Principe régulateur, « Sécurité publique », « sécurité alimentaire »,
« sécurité énergétique », « sécurité des frontières » : la sécurité
constitue aujourd’hui dans tous les États un Principe régulateur,
c’est-à-dire, confusément et tout à la fois, un sentiment, un programme politique, des forces matérielles, une source de légitimité, un bien marchand, un service public. Ce Principe est le fruit de quatre acceptions historiques : la sécurité comme état mental, disposition des grandes sagesses stoïciennes, épicuriennes et sceptiques à atteindre la fermeté d’âme face aux vicissitudes du monde ; la sécurité comme situation objective, ordre matériel caractérisé par une absence de danger (c’est
l’héritage du millénarisme chrétien) ; la sécurité comme garantie par l’État des droits fondamentaux de la conservation des biens et des personnes, voire comme bien public (surveillance, équilibre des forces, raison d’État et
état d’exception) ; la sécurité comme contrôle des flux à notre époque contemporaine, avec ses concepts nouveaux : la « traçabilité », la « précaution », la « régulation ». Loin d’être des acceptions successives, ces dimensions sont des « foyers de sens », toujours à l’oeuvre conjointe – la tranquillité du Sage ne dépend plus de techniques spirituelles mais d’un bon gouvernement et d’un État fort ; les ressorts millénaristes ont été
recyclés par les révolutions totalitaires du XXe siècle ; la tension s’est installée entre la sécurité policière et la sécurité juridique, entre la sécurité militaire et la sécurité policière qui prétend, à son tour, combattre « l’ennemi intérieur » ; la biosécurité et ses logiques de sollicitations permanentes – être toujours et partout accessible, réactif – sont à l’opposé de l’idéal antique de la stabilité intérieure ; tandis que la sécurité du marché impose un démantèlement de l’État-providence, des politiques
de santé publique et des logiques de solidarité : la sécurité-régulation
se substitue à la sécurité-protection. Pour finir, le Principe Sécurité
se définit toujours par une retenue au bord du désastre.
Gallimard éditeur
Frédéric Gros ne s’intéresse pas qu’à l’idée de sécurité. Il s’intéresse aussi à la marche comme exercice spirituel.
Le 24 juin 2011 dans une interview au journal Le Monde il répondait ainsi à Nicolas Truong :
"La marche permet aussi de redécouvrir un certain nombre de joies simples. On retrouve un plaisir de manger, boire, se reposer, dormir. Plaisirs au ras de l’existence : la jouissance de l’élémentaire. Tout cela, je crois, permet à chacun de reconquérir un certain niveau d’authenticité.
Mais on peut aller encore plus loin : la marche permet aussi de se réinventer. Je veux dire qu’à la fois, en marchant, on se débarrasse d’anciennes fatigues, on se déleste de rôles factices, et on se donne du champ.
En marchant, tout redevient possible, on redécouvre le sens de l’horizon. Ce qui manque aujourd’hui, c’est le sens de l’horizon : tout est à plat. Labyrinthique, infini, mais à plat. On surfe, on glisse, mais on reste à la surface, une surface sans profondeur, désespérément. Le réseau n’a pas d’horizon.
- Toutes les marches se ressemblent-elles ?
Vous avez raison, il faut absolument distinguer, car il existe des styles de marche irréductibles. Il y a la flânerie en ville, poétique, amicale, électrique. Il y a la promenade qui nous permet de sortir d’un espace confiné, de nous défaire un moment des soucis du travail, des nervosités ambiantes.
Il y a le pèlerinage, qui est tout à la fois un défi, une expiation, une ascèse, un accomplissement. Il y a la grande excursion, qui présente une dimension plus sportive, mais offre aussi la promesse de paysages grandioses.
- Alors, "marcher, une philosophie" ?
Peut-être davantage : un exercice spirituel. "
Un philosophe qui marche et qui s’intéresse à la sécurité mérite qu’on aille y voir de plus près.
Frédéric Gros est maître de conférence en philosophie à l’université Paris-XII. Il a travaillé sur l’histoire de la psychiatrie
(Foucault et la folie, PUF, 1997), la philosophie de la peine (Et ce sera
justice, Odile Jacob, 2001) et la pensée occidentale de la guerre (États
de violence, Gallimard, 2006). Il a édité les derniers cours de Michel
Foucault au Collège de France et est également l’auteur de Foucault-
Wittgenstein : de possibles rencontres (Éditions Kime, 2011) et Foucault : le courage de la vérité (PUF, 2012).
Au forum de la librairie Ombres Blanches, le 24 Janvier 2013, de 18h à 20h. (rue Gambetta, Toulouse). Entrée libre et gratuite
Renseignements auprès de Jacques Rochefort, Mission Agrobiosciences : jacques.rochefort@agrobiosciences.com
Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :
- "Le principe de précaution : en a-t-on vraiment pris la mesure ?". La restitution de la Conversation de Midi-Pyrénées, avec le philosophe et avocat, Jean-Michel Ducomte (IEP Toulouse) et l’économiste, Nicolas Treich (Lerna Inra). Une Conversation qui aborde notamment l’approche coût/bénéfice.
- Sciences, société, risques, décision : "Peut-on séparer de façon précoce le bon grain de l’ivraie ?". Par Olivier Godard, directeur de recherches au CNRS. Une réflexion d’Olivier Godard, directeur de recherches au CNRS, à propos des modèles de maîtrise des risques collectifs dont disposent nos sociétés, et donc du principe de précaution.
- Quelle stratégie pour les produits de terroir dans un contexte de globalisation des marchés ?. Le cahier du café-débat de Marciac avec Jean-Louis Rastoin, ingénieur agronome, professeur à l’Agro Montpellier.
- Le pouvoir n’est pas aussi loin qu’on le croit !.Une table ronde cherchant à instruire la question "Le local est-il soluble dans le global ?", animée par Philippe Lacombe (Inra), avec Jacques Delpla (BNP-Paribas), François de Ravignan (économiste et agronome, Inra) et Jean-Pierre Tillon (In Vivo). Dans la cadre de la 12ème Université d’Eté de Marciac, "Territoires ruraux, comment débattre des sujets qui fâchent ?"
- Les crises sont-elles nécessaires au progrès de la sécurité sanitaire des aliments ? Analyse de l’exemple de l’ESB. Une Analyse de Philippe Baralon, cabinet Phylum.
- Doit-on aller vers un apprentissage collectif du risque ?. La restitution de la Conversation de Midi-Pyrénées introduite par Olivier Moch, directeur général adjoint de Météo France et Patrick Denoux, maître de conférences à l’Université de Toulouse-Le Mirail. Avec la réaction de Georges Mas, psychosociologue, consultant.
- Risques, société, décision : "Les peurs peuvent-elles avoir une vertu pédagogique ?". Le billet de janvier 2009 de la Mission Agrobiosciences, par Jean-Claude Flamant