Le sociologue André Micoud note tout d’abord que la " biodiversité " est certes un concept rationnel, mais que c’est aussi un " percept ", c’est-à-dire une figure rhétorique, " un tour, une manière spécifique d’utiliser les ressorts de la langue pour lui faire produire un effet figuratif, dans l’ordre de l’imaginaire, de façon à faire ressentir, à faire comme "toucher du doigt", à émouvoir, à rendre imaginable, bref à atteindre son destinataire en tant qu’il est un être sensible ".
En s’inscrivant dans un " champ sémantique déjà pullulant " (biosphère, biodégradable, produit bio...), la " bio-diversité " ajoute une dimension dynamique à la simple " naturo-diversité ".
Forgé en 1986 par le " physiologiste végétal " américain Walter G. Rosen pour évoquer la nouvelle discipline qu’était la " biologie de la conservation ", le mot " biodiversité " a connu un succès immédiat. Le Sommet de la Terre organisé à Rio en 1992 a même fait de ce concept un quasi-précepte. " La biodiversité, en tant qu’elle a été montrée comme étant en danger, en tant que l’existence de ce danger a été attestée de façon argumentée par les savoirs, est ce qui nous oblige à son endroit. " Pouvant à ce stade prendre une majuscule, la Biodiversité " oblige le lecteur à une certaine révérence à son endroit. Instituée comme une sorte de référent majeur, placée au-dessus de tout à partir du moment où c’est du maintien de son renouvellement que dépendent nos existence, la biodiversité accède alors bien au rang de ces choses que le Moyen Âge appelait mystiques et que nos philosophies disent transcendantes. C’est au nom de ce référent à majuscule que vont être prises des résolutions engageant les communautés humaines d’aujourd’hui à se convertir à de nouvelles pratiques salvatrices. "
Le dossier que présente Écologie & Politique fournit ensuite des éclairage très variés sur cette notion et, surtout, sur les enjeux qu’elle oblige à poser. Ainsi, l’écologue Robert Barbault approfondit le passage " de la diversité du vivant au concept de biodiversité " avant de livrer des données précises sur la " sixième crise d’extinction " qui menace notre planète. À la différence des précédentes (dont l’une a fait disparaître les dinosaures), cette crise est le fait de l’homme et pourrait s’inscrire dans une échelle de temps extrêmement restreinte...
Ingénieur écologue et conseiller auprès de l’adjoint à l’environnement du maire de Paris, Karim Lapp attire quant à lui l’attention sur l’importance de la biodiversité en milieu urbain et appelle à une meilleure maîtrise de cet " écosystème politique " que constitue la ville.
Faisant référence à des contextes plus ruraux ou forestiers, le juriste Philippe Métay soumet " les régimes juridiques d’exploitation de la biodiversité à l’épreuve du développement durable ". La diversité biologique tendant à devenir " une matière première marchande ", il importe de lutter contre le " biopiratage " et de promouvoir un " partage équitable " en " prenant en considération les droits des populations locales ". Le politologue Nicolas Buyse analyse dans cette perspective l’exemple de " biodiversité localement négociée " que représente " la gestion décentralisée des ressources forestières en Indonésie ".
Au final, la géographe Sophie Caillon et le philosophe Patrick Degeorges explorent ces zones où " les frontières entre culture et nature " tendent à s’effacer et l’écologue Jean-Pierre Raffin, par ailleurs président du conseil scientifique du parc national des Écrins, boucle ce dossier en montrant comment les environnementalistes sont amenés à évoluer " de la protection de la nature à la gouvernance de la biodiversité ". Le mariage de l’écologie et de la politique produit effectivement de nouvelles approches.
A. Chanard.In ruralinfos.org