« Le nouvel ordre écologique »
Son grand intérêt est de fournir des clés de compréhension d’un mouvement, l’écologie, dont les préoccupations s’imposent à nos sociétés du 21ième siècle : « Depuis qu’elle est une force politique, l’écologie passe, au regard de certains, pour la résurgence archaïque d’un gauchisme pourvu, de surcroît, de quelques relents terriens et pétainistes. D’autres y décèlent en revanche l’un de ces « grands desseins » novateurs qui font cruellement défaut aux partis traditionnels. Mais que sait-on de ses arrière-fonds idéologiques ? » En fait, il y a « trois écologies » explique Luc Ferry : d’abord, historiquement, une conception anthropocentrique de l’environnement qui conduit l’homme à prendre soin de la qualité du milieu au sein duquel il vit ; puis un élargissement des préoccupations morales à certains êtres non humains, tels que les animaux, en veillant à diminuer les souffrances que l’homme peut leur infliger et qui se traduit notamment par le mouvement de « libération animale » ; et enfin une troisième composante qui accorde des droits à la nature et appelle à l’élaboration d’un « contrat naturel ». Sur cette base, Luc Ferry pointe qu’il y aurait une écologie « profonde » (« deep ecology ») qui s’opposerait à une écologie « superficielle » ou « environnementaliste » dont le défaut aux yeux des tenants de la première serait d’être conçue en considérant que l’homme est le centre du monde, alors qu’il n’est qu’une simple partie de l’univers. Et Luc Ferry de montrer que la « deep ecology » s’investit dans la critique de la modernité, jusqu’à remettre en cause la rationalité de Descartes et le mouvement des Lumières qui en sont à l’origine.
Au cours des chapitres successifs, il explore les origines et met en perspective les thèses de mouvements apparemment loin des autres, mais qui convergent dans leur critique de la modernité, mais également de l’humanisme, en ce sens que l’homme est considéré comme un être « anti-nature ». Successivement, on lit avec intérêt les analyses approfondies concernant ces différents courants. Une visite riche en rencontres : les mouvements de la libération animale au nom du « droit des animaux », ceux qui dénoncent les « crimes contre l’écosphère » et qui manifestent même pour « le droit des arbres » au nom d’un « biocentrisme » opposé à l’« humanisme », ou encore l’« écoféminisme » comme critique radicale des droits de l’« homme », sans oublier un détour documenté par les lois de « l’écologie nazie ». Dans ce concert, Luc Ferry distingue plus particulièrement la contribution d’Hans Jonas dont « Le principe responsabilité » vient alors de paraître dans sa traduction française. Celui-ci se fonde sur la « grande peur planétaire » qui saisit les sociétés développées, pour formuler une « heuristique de la peur », une « fonction éthique et même théorique de la peur qui devient tout à la fois un devoir moral et un principe de connaissance ». Et de scruter les implications sociales et politiques de ce principe, et d’en pointer les dérives possibles pour la décision publique. En conclusion, Luc Ferry commente que même si certains arguments de l’écologie profonde ne peuvent pas être ignorés, ses issues sociétales sont contestables lorsqu’elles conduisent à évacuer l’exigence démocratique.
« Vaincre les peurs »
La peur, c’est le point de départ du second ouvrage de Luc Ferry signalé ici. Son fil conducteur : l’éclairage que la réflexion philosophique peut porter sur les peurs qui sont les nôtres. Selon lui, il y a certes des peurs facilement circonscrites, qui peuvent être apprivoisées à l’aide de bons « mécanismes de défense ». Mais parmi les différents types de peurs, il y en a une, « fondamentale en ce qu’elle commande toutes les autres, la peur de la mort ».
La première partie s’inspire d’une conférence de présentation d’un précédent ouvrage de l’auteur, « Apprendre à vivre ». Elle se présente comme une pédagogie de la démarche philosophique. Car, affirme Luc Ferry, « Toutes les grandes philosophies se construisent toujours autour de trois grands axes qui correspondent à trois interrogations fondamentales » : 1. la théorie (« connaître le terrain de jeu qui est celui de notre vie »), 2. la question de la morale ou de l’éthique (« les règles du jeu »), 3. la sagesse, la spiritualité et le salut (« la finalité ou le sens du jeu »). Cette première partie passe en revue et commente les différentes doctrines philosophiques et religieuses en référence à ces trois grands axes, en débutant par le cas du stoïcisme, « l’archétype des doctrines du salut sans Dieu ». La deuxième partie est consacrée aux réponses que Luc Ferry donne aux objections qui lui ont été adressées par des interlocuteurs du monde de la philosophie et de la religion chrétienne à la lecture de son précédent essai « Apprendre à vivre ». Ce dialogue et ces remarques sont enrichissantes, remercie Luc Ferry, en ce sens qu’elles lui permettent « de préciser mais aussi d’enrichir et d’approfondir de manière significative le point de vue que j’avais développé dans ce livre » ; ce que l’on peut attendre en effet de démarches de type « dialogique » (celles que privilégie la Mission Agrobiosciences). Il reproduit les objections du philosophe André Comte-Sponville, du théologien chrétien Michel Quesnel et de l’évêque de Clermont-Ferrand Hyppolite Simon, et les fait suivre de développements complémentaires à la présentation qu’il a faite en première partie. Dans sa dernière partie, Luc Ferry propose des morceaux choisis de réflexions relatives aux « trois interrogations fondamentales » évoquées en première partie, des textes destinés à être emportés « sur une île déserte », c’est-à-dire des lectures permettant de survivre dans la solitude. Pour conclure, il argumente en faveur de la philosophie dont la fonction est de « nous permettre d’en finir avec les peurs, de les terrasser, comme saint Georges son dragon, pour vivre enfin dans la sérénité la plus parfaite ».
Notes de lecture de la Mission Agrobiosciences, par Jean-Claude FLamant. Janvier 2009
- "Le nouvel ordre écologique - l’arbre, l’animal et l’homme", Grasset, 1992, 221 pages. Réédition Le Livre de Poche
- "Vaincre les Peurs. La philosophie comme amour de la sagesse", Odile Jacob, 2006, 304 pages
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Lire aussi : A propos de son ouvrage « Vaincre les peurs ». Luc Ferry ou la vocation de puiser dans la philosophie une ressource salutaire pour éclairer nos questions contemporaines. Un commentaire de Jean-Marie Guilloux, Mission Agrobiosciences.
Lire sur le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :
- Les peurs peuvent-elles avoir une vertu pédagogique ?. "Si ces peurs peuvent nous paralyser, ne peuvent-elles pas aussi avoir une vertu « pédagogique » pour nous aider à trouver des issues à des problèmes inédits ?" Le billet de la Mission Agrobiosciences de janvier 2009, par Jean-Claude Flamant.
- "Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique". Une note de lecure à propos de l’ouvrage de hans Jonas, par Jean-CLaude FLamant. Dans cet essai, Hans Jonas développe une réflexion inédite sur les transformations induites par les innovations technologiques. Hans Jonas est considéré comme étant l’inspirateur de concepts tels que « développement durable », « générations futures », « principe de précaution »
- Développement durable : une nouvelle manière d’acheter des indulgences ?. L’interview de la géographe Sylvie Brunel par Jacques Rochefort dans le cadre "Ça ne mange pas de pain !" de janvier 2008 "Aïe, le retour des obscurantistes !"
- "Peut-il y avoir un apprentissage collectif du risque ?". La Restitution de la Conversation de Midi-Pyrénées. Une séance introduite par Olivier Moch, directeur général adjoint de Météo France et Patrick Denoux, maître de conférences à l’Université de Toulouse-Le Mirail. Avec la réaction de Georges Mas, psychosociologue, consultant.
- Faut-il en finir avec le développement durable ?. Le cahier issu de la conférence débat avec François de Ravignan, agronome et économiste. Dans le cadre des cafés-débats de Marciac
- Le Paysage défiguré, figuré, reconfiguré... re-figuré ?. Retour sur la notion de paysage bien moins homogène que ce que l’on pourrait penser. "Y-a-t-il un paysage idéal ?" Une chronique de Valérié Péan.