Mission Agrobiosciences. Vous êtes économiste et vous connaissez parfaitement le marché mondial des semences. Que vous inspirent les résultats annoncés par Monsanto ? Que pèse vraiment cette entreprise ?
Philippe Chalmin. Monsanto est la première entreprise mondiale dans le secteur des semences et la plus en pointe dans le domaine des biotechnologies végétales, notamment. On voit bien qu’elle fait partie du problème. Il faut appeler un chat un chat.
La position monopoliste de Monsanto dans le domaine des céréales est incontestablement un problème, à mon sens beaucoup plus grave que ceux soulevés par les débats douteux auxquels nous assistons suite à la publication des résultats de Séralini. Peut-il ainsi exister une société en situation quasi-monopoliste dans un domaine ? Toutes choses égales par ailleurs, le semencier américain est dans la même position que celle de Microsoft, il y a quelques années, dans le domaine de l’informatique.
Je n’ai pas regardé les résultats trimestriels de Monsanto dans le détail, mais je ne pense pas que ces derniers aient quelque lien avec l’affaire Séralini, ni que ces résultats vont faire trembler le géant.
Et puis, Monsanto a depuis de nombreuses années un système de croissance que je qualifierais presque de stalinien, en ce sens que c’était tout ou rien. Ils étaient dans une situation telle de domination du marché qu’ils pouvaient s’offrir le luxe « d’éliminer » tous ceux qui n’étaient pas de leur bord. Je pense que les années affichant ce type de croissance sont probablement passées. Tout comme Microsoft, dont on voit bien la crise de croissance, Monsanto connaîtra également une crise. Du point de vue de l’analyse économique, il est très difficile de rester longtemps en situation monopoliste.
Y a-t-il, dans le monde, une montée des résistances des opinions publiques contre Monsanto, ou une multiplication de procès intentés par des agriculteurs, notamment devant la Cour suprême des États-Unis [1] ?
Il y a eu des résistances au Canada et ailleurs. Il est vrai que la stratégie très impérialiste de Monsanto ne peut pas ne pas avoir de conséquences dans nombre de pays, autant pour des agriculteurs qui utiliseraient des semences Monsanto, sans en payer les royalties, que pour des agriculteurs qui se trouvent « pollués » par des semences OGM qui seraient passées dans leur champ.
Sans que ce soit mon domaine, je trouve que l’on est confronté, là, à des résistances légitimes, de la même manière que l’on peut s’opposer à une industrie pharmaceutique qui détiendrait une molécule et empêcherait le développement de médicaments génériques.
Le droit de propriété appliqué au vivant reste un problème que l’on n’a toujours pas résolu et qui se posait déjà lors de la Révolution verte. A cette nuance près : la Révolution Verte était menée par les institutions publiques.
Justement, la FAO [2] vient de lancer une conférence électronique « Les OGM en chantier » destinés aux pays en voie de développement. Face à des poids lourds comme Monsanto, pensez-vous qu’il reste une place pour des recherches et des brevets publics dans ce secteur pour les pays en développement ? Dans ce genre de débats, les dés ne sont-ils pas jetés d’avance ?
Le drame est que les faucheurs ont eu quand même un impact : ils ont massacré la recherche publique.
Française…
Pas seulement française, mais la recherche française était sans doute la plus avancée. Il ne faut pas oublier que toutes les grandes variétés hybrides, notamment de maïs, qui ont fait la fortune de Limagrain étaient d’abord des variétés Inra. Il est vrai que dans de très nombreux pays, la recherche publique s’est trouvée remise en cause pour de bonnes ou de mauvaises raisons.
Certains pays ont continué… La Chine, par exemple, où je me suis rendu, il y a peu de temps. Mais quand je demande aux Chinois s’il « y a des céréales Ogm cultivées en Chine », c’est silence radio. C’est évident, la Chine est avancée dans ce domaine-là. Cela pour dire qu’il y a toujours de la place pour des découvertes et que le modèle impérialiste de Monsanto sera de plus en plus remis en cause.
Reste que je persiste à dire que la manipulation de GE Séralini est dangereuse. Pour un scientifique pur et dur, il a un sens du marketing très développé !
GE Séralini va peut-être faire bouger les lignes...
Non, car le problème c’est que nous sommes, avec cette histoire, dans un temps de l’approximation : il remet en cause le principe des OGM. Le NK 603 est dangereux ? De toute façon, ce n’est pas un OGM très intéressant. GE Seralini ne fait qu’apporter du grain à moudre à des gens opposés à toute forme d’OGM.
Or, je continue à dire que le problème alimentaire mondial ne sera pas réglé par les seules biotechnologies, mais qu’elles peuvent aider. Pour ma part, j’attends des OGM qui fassent vraiment beaucoup bouger les lignes, des plantes qui pourraient résister à des stress hydriques ou réaliser la synthèse de l’azote, donc éviter l’apport d’engrais azotés. Car il est vrai que notre agriculture intensive reste basée sur le modèle de la Révolution verte : eau, engrais et phyto. Et il va bien falloir économiser l’eau, réduire les engrais et les phytos.
C’est pourquoi, je pense que l’objectif de multiplier par deux la production agricole mondiale peut être réalisé par l’agriculture raisonnée et par de bonnes politiques agricoles dans les pays du tiers-monde. Maintenant, face aux défis de l’environnement, il me semble que l’on doit également poursuivre la recherche dans le domaine génétique.