10/10/2006
« Vaincre les peurs : La philosophie comme amour de la sagesse ». Luc Ferry. Editions Odile Jacob. Octobre 2006. 304 Pages. (18, 90 euros)
Nature du document: Notes de lecture
Mots-clés: Mondialisation

A propos de son ouvrage « Vaincre les peurs ».

"La philosophie comme amour de la sagesse", la Mission Agrobiosciences revient sur une conférence-débat qu’elle avait organisé, dans un cycle intitulé « Bioéthique », avec le philosophe en Juin 2001. Il avait abordé un thème toujours d’actualité « La mondialisation et ses critiques » en prenant comme fil conducteur le sentiment de peur et de menace qu’elle provoque.

D’une conférence à l’écriture d’un livre
Selon Luc Ferry, le point de départ de son ouvrage « Vaincre les peurs » est une conférence dans laquelle il avait présenté les points essentiels de son propos : « Apprendre à vivre ». On y trouvera, toujours selon le philosophe, une réflexion sur ce qu’est la philosophie, sur ce qu’elle peut nous apporter en termes de sagesse pratique, sur les temps forts qui ont marqué son histoire. Il développe l’idée selon laquelle les grandes philosophies sont, pour l’essentiel, des doctrines du salut sans Dieu, des tentatives de nous sauver des peurs qui nous empêchent de parvenir à une vie bonne, sans l’aide de la foi ni le recours à un Être suprême... ».

Les représentations, les désirs et les craintes
Il n’empêche que ce titre, « Vaincre les peurs », nous renvoie directement à ce qui occupe pleinement l’activité de la Mission Agrobiosciences à propos des avancées des sciences, les tensions très vives qu’elles suscitent ou encore la nature contemporaine prise par le désormais fameux « Principe de précaution ». Et il s’agit bien de déceler, au cours des nombreux échanges que la Mission Agrobiosciences anime, ce que les acteurs de ces débats disent d’eux-mêmes et de la société elle-même. En clair, derrière les mots, et au fil des dissensus et des contradictions, souvent exprimées, ces échanges invitent leurs participants à réinterroger l’état des représentations, des idéaux, des désirs et des craintes qui sont en jeu.

Critique de la dévotion au risque zéro
Interrogé ce 10 octobre 2006 par RMC Info, Luc Ferry réservait une critique appuyée au « statut » que l’on réserve actuellement au principe de précaution. Après avoir rappelé que, initialement, ce principe allait dans le sens d’une action de progrès capable de ne pas affaiblir les ressources naturelles indispensables aux générations futures, il a critiqué le fait que ce principe était devenu aujourd’hui une sorte de dévotion au « Risque zéro », une posture intenable, sauf à vivre « sans bouger enveloppé de coton ». Luc Ferry a
rappelé au passage qu’il avait été l’un des premiers critiques de cette tendance dans son excellent ouvrage « Le nouvel ordre écologique ».
Et c’est bien dans cet état d’esprit de mise en critique que la Mission Agrobiosciences avait accueilli Luc Ferry et le philosophe Alain Trousson à Toulouse, il y a 5 ans, lors d’un débat intitulé « La Mondialisation et ses Critiques » organisé à la librairie Ombres Blanches le 29 juin 2001. Ses propos d’alors, toujours au cœur de l’actualité, dessinaient avec vivacité les conséquences « politiques » de certaines postures anti-mondialisation.

Mondialisation, anti-mondialisation : l’impression d’être entre la peste et le choléra
Tout en prenant en compte la force des peurs et des représentations, en prenant acte que la mondialisation pouvait apparaître comme une sorte de « diable » coupable, surtout, de vider l’idéal démocratique de sa substance, il invitait le public à débattre de deux questions intimement liées : si la menace d’uniformisation du monde peut paraître incontestable, il y a un risque, non moins grand, c’est que l’on oppose à cette menace un refuge « néo-nationaliste », une culture tribale agissant comme un repli sur des identités particulières. Il résumait ainsi ce que pouvait inspirer ce débat : cette impression d’être pris entre « la peste et le choléra ». C’est-à-dire un débat entre le sentiment grandissant d’une uniformisation du monde induite par des modes de consommation qui seraient de plus en plus identiques et des résistances qui risquent toujours de tourner au repli sur soi. La question étant de savoir quels types de contrôles sur notre histoire, notre destin et notre vie publique nous pourrions imaginer face à ces processus mondialisés ?

L’Europe : pour renouer avec l’idéal démocratique
Selon Luc Ferry, et au lieu d’essayer d’opposer les particularités nationales et tribales à la mondialisation, il était temps de réfléchir à ce que la mondialisation allait soumettre comme défi nouveaux aux particularités locales et nationales que nous devrons défendre certes à l’OMC mais grâce et au sein de l’Europe qui lui apparaissait comme le niveau le plus efficace et, surtout, le plus à même de renouer avec l’idéal démocratique.

Comment comprendre l’amplification de ce sentiment de peur et de menace ? A cette question, Luc Ferry avait alors tenté d’analyser la nature de ce qu’il nommait un « sentiment de dépossession ». Ce sentiment que les processus nous échappent tant sur le plan financier et économique, que social et culturel. En disant « nous », Luc Ferry précisait que ceci pouvait concerner également les hommes politiques qui se heurtent d’un côté aux contraintes d’une mondialisation qui leur échappe et de l’autre à une démocratie d’opinion hyper-médiatisée.

Le sentiment de dépossession de notre propre histoire
Avec cette idée que l’on pouvait même avoir le sentiment que n’importe lequel d’entre-nous, même un président de la République, n’avait finalement que peu de pouvoir sur le cours du monde et que donc nous en aurions encore moins. Elément clé d’un réel basculement : que penser de l’idéal démocratique si l’on a le sentiment que l’essentiel de nos vies est appelé à « être déterminé » par des processus sur lesquels notre propre classe politique n’aurait plus de maîtrise, de contrôle et d’emprise ? En clair, rappelait Luc Ferry, le sentiment de ne plus être des citoyens, mais de simples individus car l’histoire ne leurs appartiendrai plus.

Le particularisme : s’il fait sens à l’humanité
Le philosophe insistait sur le point essentiel de la défense des particularismes, en posant cette question : qu’est qu’une grande tradition culturelle ? Une grande œuvre culturelle est, certes, née quelque part, à un moment précis de l’histoire et dans une culture particulière. Mais ce qui caractérise une grande œuvre, c’est qu’elle va être capable de transfigurer ces particularités d’origine en Universel. C’est par ce biais que Luc Ferry proposait de réagir d’une manière plus optimiste, et finalement plus ambitieuse, à la mondialisation : faire que le particularisme, national mais y compris local, fasse sens à l’humanité tout entière.

La vocation universelle de la science
Au cœur de son propos, Luc Ferry n’avait ce jour là, jamais cessé de nous convier à lire et relire de la philosophie en acceptant de remonter à la naissance de la vie démocratique. En citant l’exemple de la science moderne, dont il avait également abordé les critiques (1), qui a été, dès le 17ème et au 18ème siècle, la première forme de mondialisation en prétendant être universelle comme idéal et socle de son développement. En clair, en prétendant dépasser toutes les identités culturelles et tous les clivages particuliers.

Les mutations du projet de la science
Luc Ferry avait abordé les mutations du projet de la science, comme il le fera plus tard dans son livre "Le syndrome du Gyroscope" à travers Descartes (Dominer le monde intellectuellement par opposition à l’animisme du Moyen-âge), Leibniz (Rien n’advient dans le monde sans raison), Heidegger (La maîtrise pour la maîtrise), Nietzche (La volonté de puissance)... a ses yeux, tous les problèmes actuellement en débat autour de la bioéthique ou de l’écologie étant liés à cette mutation : pour la première fois dans l’humanité, le progrès n’est plus définit par des finalités, qui le dépassent et qui l’englobent, mais est devenu un processus qui apparaît comme mécanique. C’est précisément là qu’il semble échapper au contrôle démocratique et au contrôle des êtres humains. Ce débat à Toulouse avait-il, à l’instar de cette autre conférence déclencheur de son ouvrage « Vaincre les peurs », permis au philosophe de tester les contours de son livre « Le syndrome du Gyroscope » ? En tout cas, il est permis de penser qu’il l’avait déjà en projet.

Nous ne pouvons que saluer cette vocation qu’a toujours entretenu Luc Ferry, et qu’il ne manque pas de soutenir dans « Vaincre les peurs » : nous convier à puiser dans la philosophie une ressource salutaire pour instruire nos questions contemporaines.

Commentaire rédigé par Jean-Marie Guilloux. Mission Agrobiosciences

Référence de l’ouvrage cité : « Vaincre les peurs : La philosophie comme amour de la sagesse ». Luc Ferry. Editions Odile Jacob. Octobre 2006. 304 Pages. (18, 90 euros)

Luc Ferry ou la vocation de puiser dans la philosophie une ressource salutaire pour éclairer nos questions contemporaines
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