01/04/2006
Lu, vu, entendu
Nature du document: Chroniques
Nature du document: Notes de lecture
Mots-clés: Génétique , Gouvernance

"Je est un clone" 2

Copyright Genopole

Toulouse 15h, Montréal 9 h : la communication s’établit et chacun aperçoit le visage de ses interlocuteurs. La visioconférence, à l’initiative d’Anne Cambon-Thomsen, (responsable d’équipe Inserm U558, de la plate-forme "génétique et société" de la Genopole Toulouse Midi-Pyrénées et ancien membre du CCNE), regroupe dans la salle de la Station d’Amélioration de Génétique des Animaux (Saga, Centre Inra de Toulouse) des étudiants de l’école doctorale « Biologie, Santé, Biotechnologies de Toulouse », dans le cadre du module : « Aspects éthiques de la recherche et enjeux de société », ainsi que Joël Gellin (directeur de recherche Inra) et Jacques Lefrançois (généticien et philosophe). De l’autre côté de l’Atlantique, sont rassemblés autour de Lyne Létourneau (Docteure en droit, professeure sous octroi au département des sciences animales, chercheure au Centre de recherche en biologie de la reproduction, Université Laval) Marc-André Sirard (Professeur, département des sciences animales, directeur du Centre de recherche en biologie de la reproduction, Université Laval), Claude Robert (Professeur, département des sciences animales, Chercheur au Centre de recherche en biologie de la reproduction, Université Laval), des étudiants de l’Université de Laval et bien entendu, de l’auteur du livre en discussion ce vendredi 8 Avril 2005, Mark Hunyadi (Professeur à la Faculté de philosophie, Université Laval). Avec l’assentiment de tous, Lyne Létourneau anime la séance.

Très vite, un véritable échange entre les étudiants, les professeurs et l’auteur s’installe. La grille préparée par Lyne Létourneau est vite dépassée par le flot des questions préparées par les étudiants. Ambiance conviviale pour un échange de haut vol : voici quelques unes des nombreuses questions posées à l’auteur.

Le clone, prisonnier de son donneur de noyau ?

Rappelons tout d’abord que, selon l’auteur, le point de vue essentiellement adopté dans la littérature lorsque l’on aborde la question du clonage, n’est pas celui du clone. On parle « à la troisième personne : il faut se mettre à la place du clone » car « cela change quelque chose pour le cloné que de se savoir prédéterminé, que ses parents ne veulent pas seulement un enfant, mais cet enfant ». Ainsi, selon Mark Hunyadi, lorsque l’on se sait fabriqué à l’image de quelqu’un d’autre, il devient impossible de s’affranchir du donneur de noyau : « si nous tenons à l’autonomie, alors prenons garde au clonage ». Les élèves de l’école doctorale le questionnent alors sur les fondements de « cette impossibilité de s’affranchir ? », car comme le remarque immédiatement Jacques Lefrançois, que l’on soit conçu ou pas par la technique de clonage, « personne ne décide de naître ». Autrement dit, nous sommes tous soumis à l’intention de notre géniteur. Mark Hunyadi précise sa pensée : « l’aléatoire (à l’œuvre dans la reproduction) préserve l’altérité : avec le clonage, l’effet de surprise disparaît ». En outre, on ne peut éviter la « comparaison permanente entre le cloné et le donneur de noyau » ou, comme le dit un élève canadien, « le clonage diminue la marge disponible pour développer son identité ». N’existent-ils pas, néanmoins, d’autres facteurs, autres que le clonage, qui interfèrent avec la construction personnelle ?
Cette question de la construction de soi apparaît encore plus problématique au moment de l’adolescence car, comme le souligne Anne Cambon-Thomsen, « on se positionne (à ce moment de son existence) en tant que personne, en mettant de la distance par rapport à sa biologie », c’est-à-dire souvent en réagissant contre ses parents biologiques, parce ce que l’on se sait unique. « Ce n’est pas vrai pour le clone ». Encore une difficulté à laquelle il devrait faire face. L’auteur acquiesce : « C’est une des choses qui va de soi : on est autre que tout autre ». Or cette vérité n’est plus lorsqu’il s’agit de clonage. « Quelque chose de fondamental change ». Le cas des bébés éprouvettes qui perçoivent un sentiment d’irréalité comme celui des jumeaux qui présentent des problèmes de positionnement, d’altérité propre, laissent effectivement supposer que le clone aurait des difficultés à se construire une identité propre. Pourtant, selon Jacques Lefrançois, si l’on conserve le point de vue du clone, le fait de devenir soi-même, différent de tous, commence par l’identification à l’autre et, c’est d’abord un mystère. Tout est à inventer : le fait que le donneur de noyau ait transmis son génome ne change rien. La « causalité de l’esprit », Jacques Lefrançois reprend ici les termes de l’auteur, écrit toujours sur une page presque blanche au regard de ce qui s’écrit.

Le génome fait-il l’homme ?

La question du génome est posée par Joël Gellin qui constate que les pro comme les anti clonage reproductif mobilisent le même argument : le génome. Or « le génome ne fait pas tout ! » car le fait que le clone et le donneur de noyau possèdent un patrimoine génétique identique ne "garantit" pas une totale similitude entre les deux. Constatation partagée par l’auteur, qui néanmoins précise : si le cloné n’est pas à l’identique, « il se sait avoir été désiré à l’identique ».

Le clone peut-il se sentir accepté et pouvons-nous accepter le clone ?

Cette question fut abordée sous deux angles. Le premier a trait au cadre législatif. Depuis 2003, toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne humaine est condamnée et sanctionnée par le code pénal français. Ici, ce n’est pas le cadre juridique qui est discuté, c’est la position adoptée par les législateurs. Ainsi, « la question de l’altérité peut être renversée » comme le souligne Anne Cambon-Thomsen. Si du point de vue de la biologie, « chacun est unique », du point de vue de la société, « le clone est tout autre par rapport au reste de l’humanité »... « Cet aspect n’a pas été considéré par les législateurs : ils sont restés dans la troisième personne ». A ce titre, Jacques Lefrançois cite l’exemple des enfants nés de l’inceste. La loi française n’interdit pas l’inceste entre adultes consentants. Par contre, il est impossible de mentionner lors de leur inscription à l’état civil, le nom des deux parents. Dans ce cas, comme celui du clonage « n’est-ce pas le législateur qui se défend plus qu’il ne défend le clone.... ? ». Cette position est apparemment partagée par l’auteur : « on ne se donne pas les moyens juridiques d’accepter le clone ».

Le deuxième angle nous ramène indirectement aux valeurs sociétales qui déterminent ce qui est acceptable ou pas. Ainsi Lyne Létourneau se demande si le clone n’est pas contaminé par un stigmate social « comme il y en a déjà eu, pour les enfants nés hors mariage autrefois. Ce stigmate pourrait être minimisé ». Elle questionne alors l’auteur sur la position à adopter selon lui, face aux représentations sociales, « faut-il ou non résister ? ». « Le clonage engendre une réaction de peur chez les gens (le clonage, quelle horreur !) » lui répond Mark Hunyadi. D’une part, ce dégoût, cette tendance spontanée, sont une « catégorie fondamentale de notre grammaire » et d’autre part, la peur face au changement constitue un trait caractéristique du psyché humain. Néanmoins, « le philosophe n’a pas à répondre à la question » (de savoir si l’on doit ou pas résister au changement).

Le clone a-t-il une âme ?

Vaste question posée à l’auteur par les élèves de l’école doctorale qui nous amène implicitement à nous questionner sur la religion et le clonage : quelles sont d’un point de vue spirituel les limites du clonage sachant que cette technique remet purement et simplement en cause la notion de création divine ? Dans ce contexte, le clone lui-même peut-il avoir une religion ? L’auteur sourit, surpris par la question. « Dans notre cadre (chrétien), le clone n’est pas à l’image de Dieu ». Il y a un effet de « dé-religiosité du clone, du fait qu’une partie du mystère de la création est révélé ». Pour Jacques Lefrançois, « Le clone a-t-il une âme » pose aussi la question de l’humanité du clone possible : faudra-t-il une bulle papale pour en décider, comme dans le cas des amérindiens ?

Oh temps, suspends ton vol...

Selon un étudiant de l’Université de Laval, le clonage nous conduirait à « un cul de sac évolutif ». Cela dit, rien ne laisse supposer que le clonage soit promis à un avenir brillant. Pour l’auteur, « on fantasme beaucoup sur le clonage ». Et « pour que le clonage soit un cul de sac, il faudrait que ce dernier soit massif ce qui risque d’être limité par le nombre de mères porteuses »...

Si le clonage n’est pas un cul de sac, il présente par contre la particularité de figer un état de l’évolution. « On fige le temps. Cela ne renvoie-t-il pas à la notion de rapport humain au temps ? » demande un étudiant de l’Université de Laval. Pour l’auteur, le clonage renvoie plutôt « à la question de la finitude, de la reproduction perpétuelle ».

La conclusion du philosophe : « Je suis heureux de ces questions...redoutables »

Ce titre résume bien la qualité de l’échange qui s’est déroulé de part et d’autre de l’Atlantique, les questions et les remarques étant plus pertinentes les unes que les autres. L’auteur, le sourire aux lèvres, continue : « Cet exercice nous met au défi de produire des normes, de révéler ce qui est non dit. C’est avant tout un débat herméneutique avec nous même. Qui voulons-nous être, et dans quel monde voulons-nous vivre ? ». Car ne l’oublions pas, et c’est sur ces mots que la visioconférence s’est close, le contexte moral objectif, ce fameux contexte moral objectif qui sous tend tout le livre, n’est « que le fruit de notre intentionnalité ».

La visioconférence a rassemblé à la table française

Anne Cambon-Thomsen, responsable d’équipe Inserm U558, de la plate-forme "génétique et société" de la Genopole Toulouse Midi-Pyrénées et ancien membre du CCNE.
Joël Gellin, directeur de recherche Inra, membre du Comité de la plate-forme génétique et société de la Genopole Toulouse Midi-Pyrénées.
Jacques Lefrançois, généticien et philosophe, enseignant à l’Université Paul Sabatier, membre du Comité de la plate-forme génétique et société.
Les étudiants de l’école doctorale « Biologie, Santé, Biotechnologies de Toulouse » : Danse Marie, Cassan Cécile, Vives Marie-France, Garavito Giovanny, Galinier Anne, Zhou Huafang, Moustafa Tarek Mohamed, Chinestra Patrick et Goffinert Marine,
Anne Mauffret, Communication de la Genopole Toulouse Midi-Pyrénées
Lucie Gillot, Mission Agrobiosciences.

A la table canadienne

Lyne Létourneau, Docteure en droit, professeure sous octroi au département des sciences animales de l’Université Laval et chercheure au Centre de recherche en biologie de la reproduction.
Marc-André Sirard, Professeur, département des sciences animales, directeur du Centre de recherche en biologie de la reproduction, Université Laval.
Claude Robert, Professeur, département des sciences animales, Chercheur au Centre de recherche en biologie de la reproduction, Université Laval.
Mark Hunyadi, Professeur à la Faculté de philosophie, Université Laval.
Jean-François Sénéchal, étudiant au doctorat, faculté de philosophie, Université Laval.
Alexandra Fournet, étudiante au doctorat, département des sciences animales, Université Laval.
Régis Defurnaux, étudiant au doctorat, faculté de philosophie, Université Laval.
François Beaudion, étudiant au baccalauréat en agronomie, département des sciences animales, Université Laval.

Compte-rendu de la Visioconférence sur le livre "Je est un clone" entre Mark Hunyadi et les étudiants de l’école doctorale "Biologie, Santé, Biotechnologies de Toulouse"

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