21/11/2022
POINT DE VUE
Nature du document: Chroniques

Générations (no) futures : les jeunes en quête de radicalité, trop angoissés pour être punks ?

Le 3 novembre dernier, se déroulait en public le débat BorderLine co-organisé par la Mission Agrobiosciences-Inrae et le Quai des Savoirs. Le sujet du jour : qu’apporte réellement la notion de générations futures pour mieux répondre à l’urgence climatique ? Et, surtout, à quelles conditions peut-elle ne pas creuser un peu plus les inégalités environnementales présentes et à venir ? Le journaliste Stéphane Thépot, qui y assistait, livre pour nous son regard parfois acéré sur une partie des échanges, et, plus particulièrement, sur le témoignage d’une jeune activiste, "Pousse", qui intervenait aux côtés de la sociologue Valérie Deldrève et de la juriste Emilie Gaillard.

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les jeunes générations occidentales ont chacune à leur tour exprimé leur révolte contre l’héritage de leurs parents. On a vu des beatniks défiler contre la guerre au Vietnam ou prendre la route de Katmandou en planant sur la musique psychédélique de Woodstock, des punks énervés insulter la reine d’Angleterre lors des dernières grèves de mineurs de l’époque Thatcher, ou des jeunes de banlieue prendre des poses de gangsters sur fond de musiques rap et d’émeutes contre les forces policières. Mais qu’est-ce qui pousse des jeunes d’aujourd’hui à multiplier les actions d’éclat médiatiques, dans les musées ou lors de compétitions sportives ? La course à la bonne vieille Agit’Prop à laquelle se livre une poignée de militants toulousains en font-ils les successeurs d’Action Directe(1), comme le laisse entendre le ministre de l’intérieur ?

« J’ai commencé par participer aux marches pour le climat quand j’étais au lycée, mais ça ne suffit pas  » explique « Pousse » sous couvert d’anonymat. L’étudiante toulousaine est toujours membre de Youth for Climate, un mouvement international apparu en 2019 en France et en Belgique pour répondre à l’appel international à la grève pour le climat, lancée dans les écoles par la jeune suédoise Greta Thunderg. Mais elle a aussi rejoint Extinction Rebellion, un autre mouvement qui prône la désobéissance civile pour lutter contre « l’effondrement écologique ». « Je suis prête à des actions illégales sur le terrain », dit Pousse qui a participé à la manifestation contre la construction d’une « bassine » dans les Deux-Sèvres, en dépit de l’interdiction de la préfecture locale. « Nous étions 7.000, ça donne de l’espoir  », se félicite l’étudiante en confessant soigner ainsi son « éco-anxiété ». Pour autant, « Pousse » n’est pas l’un(e) de ces « Camille » qui avaient choisi ce pseudonyme collectif et non-genré pour répondre, du bout des lèvres, aux journalistes sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ou de Sivens. L’étudiante n’est pas restée camper dans le Poitou avec la poignée de militants « irréductibles » qui organisent la résistance sur place. Elle a préféré témoigner au Quai des Savoirs pour un nouvel épisode de BorderLine, consacré à l’urgence climatique et aux « génération futures », à la veille de la COP 27.

Spécialiste du droit des générations futures en France, la juriste Emilie Gaillard fait remonter l’origine de cette notion aux premiers essais nucléaires. « Contrairement aux peuples autochtones qui se projettent sur plusieurs générations, il n’y avait pas en Occident la perception d’un risque existentiel pesant sur l’avenir des humains et sur d’autres espèces  », souligne cette enseignante à Sciences-Po Rennes. Pour elle, comme pour la sociologue Valérie Deldrève, l’idée même de « générations futures » est intimement liée à celle du « développement durable ». « Le développement durable est la matrice des générations futures  », résume cette dernière, par ailleurs chercheuse INRAE à Bordeaux. Et de souligner que la notion même de « développement durable » est désormais remis en cause au même titre que celle de « croissance ». « Le paradigme très occidental du progrès est un non-sens  », abonde Emilie Gaillard, en relevant le « rejet du compromis » qui anime les objecteurs de croissance.

Etudiant sur le terrain les inégalités environnementales, Valérie Deldrève insiste sur la notion de « justice environnementale ». La sociologue fait remarquer que si la nature est conçue comme « un patrimoine à transmettre » aux générations futures, sa jouissance ici et maintenant est loin d’être « équitable ». Elle prend l’exemple des droits de pêche à La Réunion, qui risquent d’être limités pour les populations locales au nom de la préservation de la ressource, alors que la plaisance et le tourisme ne seront pas affectés. « Il est difficile de se projeter dans l’avenir quand on a des problèmes de survie au quotidien  », ajoute-t-elle . « Il faut aussi décoloniser les esprits » ajoute Emilie Gaillard, en citant la pollution issue de l’extraction des mines d’or constatée dans les townships d’Afrique du Sud. Pour autant, la juriste tient à souligner que les polluants les plus persistants sont « un boulet pour tout le monde », riches comme pauvres. Et reprend l’exemple du nuage de Tchernobyl, « qui ne s’est pas arrêté aux frontières  ». Social ou géographique, le « risque existentiel » ne connaît pas des limites dans l’espace ; ni dans le temps. « On n’a toujours pas la solution pour les déchets des centrales nucléaires. Comment avertir les générations futures des dangers  ? », s’interroge la juriste, résolument anti-nucléaire.
Aucun adepte de l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, partisan déclaré d’une énergie nucléaire « décarbonée » pour sortir des énergies fossiles, n’a levé le doigt dans la salle ou sur Twitter pour apporter la contradiction à Emilie Gaillard. Mais lorsque le micro a été tendu à l’assistance du Quai des Savoirs, un membre de l’association négaWatt s’est ouvertement étonné que le terme de « sobriété » ne fut pas jamais évoqué. « Choisir la sobriété vaut mieux que la subir  », convient Emilie Gaillard. Sur Twitter, un retraité d’Inrae s’étonne de son côté que l’on pointe toujours la responsabilité des « technologies » en oubliant de s’interroger sur le « risque »… de ne pas y recourir. Une allusion aux OGM ?
On ne saura pas, finalement, si « Pousse » est pour ou contre les OGM ou le nucléaire. L’étudiante a juste dit « pouce » aux bassines dans le Poitou, mais elle se défend de vouloir « culpabiliser les gens ». « La radicalité, ce n’est pas ça », dit l’étudiante toulousaine. Pas franchement le genre à dégonfler les pneus des 4x4 la nuit en écoutant du rap ou les Sex-Pistols. Encore moins à risquer d’être prise pour une lointaine héritière de Jean-Marc Rouillan en rejoignant « les « écoterroristes » dénoncés par les ministres de l’Intérieur et de l’Agriculture. « Je me méfie comme de la peste de la radicalité politique  », déclare de son côté la prof de Sciences-Po Rennes.

Stéphane Thépot. Novembre 2022

Par le journaliste Stéphane Thépot. novembre 2022

(1) Action Directe, organisation armée d’extrême-gauche, créée notamment par le Toulousain Jean-Marc Rouillan, dans le sillage des mouvements anarchistes antifranquistes. De 1979 à 1987, cette « guérilla communiste » a revendiqué environ 80 attentats, dont des assassinats.


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