08/09/2005
Lu, vu, entendu

Nanosciences et nanotechnologies : possibilités et incertitudes

Les services scientifiques de l’Ambassade de France au Royaume-Uni ont publié dans leur bulletin électronique du 18 octobre 2004 un dossier consacré aux nanosciences et aux nanotechnologies. La Mission Agrobiosciences livre ici l’intégralité de l’article faisant le point sur les différents aspects du débat en termes scientifiques, techniques, environnementaux, réglementaux, sociétaux et éthiques Outre-Manche, afin de nourrir notre propre réflexion sur l’instruction de ce débat naissant dans l’Hexagone.

On se souvient de l’émotion suscitée par les déclarations du Prince Charles sur les nanotechnologies (cf. Actualités Scientifiques au Royaume-Uni, mai 2003, p. 32). Influencé par la lecture de "La Proie" un roman de science fiction de Michael Crichton l’auteur de "Jurassic Park", il avait alors évoqué la possibilité de l’anéantissement de la vie sur terre par la "grey goo", une matière visqueuse grise composée de multitudes de nanorobots qui se reproduiraient jusqu’à la prise de contrôle de la planète.

D’autres inquiétudes (peut-être un peu moins fantaisistes) se sont également fait jour. Quels pourraient être les impacts des nouveaux nanomatériaux sur la santé humaine ? Quels sont les types d’applications possibles qui pourraient naître de la convergence entre les nanotechnologies d’une part et les biotechnologies, l’informatique ou l’intelligence artificielle d’autre part ? Les cadres de régulation actuels sont-ils pertinents ? Les nanotechnologies seront-elles sources de bénéfices ou de retard accru pour les pays en voie de développement ?
Devant l’ampleur atteinte par le débat, le gouvernement britannique, via l’"Office of Science and Technology", avait commandé en juin 2003 un rapport à la Royal Society et à la "Royal Academy of Engineering". Ce rapport a été publié au cours de l’été 2004 et a donné lieu à un débat public tenu à la Royal Society le 29 septembre 2004.

Le rapport, publié conjointement par les deux sociétés savantes, s’illustre par une grande clarté et un souci d’accessibilité et de compréhension par le plus grand nombre. Son contenu reflète la composition du groupe de travail : des physiciens, des chimistes et des biologistes y côtoient des médecins, des pharmaciens ainsi que des spécialistes du risque ou de l’environnement ou encore une représentante d’une association de consommateurs. Les termes de la mission du groupe consistaient à examiner les points suivants :

  • définir la signification des termes nanosciences et nanotechnologies ;
  • résumer les connaissances scientifiques actuelles en matière de nanotechnologies ;
  • identifier les applications des nouvelles technologies, en particulier lorsque les nanotechnologies sont déjà utilisées ;
  • évaluer comment les technologies sont susceptibles d’être utilisées à l’avenir, en estimant dans la mesure du possible les échelles de temps pour la mise en oeuvre des applications les plus novatrices ;
  • identifier les implications ou les incertitudes environnementales, éthiques, sociales, sanitaires et en matière de sécurité, maintenant et à l’avenir ;
  • identifier les domaines pour lesquelles des régulations supplémentaires devraient être envisagées.

Le travail du groupe a consisté à mener de larges consultations, à travers les contributions écrites et orales des acteurs du domaine, britanniques ou non. Le groupe a également passé en revue la littérature existante et commandé de nouveaux travaux sur l’attitude et la perception du public. Les travaux ont été menés dans une totale indépendance vis-à-vis du gouvernement britannique qui n’a en aucun cas influencé la composition du groupe, ses méthodes de travail ou la rédaction du rapport. La structure du document publié s’articule autour des différents termes de la mission. Dans un premier temps, les experts se prêtent au jeu toujours risqué de la définition des nanosciences et des nanotechnologies. Ils dressent ensuite un état des lieux des connaissances scientifiques et des applications actuelles et futures. Ils se penchent alors sur les procédés de fabrication dont la description éclaire la réflexion qu’ils mènent ensuite sur les possibles impacts sur la santé, l’environnement et la sécurité. Les impacts sociaux et éthiques sont pris en compte et cette analyse est complémentaire de la réflexion sur le nécessaire dialogue avec et entre le public et les acteurs des nanotechnologies. Enfin, le groupe de travail accorde une grande importance aux conséquences de l’utilisation et du développement des nanotechnologies en termes de réglementation et de régulations.

1. Une tentative de définition des nanosciences et des nanotechnologies.

Définir en quoi consistent les nanosciences et les nanotechnologies s’avère être un exercice compliqué. Il est en effet assez difficile d’établir une limite supérieure à la taille des objets que recouvrent ces termes. Le groupe de travail a donc choisi de considérer les objets d’une taille inférieure ou égale à 100 nanomètres. Ces objets disposent de propriétés particulières du fait de leur petite taille. D’une part, les nanomatériaux présentent une surface rapportée à leur masse plus importante que les matériaux de plus grande taille ; ceci peut induire une réactivité chimique plus élevée et influencer leurs propriétés électriques ou mécaniques. D’autre part, les effets quantiques peuvent commencer à dominer le comportement de la matière à l’échelle du nanomètre et en modifier ainsi les propriétés optiques, électriques et magnétiques.
Les experts ont également souhaité faire la distinction entre :

  • les nanosciences définies comme l’étude des phénomènes et la manipulation de matériaux aux échelles atomique, moléculaire et macromoléculaire et dont les propriétés différent significativement de celles observées à plus grande échelle ;
  • les nanotechnologies définies comme la conception, la caractérisation, la production et les applications des structures, dispositifs et systèmes en contrôlant leur forme et leur taille à l’échelle du nanomètre.

2. Les nanosciences et les nanotechnologies : état des lieux et perspectives

Les rédacteurs du rapport ont souhaité exposer les développements potentiels actuels et futurs des nanotechnologies et des nanosciences afin de pouvoir ensuite traiter de leurs implications sanitaires, environnementales, sociales, éthiques et en terme de sécurité. Les nanotechnologies et les nanosciences recouvrent des domaines très variés (de la chimie, la physique et la biologie à la médecine, les sciences de l’ingénieur ou l’électronique) et leurs activités tournent essentiellement autour des domaines de la caractérisation, de la fabrication de précision, de la chimie et des matériaux. Quatre catégories assez larges ont été définies par le groupe de travail :

  • les nanomatériaux ;
  • la métrologie à l’échelle nanoscopique, ou nanométrologie ;
  • l’électronique, l’optoélectronique et les technologies de l’information et de la communication (les TIC) ;
  • les bio-nanotechnologies et la nanomédecine.

Il faut noter qu’à l’heure actuelle les termes nanosciences et nanotechnologies ne recouvrent que des progrès de technologies déjà existantes, voire dans certains cas ne sont qu’un nouveau nom donné à ces technologies. Cependant, les experts estiment que les nanotechnologies sont susceptibles de modifier de façon substantielle les procédés de fabrication de nombreuses industries à moyen terme (5 à 15 ans) ou long terme (plus de 20 ans). Le stade précoce de développement de la plupart des nanotechnologies interdit toutefois de donner une échelle de temps détaillée. De plus, les produits et les applications potentielles ne verront le jour que sous au moins deux conditions : d’une part s’ils répondent à la demande d’un marché et d’autre part si des méthodes de fabrication peu coûteuses, extrapolables à de grands volumes et préservant les propriétés à l’échelle nanométrique du produit final peuvent être développées. Selon les rédacteurs du rapport, la mise en oeuvre des applications évoquées est donc conditionnée par de avancées en R&D et par l’emploi de scientifiques et d’ingénieurs disposant de la formation multidisciplinaire adaptée.

2.1 Les nanomatériaux

Une grande partie des nanosciences et des nanomatériaux se concentre sur la production de matériaux nouveaux ou améliorés. Dans les techniques "top down" de très petites structures sont produites en partant de "grands" morceaux de matériaux : c’est le cas du marquage par attaque chimique des circuits sur des puces en silicium. Les structures nanométriques peuvent également être construites par des techniques "bottom-up", atome par atome ou molécule par molécule. Dans le cas de l’auto-assemblage, des atomes ou des molécules s’arrangent en fonction de leurs propriétés naturelles. La croissance de semi-conducteurs ou la synthèse chimique de larges molécules sont des exemples d’auto-assemblage. Une autre méthode de technique "bottom-up" consiste à déplacer individuellement chaque molécule ou atome grâce à des outils adaptés (des pinces optiques par exemple). Bien qu’offrant théoriquement un meilleur contrôle de la construction, cette méthode s’avère encore très laborieuse et peu adaptée aux applications industrielles.
De façon générale, une grande place a été accordée aux nanoparticules et aux nanotubes (ou nanofibres). En effet, les nanoparticules sont présentes dans nombre de produits cosmétiques (par exemple sous forme de particules d’oxyde de titane ou d’oxyde de zinc dans les crèmes solaires) et leur toxicité potentielle n’a pas été forcément totalement évaluée. De plus, le fait qu’elles soient "fixes" (par exemple noyées dans une matrice) ou "libres" pourrait avoir un effet significatif sur leur impact en termes de santé, de sécurité et d’environnement. Toutefois, dans la plupart des applications courantes, les matériaux nanométriques sont fixés ou noyés dans une matrice, par exemple dans les couches minces pour l’électronique. Le groupe de travail s’attend à ce que, dans quelques années, les nanomatériaux contribuent à améliorer les performances d’une large gamme de produits qu’il s’agisse de l’électronique à base de silicium, des écrans, des peintures, des batteries, des capteurs ou des catalyseurs. A plus longue échéance, des composites exploitant les propriétés des nanotubes de carbone (la résistance, la flexibilité et la conductivité thermique) pourraient apparaître. Des nanosphères inorganiques pourraient être utilisées comme lubrifiants et des grains nanocristallins pourraient rentrer dans la composition de matériaux magnétiques.
Des implants médicaux pourraient être fabriqués par exemple à bas de zircone nanocristalline qui présente de bonnes propriétés de biocompatibilité, de dureté et de résistance à l’abrasion et à la bio-corrosion. De même, le carbure de silicium nanocristallin représente un candidat de choix pour la fabrication des valves cardiaques artificielles en raison, en particulier, de sa légèreté, de sa grande résistance et de sa stabilité chimique. Les pièces détachées des voitures ou des fours haute température pourraient également bénéficier de ces nouvelles technologies. Enfin, des membranes construites à l’échelle nanoscopique pourraient potentiellement être utiles dans les procédés de purification de l’eau, par exemple pour la désalinisation par osmose inverse.

2.2 La nanométrologie

La nanométrologie représente un outil fondamental pour les nanosciences et les nanotechnologies car elle permet la caractérisation des matériaux (dimensions et propriétés). Parmi les instruments de choix employés en nanométrologie, on peut citer les microscopes électroniques ainsi que les microscopes à force atomique (AFM) ou à effet tunnel (STM). Toutefois, il existe des problèmes de standardisation et de consistance des mesures d’un laboratoire à l’autre voire, pour un même instrument, d’un opérateur à un autre. De plus, les instruments de mesure n’ont pas encore forcément atteint la précision requise pour les travaux à l’échelle nanométrique ; on peut ainsi citer les difficultés rencontrées dans la mesure de la force des liaisons au sein des molécules. Tout en reconnaissant la qualité du travail réalisé au Royaume-Uni par le "National Physical Laboratory" (ou NPL), les experts recommandent que le "Department of Trade and Industry" (DTI) :
a. soutienne la standardisation des mesures à l’échelle nanométrique en finançant des initiatives au sein de son programme "National Measurement System Programme" ;
b. s’assure que le Royaume-Uni se trouve aux avant-postes des initiatives internationales pour la standardisation des mesures.

2.3 L’électronique, l’optoélectronique et les "TIC".

Le secteur "TIC" a jusqu’à présent orienté une large proportion des nanosciences ; une grande partie du processus de miniaturisation des puces d’ordinateurs a fait appel aux nanosciences et aux nanotechnologies. Si on peut s’attendre à ce que, à court et moyen terme, le secteur "TIC" reste orienté vers le silicium, les recherches sur des technologies hybrides alternatives pour l’électronique, comme les polymères conducteurs, sont appelées à se développer (cf. le document "International Technology Roadmap for Semiconductors" qui prévoit les orientations principales de l’industrie des semi-conducteurs jusqu’en 2018). Pour l’heure, on peut citer comme applications actuelles des nanotechnologies :

  • les puces avec un souci de miniaturisation toujours plus poussée ;
  • le stockage de l’information (soit sur des mémoires à état solide soit sur des disques durs magnétiques dont la taille a décru aussi vite que la capacité de stockage a augmenté depuis leur introduction en 1956) ;
  • ’optoélectronique qui tend également à la miniaturisation avec l’utilisation de composants comme les puits quantiques ou les afficheurs à cristaux liquides. La fabrication de ces objets impose une précision de l’ordre du nanomètre.
    A l’avenir, et en marge des applications déjà citées, les recherches pourraient aussi s’orienter vers :
  • les matériaux à bande interdite photonique dans lesquels la propagation de la lumière peut être contrôlée. Ils interviendraient dans la construction d’un ordinateur optique ;
  • l’informatique et la cryptographie quantique ;
  • les nouveaux types de spectroscopie optiques, les nouvelles méthodes lithographiques optiques et les biocapteurs permettant la détection d’une molécule unique ;
  • l’électronique plastique pour la fabrication d’écrans souples ;
  • les détecteurs de produits chimiques dans l’environnement, ceux destinés à vérifier la comestibilité des aliments ou à contrôler les contraintes dans une structure.

2.4 Les bionanotechnologies et la biomédecine.

Grâce à la nanofabrication et à l’auto-assemblage moléculaire, les bionanotechnologies permettent la production d’échafaudages pour la fabrication des tissus et de cellules, de moteurs moléculaires, de biomolécules pour les capteurs ou la délivrance de médicaments. Les biotechnologies peuvent également être utilisées en médecine pour le diagnostic et l’imagerie moléculaire.
De nombreux experts considèrent les bionanotechnologies comme des projets à long terme : beaucoup de recherche fondamentale est encore nécessaire et de nombreuses applications, notamment dans le domaine médical, nécessiteront la mise en oeuvre de procédures d’essai et de validation très strictes.

3. La nanofabrication et les applications industrielles des nanotechnologies.

La caractérisation des matériaux (c’est-à-dire la détermination de leur taille, de leur forme, de leur distribution et de leurs propriétés) joue un rôle important dans procédés industriels. Elle sert pour le contrôle de la qualité des produits finis et intervient largement dans les études de R&D. Si les industriels ne considèrent pas les nanotechnologies en elles-mêmes comme nouvelles, ils reconnaissent qu’une percée a eu lieu dans le domaine des outils employés pour observer et mesurer les propriétés et les procédés à l’échelle nanométrique. Ils font référence aux STM, AFM et microscope électronique à transmission.
Jusqu’à présent, la quantité d’applications ayant atteint un niveau industriel reste peu élevée et il s’agit plus d’avancées découlant d’une évolution que d’une véritable révolution. Ces applications se retrouvent notamment dans les domaines de la production chimique, de la fabrication de précision et dans l’informatique.
A plus longue échéance, on peut s’attendre à ce que les nanotechnologies entrent en jeu dans plus de domaines industriels mais le transfert du laboratoire à la chaîne de fabrication risque d’être source des défis significatifs. On espère que ces nouvelles applications apporteront des bénéfices environnementaux, par exemple en réduisant le volume de matières premières nécessaires ou les dépenses énergétiques. Toutefois, il convient de vérifier que ces espérances sont fondées. Ainsi, le groupe de travail recommande qu’une série d’évaluation des cycles de vie soit mise en place afin de s’assurer que les économies découlant de l’utilisation des nanomatériaux ne soient pas annulées par une consommation de ressources accrue durant les phases de fabrication et d’élimination. Dans le cas où de nouvelles méthodologies d’évaluation devraient être mises en place, les experts recommandent que les financements afférents soient fournis par les conseils de recherche britanniques.
Enfin, il faut noter que les experts n’ont trouvé aucune preuve du développement prochain de nanorobots susceptibles de se reproduire sans contrôle !!!!

4. Les impacts sur la santé, l’environnement et la sûreté

Même si les avancées potentielles apportées par les nanotechnologies dans les domaines de la santé et de l’environnement sont les bienvenues, des inquiétudes ont vu le jour concernant les propriétés mêmes que les chercheurs et les industriels s’efforcent d’exploiter. On peut citer par exemple la grande réactivité de surface des nanoparticules et leur capacité à traverser les membranes des cellules. Ces propriétés ne représentent-elles pas des dangers pour la santé et l’environnement, en particulier n’engendrent-elles pas une toxicité accrue ? Le groupe de travail a conclu que la plupart des nanotechnologies ne posaient pas de nouveaux risques sanitaires ; a contrario, toutes les inquiétudes se concentrent sur les nanoparticules et les nanotubes "libres" (le risque reste faible dans le cas où ils sont enrobés dans une matrice). Pour l’instant toutefois, peu de nanoparticules chimiques sont produites à l’échelle industrielle et l’exposition à ces particules libres est limitée aux lieux de travail et à un petit nombre d’applications cosmétiques.
Une des conclusions majeures des experts a trait aux données et informations disponibles sur la toxicité pour l’humain ou la nocivité pour l’environnement éventuelles de ces objets nanométriques : en effet, soit peu d’études ont été réalisées soit le peu d’information disponible est détenu par les industriels qui ne souhaitaient pas, jusqu’à présent, le rendre publique. Les quelques suppositions ou données disponibles ont été recensées par les auteurs du rapport :

  • toxicité : a priori, les nanoparticules pourraient s’avérer plus toxiques par unité de masse que les particules plus volumineuses ; cela tient à la fois à leur plus grande surface par unité de masse et à leur plus grande réactivité chimique. Il semblerait également que les nanoparticules pénètreraient plus facilement dans les cellules que les plus grosses particules ;
  • pénétration de la barrière cutanée : les nanoparticules pourraient faciliter la production de molécules réactives qui mènent à l’endommagement cellulaire. Dans le cas des cosmétiques, les études publiées portant sur les particules utilisées sont encore insuffisantes, en particulier concernant l’incidence des particules d’oxyde de titane sur les peaux abîmées (souffrant d’eczéma par exemple). Cependant l’industrie des cosmétiques doit disposer d’une certaine quantité d’informations.
  • inhalation : a priori, les nanoparticules utilisées actuellement présentent une faible solubilité et une faible activité de surface. En revanche, les nouvelles nanoparticules présentent des caractéristiques différentes et devraient être traitées avec précaution. De même, les propriétés physiques des nanotubes, composés de carbone ou autre, indiquent que leur toxicité pourrait être proches de celle des fibres d’amiante. Cela dit, les études préliminaires suggèrent que les nanotubes ont tendance à se rassembler en grappe et se trouvent donc rarement sous forme isolée.
  • explosion : des risques d’explosion pourraient exister pour des nanoparticules combustibles.

Les recommandations formulées par les experts sont donc marquées par les incertitudes qui pèsent sur les dangers potentiels liés aux nanotechnologies. Ils recommandent ainsi que " Research Council UK " établisse un centre de recherche interdisciplinaire englobant des institutions de recherche déjà existantes et chargé de mener des recherches sur la toxicité, l’épidémiologie, la persistance, la bioaccumulation et les voies d’exposition des nanoparticules et nanotubes. Ce centre serait également chargé de développer des méthodologies et des instruments pour contrôler la présence de ces espèces dans l’environnement (bâtiments et nature). Sa mission consisterait également à faire le lien avec les organismes de régulation, à interagir avec ses équivalents européens et internationaux et à maintenir une base de données de ses résultats. Des financements devraient également être attribués à des groupes de recherche ne faisant pas partie du centre. Le groupe de travail estime qu’un financement de 5 à 6 millions de livres (environ 7,3 à 8.8 millions d’euros) par an sur dix ans serait nécessaire. Cette dotation devrait être apportée par le gouvernement mais le centre pourrait également recevoir des financements européens ou internationaux.
De précieuses informations sur la pénétration des défenses du corps humain par les nanoparticules pourraient être obtenues auprès des chercheurs qui les utilisent pour la délivrance ciblée de médicaments. Le groupe de travail recommande donc que ces chercheurs collaborent avec ceux qui travaillent sur la toxicité des espèces nanométriques. Il recommande également que les essais de ces nouveaux médicaments prennent en compte la toxicité propre à ces particules et en particulier leur capacité à toucher des cellules et des organes distants de leur cible.
L’impact des espèces nanométriques sur les espèces vivantes non humaines et leur comportement dans l’air, l’eau, le sol ou la chaîne alimentaire sont également peu connus. Dans le doute, le rapport recommande donc que le rejet dans l’environnement de nanotubes et de nanoparticules d’origine artificielle soit aussi limité que possible. En particulier, les experts recommandent que :

  • les laboratoires et les lieux de fabrication traitent ces espèces comme dangereuses et cherchent à réduire ou à supprimer leur présence dans les rejets ;
  • l’utilisation de nanoparticules libres pour des applications environnementales, comme le traitement des eaux et des sols, soit interdite tant que les travaux de recherche nécessaires n’auront pas été menés et qu’il n’aura pas été démontré que les bénéfices potentiels l’emportent sur les risques potentiels.
    Il est également pour l’instant extrêmement difficile de savoir dans quelle mesure les espèces nanométriques sont susceptibles de s’échapper des futurs produits industriels dans la composition desquels elles rentreront. Il est donc recommandé que, lors de la conception et de la mise au point d’un produit, les industriels évaluent le risque de dégagement de nanoparticules ou de nanotubes durant toute la durée de vie du produit. Ces informations devraient ensuite mises à la disposition des autorités de régulation.
    Enfin, partant du constat que certaines informations détenues par les industriels ne sont pas publiques, les experts recommandent que les comités scientifiques consultatifs compétents chargés de la sûreté des ingrédients (en particulier le comité scientifique européen des produits cosmétiques et des produits non alimentaires) demandent que toutes les données relatives à l’évaluation des dangers et les méthodologies employées pour les obtenir soient rendues publiques.

5. Les conséquences éthiques et sociales

Si les questions liées à la santé, l’environnement et la sécurité concernent essentiellement les nanoparticules et les nanotubes, les implications éthiques et sociales couvrent elles tout le domaine des nanosciences et des nanotechnologies. Même si l’évolution de ces domaines à moyen et long terme reste difficile à prévoir, les inquiétudes sont centrées autour de deux questions :

  • qui contrôle l’utilisation des nanotechnologies ?
  • à qui profitera l’utilisation des nanotechnologies à court et moyen terme ?
    Ces questions ne sont d’ailleurs pas propres aux nanotechnologies ; elles ont déjà été soulevées dans le passé pour d’autres domaines, par exemple le nucléaire, les techniques de procréation ou les biotechnologies, et l’expérience montre qu’il faut s’efforcer d’y répondre. Dans sa discussion le groupe d’expert n’a pas prétendu à un traitement exhaustif des difficultés éthiques ou sociales soulevées par les nanotechnologies. Il a souhaité en revanche identifier ses inquiétudes principales.
    Souvent, ces inquiétudes trouvent leur source dans les propriétés mêmes qui font tout l’intérêt des nanotechnologies. Par exemple, la conjugaison de ces technologies avec l’informatique (par exemple la liaison à distance entre des capteurs et des ordinateurs) pourrait contribuer à l’amélioration de la sécurité ou de la santé des personnes. Mais dans un même temps, elle pourrait permettre une surveillance invisible ou la collecte et la dissémination d’informations sans le consentement de la personne concernée. On toucherait ici au domaine toujours très sensible des libertés civiles. On doit donc s’assurer que les cadres de régulations et les institutions actuels assurent une protection adaptée aux individus et aux groupes de la société. Les inquiétudes identifiées par le rapport ne concernent pas que la société civile : dans le domaine militaire, les nanotechnologies pourraient trouver des applications à la fois pour la défense et pour l’attaque, soulevant ainsi des questions sociales et éthiques.
    Au cours de leurs consultations, les rédacteurs du rapport ont également pris connaissance de spéculations concernant l’utilisation conjointe des nanotechnologies, des biotechnologies, de l’informatique et des sciences cognitives dans un but d’"amélioration radicale du genre humain". Selon eux, ces spéculations ont pour l’instant trait soit à un avenir très lointain, soit à de la science fiction. Toutefois, si elles devenaient un jour réalité, elles poseraient de très sérieuses questions éthiques.
    Afin d’examiner plus profondément les conséquences éthiques et sociales des nanotechnologies, le groupe de travail recommande donc que les conseils de recherche et le "Arts and Humanities Research Board" (AHRB) financent un programme de recherche interdisciplinaire.
    En général, les scientifiques et les ingénieurs interrogés ont également indiqué qu’ils avaient pris en compte ou souhaité prendre en compte les impacts éthiques et sociaux de leur travail. Les experts estiment que tous les chercheurs engagés dans les nanosciences et les nanotechnologies devraient songer aux conséquences de leur travail et ils recommandent donc que la prise en compte des implications éthiques et sociales des technologies avancées (comme les nanotechnologies) fasse partie de la formation de tous les étudiants et tout le personnel travaillant dans ce domaine. Plus précisément, ce type de formation devrait être repris dans le document commun aux conseils de recherche et à l’AHRB portant sur les besoins de formation des étudiants formés par la recherche ("Skills Training Requirements for Research Students").

6. Le dialogue avec le public et les acteurs du domaine.

L’attitude du public joue un rôle crucial dans la mise en oeuvre des nouvelles technologies. Le groupe de travail a commandé un sondage auprès du public britannique. Cette enquête a indiqué que seulement 29% des personnes interrogées avaient entendu parler des nanotechnologies et seules 19% pouvaient en donner une définition. Parmi ces dernières, 68% pensaient que les nanotechnologies pourraient améliorer leur vie future et 4% jugeaient a contrario qu’elles allaient la rendre pire. Ces chiffres montrent que la sensibilisation du public britannique au nanotechnologies est encore faible. Cet état de fait implique que l’avenir de ces technologies dépendra beaucoup de la façon dont les opinions seront façonnées dans les prochaines années.
Lors de rencontres avec des membres du grand public, les rédacteurs du rapport ont pu recueillir leurs vues, qu’elles soient positives (par exemple en ce qui concerne les applications potentielles en médecineoupourlacréation de nouveauxmatériaux) ou négatives (par exemple en ce qui concerne les effets secondaires à long terme). Les personnes rencontrées ont tracé des parallèles avec les problématiques des OGM et l’énergie nucléaire, notamment pour la gouvernance des nanotechnologies. Afin de poursuivre cette démarche d’écoute du grand public, le rapport recommande que les conseils de recherche financent un large programme de recherche sur l’attitude du public face aux nanotechnologies. La partie qualitative de ce travaildevraitimpliquerdesmembresdugrandpublicainsiquedemembres de certains groupes de la société, comme les handicapés. Ce programme pourrait enrichir l’enquête déjà réalisée au fur et à mesure que la connaissance des nanotechnologies par le public se développe.
En outre, un débat constructif et proactif devrait être amorcé dès maintenant, avant que des positions tranchées n’apparaissent. Le rapport recommande donc que le gouvernement britannique lance un dialogue public, correctement financé, autour des nanotechnologies. Un certain nombre d’organismes pourraient être impliqués dans ce dialogue : les conseils de recherche, les sociétés savantes, l’industrie ou encore des mouvements associatifs rompus aux contacts avec le public. Dans un premier temps, les conseils de recherche pourraient prendre en charge un débat sur la gouvernance.

7. Le cadre réglementaire

Un cadre réglementaire, proportionnel aux enjeux et flexible, servirait et protégerait les consommateurs, les travailleurs, l’industrie et l’environnement. Il contribuerait également à assurer la confiance du grand public vis-à-vis des nouvelles technologies. Selon les auteurs du rapport, les activités de recherche, de développement ou à l’échelon industriel des nanotechnologies sont couvertes par un large spectre de régulations (santé, sécurité sur le lieu de travail, autorisation de mise sur le marché des médicaments etc.).
Selon le groupe de travail, les cadres de réglementation européens et britanniques sont suffisamment larges et souples pour couvrir les nanotechnologies à leur stade de développement actuel. Toutefois, des réglementations devront être modifiées pour observer un principe de précaution vis-à-vis du niveau de toxicité encore incertain des nanoparticules et des nanotubes. Dans cette perspective, les recommandations des rédacteurs du rapport sont les suivantes :
a. Autorisation d’utilisation des produits : les produits chimiques sous forme de nanoparticules ou de nanotubes devraient être considérés comme de nouvelles substances dans le cadre des réglementations régissant la notification de nouvelles substances. Au fur et à mesure que les informations sur la toxicité des substances seront disponibles, les organismes de régulation concernés devraient juger de l’opportunité de revoir les seuils annuels de production entraînant la mise en oeuvre de tests de toxicité.
b. Sécurité sur le lieu de travail :

  • Puisque la toxicité des particules est liée à la taille, le "Health and Safety Executive" (HSE) devrait revoir sa réglementation concernant l’exposition aux nanoparticules et en particulier s’interroger sur la méthode utilisée pour mesurer le taux d’exposition (masse ou nombre). Entre temps, les seuils d’exposition professionnels devraient être abaissés.
  • Le HSE, le ministère de l’agriculture (DEFRA) et l’Agence pour l’environnement britanniques devraient revoir leurs procédures actuelles concernant la gestion des rejets accidentels au sein et en dehors des lieux de travail.
  • Le HSE devrait vérifier si les méthodes actuelles de mesure et de contrôle de l’exposition des individus sur leur lieu de travail sont adaptées aux nanomatériaux.
    c. Les produits de grande consommation :
  • La vérification de l’innocuité des ingrédients utilisés sous forme de nanoparticules devrait conditionner leur autorisation d’emploi. En particulier, l’industrie cosmétique devrait fournir des données additionnelles sur les poudres d’oxyde de zinc qu’elle utilise.
  • Les fabricants devraient publier les détails de la méthodologie employée pour vérifier l’innocuité de leurs produits et ainsi démontrer qu’ils ont pris en compte la différence entre propriétés des nanoparticules et propriétés des espèces plus volumineuses.
  • La composition affichée des produits devrait préciser la présence de nanoparticules.
  • Le nouveau comité scientifique européen sur les risques sanitaires émergents et nouvellement identifiés devrait en priorité s’intéresser à l’innocuité des nanoparticules dans les produits de grande consommation.
  • Avec le soutien du Royaume-Uni, la communauté européenne devrait revoir la pertinence du cadre de réglementation actuel recouvrant l’introduction de nanoparticules dans les produits de grande consommation.
    d. Médicaments : le ministère de la santé britannique devrait revoir ses réglementations concernant les nouveaux médicaments pour s’assurer que la taille et les propriétés chimiques des particules sont prises en compte dans la recherche des effets secondaires.
    e. Dégagement de nanoparticules et de nanotubes : le risque de dégagement de ces espèces sera probablement plus élevé lors de l’évacuation, de la destruction ou du recyclage des produits dans lesquels ils ont été fixés. Les fabricants devraient donc publier des procédures précisant comment leurs produits doivent être traités dans le but de minimiser l’exposition des hommes et de l’environnement.
    f. Mesure du taux de particules :
  • Les chercheurs et les autorités de régulations cherchant à mettre au point des méthodes de mesure des particules aéroportées de fabrication humaine devraient rentrer en contact avec ceux qui travaillent sur la mesure des particules polluantes (comme celles provenant des gaz d’échappement des voitures).
  • Le ministère de l’industrie britannique (le DTI) devrait soutenir la standardisation des mesures à l’échelle nanométrique et s’assurer que le Royaume-Uni se trouve aux avant-postes des initiatives internationales dans ce domaine.

De façon plus générale, le groupe de travail recommande que :

  • tous les organismes de régulation concernés vérifient si leurs réglementations actuelles protégent les humains et l’environnement des dangers recensés dans ce rapport. Ils devraient également publier leurs conclusions et détailler la façon dont ils comptent traiter les vides de réglementation.
  • Ces organismes devraient inscrire les applications futures des nanotechnologies à leur programme afin d’identifier les vides de régulation au stade approprié.

Certaines personnes ont appelé à un moratoire sur le développement et l’utilisation des nanomatériaux. Le groupe de travail estime qu’il n’existe pas suffisamment de données scientifiques qui justifieraient un tel moratoire et qu’il n’existe pas non plus de consensus sur la nécessité de la mise en place de ce moratoire fondée sur le principe de précaution. Le groupe de travail a recommandé un certain nombre de mesures destinées à minimiser l’exposition aux nanomatériaux en attendant que les dangers liés aux nanofibres et aux nanoparticules soient évalués et un moratoire n’est pas nécessaire.

Conclusion

Le rapport rendu par la " Royal Society " et la " Royal Academy of Engineering " a identifié les questions qui doivent être traitées de façon urgente. Mais les experts rappellent que les nanosciences et les nanotechnologies évoluent rapidement, il est donc essentiel que le gouvernement mette en place une approche systématique des questions liées au monde nanométrique. Il est donc recommandé au conseiller scientifique du premier ministre britannique de mettre en place, dans deux ans puis dans cinq ans, un groupe indépendant. Ce groupe serait chargé de vérifier les initiatives mises en oeuvre suite aux recommandations formulées dans ce rapport, d’évaluer les développements des nanosciences et des nanotechnologies dans l’intervalle et de considérer les conséquences des ces développements.
En parallèle, l’étude menée par la " Royal Society " et la " Royal Academy of Engineering " a mis en évidence tout l’intérêt d’identifier aussi précocement que possible les nouveaux domaines des sciences et technologies. Une autre instance devrait également être mise en place par le conseiller scientifique. Se réunissant deux fois par an, cette structure serait chargée de passer en revue les technologies nouvelles ou émergentes, de signaler le plus tôt possible au gouvernement les questions nécessitant son attention et de le conseiller sur la façon de les traiter. Les conclusions de ce groupe devraient être rendues publiques et son travail devrait s’inscrire en complément de celui réalisé par d’autres organismes gouvernementaux.
Le groupe de travail attend maintenant une réponse du gouvernement britannique et des organismes auxquels il a adressé ses recommandations. Cette remarquable étude semble être la première du genre et il est à souhaiter que ses conclusions contribuent au développement responsable des nanosciences et des nanotechnologies.

Rédacteur : Anne Prost

Source : Nanoscience and nanotechnologies : opportunities and uncertainties, rapport de la "Royal Society" et de la "Royal Academy of Engineering" disponible à l’adresse : http://www.nanotec.org.uk/finalRepo...

Issu du Bulletin électronique du service scientifique de l’Ambassade de France au Royaume-Uni

Cette information est un extrait du BE Royaume-Uni numéro 49 du 18/10/2004 rédigé par l’Ambassade de France au Royaume-Uni. Les Bulletins Electroniques (BE) sont un service ADIT et sont accessibles gratuitement sur www.bulletins-electroniques.com

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