17/09/2024
Revue de presse du 17 septembre 2024
Nature du document: Revue de presse

Retour sur terre pour les rois du « pétrole vert »

Les plus anciens se souviennent sans doute de cette publicité pour une société pétrolière qui incitait les automobilistes des Trente Glorieuses à mettre «  un tigre dans [leur] moteur ». Airbus ou Boeing mettront-ils demain du « pétrole vert » à la place du kérosène dans leurs réacteurs ?

C’est la question qui se pose avec la visite en France du patron de la société américaine RYAM, venu inaugurer une usine présentée comme l’une des plus grandes unités de production industrielle de bioéthanol d’Europe à Tartas (Landes). L’usine a une capacité de production de 21 millions de litres par an, rapporte France Bleu Gascogne. Elle alimente chaque jour par camion les dépôts pétroliers ESSO de Toulouse et Bordeaux, où cet alcool de bois est mélangé au pétrole avant d’être distribué à la pompe dans les stations-services. « Cela représente 132 000 barils de pétrole économisés », se félicite dans Sud-Ouest le PDG venu spécialement de Floride. L’ancienne usine de fabrication de pâte à papier landaise reconvertie en raffinerie chimique pourrait même produire « à terme » un carburant « durable » destiné à l’aviation (« Sustainable Aviation Fuel » ou SAF), indiquait dès sa mise en service en juin dernier un site québécois spécialisé dans l’industrie papetière et de la « bioéconomie forestière ».
La substitution progressive des énergies fossiles, comme le pétrole, par des agrocarburants issus des forêts ou des champs continuent toutefois à faire débat.

Rouler ou manger (bis repetita) ?

La veille de l’inauguration de l’usine de Tartas, Oxfam tirait une nouvelle fois le signal d’alarme. À l’échelle de l’Europe, «  les terres utilisées pour la culture des agrocarburants représentent l’équivalent de la superficie de l’Irlande », s’inquiète l’ONG relayée par Radio France. Les résidus forestiers « ont l’avantage de ne pas entrer en concurrence avec les matières agricoles », répond le président de Ryam France, Christian Ribeyrolle, dans La Dépêche du Midi. Outre les résidus de cellulose, il est techniquement possible de produire des agrocarburants à partir de paille de céréales ou d’autres tiges riches en lignine, selon l’ancien Institut français du pétrole (rebaptisé IFP Energies Nouvelles) cité par l’Agence France Presse (AFP). Ces agrocarburants dits « de deuxième génération » devaient théoriquement permettre de contourner les critiques déjà anciennes des ONG contre les premières versions de carburants issus des plantes, présentées comme des « biocarburants » par l’industrie, selon un premier état des lieux de la controverse instruite par la Mission Agrobiosciences en 2008.

Voler ou rouler (et se chauffer)

L’argument peine toutefois à convaincre Oxfam. Les agrocarburants produits en France et en Europe à base de colza subissent déjà la concurrence de l’huile de palme importée par cargos d’Afrique ou d’Asie, expliquent les ONG. Le futur SAF au pin des Landes aura du mal à s’imposer face aux huiles de fritures déjà incorporées au kérosène des avions. « Avec la demande croissante du secteur aérien pour des carburants à base d’huiles de cuisson, on constate aujourd’hui que ces huiles usagées valent plus cher que les huiles alimentaires vierges », constate le spécialiste des enjeux de sécurité alimentaire d’Oxfam dans Le Monde. Un chercheur américain de l’université de Princeton va même encore plus loin que l’ONG en mettant en garde contre un « effet cascade » : plus on incorpore de l’huile de colza dans les carburants et plus on importe de l’huile de palme !
La concurrence existe aussi sur le sol français entre les raffineries destinées à produire les agrocarburants et la production de biogaz par méthanisation, voire entre le bois destiné au chauffage et celui dédié à la construction, souligne Ouest France. L’article se base sur une série de rapports confidentiels des experts français qui planchent à Matignon sur la planification écologique. Ils préconisent de faire le tri entre les différentes sources d’énergies issues de la biomasse en fonction des surfaces disponibles. En clair, il faudrait cesser de produire du biodiesel et réserver le « pétrole vert » issu de nos champs et nos forêts aux avions et aux bateaux qui ne peuvent pas être équipés rapidement de moteurs électriques, contrairement à la Zoé ou la Tesla.

Photo : Luffy and the tree, Max Coulon. ©L. Gillot

Par Stéphane Thépot, journaliste

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