Bienvenue à zombie land
Technologie zombie. Avouez que le terme a un certain panache, tant il semble tout droit sorti des pages d’un roman de science-fiction. Pourtant, en dépit des apparences, les technologies zombies ne sont pas une trouvaille littéraire mais un concept, proposé par le physicien José Halloy. Plus précisément l’expression désigne des technologies non soutenables parce qu’« elles reposent sur des ressources non renouvelables ou ont une durée de vie courte au regard des déchets qu’elles génèrent et qui, eux, ont une durée de vie très longue » résume le philosophe Alexandre Monnin(1)... avant de sortir de sa poche un smartphone, pour illustrer son propos.
Les technologies zombies s’opposent ainsi aux technologies vivantes, lesquelles sont sobres en énergie ou s’insèrent dans des grands cycles de recyclage de ses composés. Un exemple ? Actuellement, le traitement des eaux usées s’effectue dans de vastes bassins d’aération qui nécessitent une grande quantité d’énergie pour fonctionner. Chercheur à INRAE en biotechnologies microbiennes, Théodore Bouchez et son équipe mènent un travail de recherche pour que ce soient des micro-organismes qui opèrent cette dépollution, via des procédés dits « bioélectrochimiques ».
Ceci étant précisé, tout l’enjeu va consister en l’identification de critères permettant de classer une technologie dans la catégorie « zombie » ou « vivante ». Claire sur le papier, la distinction est nettement plus subtile dès lors qu’on passe à la phase de travaux pratiques. Prenons la voiture. Parce qu’elle fonctionne au pétrole et génère des gaz à effet de serre, la voiture à moteur thermique est clairement une technologie zombie. Fastoche. Mais électrifier tous les moteurs, pour les décarboner, est-ce vraiment la panacée ?
Pas forcément, avance A. Monnin. Electrifier une petite voiture ne va pas nécessiter la même quantité de métaux que pour un modèle plus lourd type SUV. Dans ce dernier cas, il faut trois à cinq fois plus de métaux, selon les estimations opérées par des ONG comme le WWF. Sans compter la tension que cela peut générer sur les ressources minières – cobalt, lithium(2) - entrant dans la composition des batteries… La conclusion ? Il faut procéder par étape et ne pas s’arrêter au seul passage à l’électrique. « L’électrification est intéressante si elle devient une étape vers la refonte du modèle de la mobilité » conclut A. Monnin. Tout en précisant que « l’électrification des SUV est une mauvaise idée ».
La technologie prise au mot
Pour illustrer cette difficulté – voire cette ambivalence – le philosophe Vincent Bontemps, du CEA, cite l’exemple, plus ancien, de l’usine marémotrice de la Rance mise en service au milieu des années 1960. Le principe : utiliser le (re)flux des marées pour produire de l’électricité. Reste que cela contrarie le mouvement naturel des marées ce qui, pour l’usine de la Rance, a provoqué au moment de sa mise en route « l’effondrement de l’écosystème antérieur ». Technologie zombie ? Ce n’est pas aussi simple. Car au fil des ans, un autre écosystème s’est mis en place, favorable aux espèces plus petites, capables de passer au travers des hélices. En résumé, « qu’est-ce qu’une bonne production d’électricité ? A travers cet exemple, on voit que l’on a un dispositif qui a un impact négatif sur son environnement immédiat mais qui, a plus long terme et sur une échelle plus large, a un effet positif car il contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre » analyse-t-il.
A ses yeux, il faut cesser d’opposer ‘high tech’ et ‘low tech’ et opter pour une position tierce. A savoir : mobiliser les technologies dès lors qu’elles permettent d’atteindre des objectifs de durabilité tout en actionnant d’autres leviers comme la sobriété. Cette posture a un nom : la « right tech », ou technologie adéquate.
Zombie, vivante, low, high ou right… Aux Utopiales, la technologie se cherche un nom.
Technologie de l’avenir, avec Alexandre Monnin (Origens Medialab), Vincent Bontemps (CEA), Théodore Bouchez (INRAE), animée par Quentin Lazzarotto, samedi 4 novembre 2O23.
Visuel : affiche des la 24ème édition des Utopiales, par Elene Usdin