont été mises en place ces dernières années. Qu’en pensez-vous ?

Vous pouvez également, si vous le préférez, nous partager un retour d’expérience sur ce sujet du surtourisme dans les espaces naturels. Envoyez-nous vos contributions en une page maximum (4000 signes max) à mission-agrobiosciences[@]inrae.fr , jusqu’au dimanche 14 avril 2024. Après validation, celle-ci sera publiée sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences-INRAE.

Contribution de Marie-Julie Filippini, KIPIK Conseils et professeure de tourisme

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