21/10/2019
À propos de l’exposition "Cabinets de curiosités" - Fonds Hélène et Édouard Leclerc
Nature du document: Chroniques
Mots-clés: Nature , Représentations

Le domestique, le sauvage et le cabinet de curiosités

Jusqu’au 3 novembre 2019, le fonds pour la culture Hélène et Édouard Leclerc dédie une exposition aux "Cabinets de curiosités". L’occasion, saisie au vol par l’ethnologue Sergio Dalla Bernardina, de retracer l’histoire de ces collections et exhibitions pour le moins étonnantes. Mais aussi d’interroger la frontière symbolique qui sépare, au fil du temps, le domestique du sauvage.

« Rentrez un instant chez moi, je vais vous montrer…, autrefois on disait ma collection d’estampes japonaises ». De nos jours, on dit : « Mon cabinet de curiosités ». En fait, cela vient de loin. Les premiers cabinets de curiosité datent de la Renaissance. On y conservait des mirabilia, à savoir des choses qui méritaient d’être admirées. On faisait la part entre les artificialia, merveilles produites par la main de l’homme, et les naturalia, produites directement par le Bon Dieu (pierres précieuses, coraux, dents fossiles de requin…). C’était l’époque des grandes expéditions et on aimait afficher des spécimens exotiques authentiques ou fabuleux : tomahawk, tambours de Siam, vêtements des indigènes de l’Inde et du Pérou, tapis chinois de jonc, mandragores, cornes de licorne et autres sirènes des Fidji.

Une belle collection de massacres

C’était aussi l’époque où on commençait à introduire dans les maisons ce qui, normalement, devait rester dehors, comme les dépouilles des animaux de la forêt. Tout le monde ne pouvait pas se permettre ces introductions excentriques. Si on intégrait à la maison des reliques animales c’était à doses homéopathiques et pas n’importe où. Dans les salles d’un château, une belle collection de massacres ne risquait pas de court-circuiter la frontière symbolique qui sépare le domestique du sauvage, l’intérieur de l’extérieur (le home sweet home du hic sunt leones ). Alignés dans une chaumière, ces mêmes trophées auraient fait passer leurs détenteurs pour des cavernicoles, des zoolâtres ou, plus simplement, pour des braconniers bons à être pendus sur la place du marché.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un paradoxe. D’un côté, au nom de la protection de la nature, on nous prie de laisser les naturalia à leur place, c’est-à dire-dehors. De l’autre, au nom de la wilderness (seuls les sauvageons, désormais, n’aiment pas la nature), on nous somme de les exhiber chez nous : exposés dans le living-room, le nid récupéré dans le jardin, le caillou ramassé à la pointe Saint-Mathieu, la racine polie par la mer (« Mais tiens, on dirait vraiment du land art…  ») attestent notre passion pour le plein air. Les magazines de décoration, on s’en doute, encouragent cette accumulation : « Comment créer un cabinet de curiosités à la maison », « Vingt objets déco pour un cabinet de curiosités à petit prix », « Mettre en scène un cabinet de curiosités chez soi ». On n’hésite pas non plus à nous suggérer de recycler les trophées du grand-père chasseur qui avaient été jusque-là confinés dans le grenier dans un sursaut de pudeur écologiste. L’important – nous explique-t-on – c’est de le faire avec humour.

Satisfaire sa curiosité

La belle exposition que le fonds Hélène et Édouard Leclerc vient de dédier aux cabinets de curiosités (Landerneau, du 23 juin au 3 novembre 2019) fait le tour des mirabilia anciens et récents : la collection de sabliers de Jacques Attali, une Vénus anatomique en pièces détachables, bêtes vraies et quasi vraies prêtées par le musée de la Chasse et de la Nature, pierres et plumes polychromes fournies par le Muséum d’histoire naturelle. On y parle du passé, mais on y parle surtout de l’homme contemporain qui, sous le signe du retour à la nature, se découvre à la fois collectionneur, muséographe… et prédateur.
Cet été, en Sardaigne, les douaniers ont interpellé un couple de touristes français qui rentrait au pays avec 40 kilos de sable prélevés sur une plage. Une quantité suffisante pour satisfaire leur curiosité ?

Par Sergio Dalla Bernardina, ethnologue

Retrouvez toutes les chroniques "Frontières", signées par Sergio Dalla Bernardina, dans la revue Sesame : http://revue-sesame-inrae.fr/?s=Bernardina.
Le lien de l’exposition, à retrouver ici.


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