Le solarpunk, rayon d’utopie dans un monde morose

À toute heure et dans tous les médias, le pessimisme prime. Collapsologie, crises à répétition et déclin annoncé de notre civilisation contaminent même les univers de fiction. Mais oublions les visions pessimistes dont nous avons été abreuvés pendant des années : sociétés corrompues et inégalitaires, pollution et apocalypses en tous genres font place à un nouveau courant artistique, porteur d’espoir.
Au commencement, c’est-à-dire avec Neuromancien il y a 40 ans à peine, il y avait le cyberpunk. Une branche nihiliste de la science-fiction, une anticipation proche basée sur un mot d’ordre : l’échec post-industriel. Issue de la jeunesse et des milieux populaires, on la rattache au punk (plus qu’une musique : une esthétique et une vision du monde) car elle en partage les grandes thématiques. Les inégalités sociales, la corruption, le consumérisme, Internet et l’obsession d’une norme sont les cinq cavaliers d’une apocalypse programmée, racontée à la sauce underground. La littérature, la bande dessinée, le cinéma et les jeux vidéo proposent bientôt un immense catalogue déclinant ces dérives à combattre : Akira, Ghost in the Shell, Tron, Matrix, Blade Runner…
Dans le cyberpunk, les ruelles crades et sombres éclairées par des néons blafards abritent toute la misère d’un monde ultraviolent à l’ombre d’immeubles titanesques où s’entasse la caste dirigeante, sous un ciel noir de pollution et de désespoir, lourd de la menace perpétuelle d’un État autoritaire qui sait tout de vous – le contrôle de l’information étant une composante essentielle de cet avenir, 1984 peut être vu comme un précurseur du genre. Toute la basse-ville n’est plus peuplée que de zonards modifiés (car la robotique aussi est omniprésente) à la sexualité souvent déviante et accros à diverses substances. L’antihéros cynique incarne les grains de sable enrayant – parfois en vain – les abus des mégacorporations, des services paragouvernementaux et des mafias.
De là apparurent le biopunk (à base de manipulations génétiques, ex : Jurassic Park) puis des courants de « rétrofuturisme », réinventant le passé avec des éléments anachroniques, qui délaissaient ces problématiques sociétales et n’ont plus de punk que le nom. Le steampunk, soit l’époque victorienne à toute vapeur, avec en filigrane le début de l’exploitation des masses populaires. Le dieselpunk, ivresse d’essence n’ayant pas rencontré son public, dans un contexte tiré de l’entre-deux-guerres. L’electropunk, courant alternatif en émergence, où la découverte de l’électricité n’est pas du tout une bonne nouvelle pour le monde.
Puis arrive le solarpunk. Finie, la morosité ! Adieu, le mal de vivre ! Le futur sera écolo, ou ne sera pas.
Quelle place pour la technologie ?

L’emblème du solarpunk est parlant : un objet moitié soleil et moitié engrenage, sur fond vert et jaune. C’est tout l’ADN de ce mouvement, où le progrès ne sert plus à aliéner l’humanité et la nature dans son ensemble (à l’inverse du cyberpunk), mais à les sauver… à condition d’être orienté correctement. Les manières de faire divergent selon les auteurs, car c’est un courant encore assez neuf (la première anthologie solarpunk est parue en 2012), mais tous s’accordent à dire que cela viendra des énergies renouvelables – dont le solaire.
Une autre force qui jamais ne s’épuisera, c’est « l’huile de coude ». L’envers de la high-tech, la basse technologie (ou low-tech), est une démarche au cœur du solarpunk reposant sur quelques principes simples : remplacer les machines par des artisans, réutiliser ou recycler au maximum pour réunir l’empreinte carbone, économiser les ressources, construire sans obsolescence, sortir d’une logique de compétitivité au profit de la convivialité, relocaliser, réapprendre à se contenter de peu, sans oublier le fameux bricolage do-it-yourself.
Néanmoins, le low-tech sonne le glas de notre confort moderne. Voilà pourquoi d’autres rêveurs proposent un solarpunk différent : celui de l’ultra-technologie verte. Pour peu de trouver des sources d’alimentation suffisantes et de se passer des terres rares dont l’extraction est très polluante (nous n’avons aucune solution à l’heure actuelle), il est possible d’imaginer un avenir avec le beurre et l’argent du beurre : chaque maison serait coiffée de panneaux solaires, avec des écrans holographiques permettant de contrôler en permanence les constantes de notre milieu et des champs où l’on génère des nuages de pluie à volonté.
Une société à réinventer
Le solarpunk est également la promotion d’un art de vivre. Il reprend tous les combats sociaux de son ancêtre, mais leur trouve des solutions. Il faut d’abord mettre en place un modèle économique différent : la fin des marchés mondiaux, du grand Capital et de l’exploitation à outrance des ressources, dans une démarche d’anticonsommation, couplées au partage généralisé des propriétés physiques (outils et machines mais aussi lieux de travail collaboratif) et intellectuelles (comme les logiciels en open source).
Puis, aller plus loin dans les limites de la possession : le solarpunk se rêve en écovillages, avec des cohabitats au sein de maisons plus responsables (de type géonef) et un jardinage collectif, conduisant à l’autosuffisance végétarienne voire végétalienne, selon un autre système agricole reposant sur l’agroécologie, la polyculture et même la permaculture – remplaçant les insecticides par les prédateurs naturels, par exemple.
Cela s’accompagne d’améliorations politiques et sociales : de l’inclusion jusqu’à l’égalitarisme, la décentralisation – il n’a pas encore été fait mention d’États dans le solarpunk, juste de petites communautés sans hiérarchie et pratiquant la démocratie participative, donc on peut y supposer un anti-autoritarisme atavique à tendance anarchiste – et, à la racine de cela, une éducation alternative où l’expérience de la réalité succède à l’accumulation sans but de savoirs savants.
Pour ce qui est du cadre de vie, ce futur passe par une refonte des bâtiments. Illustrateurs et créateurs de vidéo s’en donnent à cœur joie dans un style combinant bobo chic, Art Nouveau et immeubles végétalisés. Les environnements dépeints sont lumineux, harmonieux, pleins de courbes, mélangeant diverses origines, avec beaucoup de blanc côtoyant verts tendres et bleus vifs.
Enfin, il y a la psychologie positive : voir le monde en mieux, réapprendre aux gens à se satisfaire de ce que la nature offre, se libérer du stress. Être heureux. L’alpha et l’oméga de ce système : ces aspirations nouvelles seront le moteur du changement de nos modes de vie et, en retour, les améliorations sociétales fourniront tout le nécessaire à notre bonheur.
Si les punks d’antan criaient « No Future », ils ont maintenant un autre message : oui, un avenir meilleur est possible ! Il est de notre responsabilité collective de le concrétiser, et sans attendre !