16/06/2008
Le billet de la Mission Agrobiosciences. Juin 2008.
Nature du document: Chroniques
Mots-clés: Eau

L’eau en débat à Saragosse et dans toute l’Europe.

Vendredi dernier, 13 juin 2008, se déroulait à Saragosse, capitale de l’Aragon, l’inauguration de l’Exposition internationale sur le thème de l’eau et du développement durable. Comme le souligne le Nouvel observateur du 15 juin, cette Expo "entend conduire les visiteurs (...) à une réflexion sur les problématiques de l’eau." A celle-ci s’ajoute une "Tribune de l’eau", succession de rencontres scientifiques et de Forums de débats citoyens sur la disponibilité et la gestion de l’eau.
Justement. L’eau est un thème qui fait débat, au sens propre du terme. On ne compte plus les forums organisés sur cette question. Reste ceci : cette grande quantité de débats garantira-t-elle la qualité des eaux en 2015 ? Et à quel prix ? C’est à cette réflexion que nous convie Jean-Claude Flamant, dans ce nouveau billet de la Mission Agrobiosciences.

Une grande quantité de débats garantira-t-elle la qualité des eaux en 2015 ? Et à quel prix ?
Le billet de la Mission Agrobiosciences, par Jean-Claude Flamant, juin 2008

"14 juin 2008, ouverture de l’Exposition Internationale de Saragosse. Un évènement d’ampleur mondiale consacré au thème « Eau et développement durable ». Dans son dossier de candidature, la capitale de l’Aragon avait de beaux arguments à faire valoir. A la base de son inspiration, sa position géographique au confluent de deux cours d’eau, le rio Gallego et le rio Huerva, avec le plus grand fleuve d’Espagne, l’Ebro, ce qui lui vaut une réputation d’oasis acquise au long des siècles au cœur de territoires où la pluviométrie moyenne est seulement de l’ordre de 250-300 millimètres par an, soit moins de la moitié de ce qui tombe de l’autre côté des Pyrénées. L’eau a une signification telle en Aragon que les terres agricoles s’y désignent en référence à leur possibilité d’accès à l’eau : les secanos (terrains de cultures en sec) et les regadios (périmètres irrigués).
Mais surtout, Saragosse a convoqué le monde à se retrouver dans un grand méandre du fleuve, aux portes de la cité, sur un élément devenu un enjeu majeur pour nos sociétés : l’eau. Une centaine de pays vont y participer. On y attend 6 millions de visiteurs. Outre la mise en scène et le spectacle d’une manifestation internationale de cette ampleur, les concepteurs de l’Expo ont jugé indispensable d’organiser une « Tribune de l’Eau », une succession ininterrompue de rencontres scientifiques et un Forum permanent de débats citoyens sur la disponibilité et la gestion de l’eau.

Cette logique de débat constant sur des enjeux de société coïncide justement avec la 2ème phase de débats organisée dans tous les pays de l’Union Européenne à l’initiative de leurs gouvernements à propos de la traduction, bassin par bassin, de la Directive Cadre (23 octobre 2000) sur « le bon état des eaux ». Initiative inédite et unique par son ampleur et la synchronisation qu’elle suppose. Une première phase s’était déroulée en 2006 pour initialiser un processus conduisant à élaborer des schémas directeurs de bassin devant assurer le bon état des eaux en 2015. Mais pourra-t-on effectivement y parvenir ? Les avis sont partagés. De l’incrédulité, voire de la dénonciation, s’exprime de la part de certaines associations. Le modèle agricole d’intensification combinant engrais et pesticides est notamment montré du doigt.

Quelle que soit l’issue, je ne peux m’empêcher de pointer la différence de traitement entre les enjeux de l’eau et ceux des OGM. Le contraste est frappant : les OGM, c’est aujourd’hui un non débat où chaque partie campe sur des positions apparemment irréductibles qui s’expriment par médias ou tribunaux interposés. Autre grand sujet de société aujourd’hui, le changement climatique. Il fait d’abord l’objet d’une procédure exemplaire à l’échelle mondiale, associant scientifiques et décideurs politiques, mais où l’implication citoyenne dans le débat public est encore balbutiante.

Le coût d’une mise en débat de grande ampleur organisée sous la responsabilité publique est non négligeable. Ainsi, le gouvernement britannique a monté en 2003 un débat sur les OGM à l’échelle nationale. En France, la procédure mise en place par la Commission Nationale de Débat Public pour des projets d’équipements d’un montant minimum de 300 millions d’euros a un coût de l’ordre de plusieurs centaines de milliers d’euros par débat. Quel est le bénéfice attendu de telles entreprises ? Il est légitime de se poser la question. Le travers serait de débattre pour débattre sans se préoccuper du fond et de l’issue : un débat alibi en quelque sorte. De toute manière, disent les sceptiques à propos des débats sur l’eau, les arguments sont archi connus et les experts de la bonne qualité des eaux savent ce qu’il faut faire ! Quant aux opposants, pour certains la logique est celle du combat et non du débat. J’ai entendu les opposants au projet de retenue de Charlas dénoncer quinze années d’absence de dialogue, un « non débat » qui justifiait à leurs yeux une position radicale.

Ce rapide tour d’horizon de l’actualité a pour objet de faire le constat que la mise en œuvre d’une procédure de débat public a un coût sans que son bénéfice soit clair. Pour parvenir à poser la question : le non débat n’a-t-il pas également un coût social, sinon même économique, en empêchant l’expression et la rencontre de différents points de vue, avec pour conséquences des blocages sans issues !"

Accéder aux précédents billets de la Mission Agrobiosciences :

Par Jean-Claude Flamant, de la Mission Agrobiosciences.
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