30/09/2009
Le billet de la Mission Agrobiosciences. Octobre 2009

Le diable se cacherait-il (aussi) dans les proximités ? (billet)

Jean-Claude Flamant

La consommation engagée, tout particulièrement l’approvisionnement en proximité ou encore l’achat de produits issus du commerce équitable, semble avoir le vent en poupe. Portés par des valeurs "citoyennes", ces modes de consommation, visant à aider les petits producteurs, auraient, par ailleurs, bien d’autres qualités. Ainsi, par exemple, s’approvisionner en proximité permettrait de réduire, en limitant les transports, l’émission de gaz à effet à serre, notamment celle de CO2. Qu’en est-il dans le faits ? Et quels freins ces nouveaux modes de consommation rencontrent-ils ? Jean-Claude Flamant mène l’enquête dans ce billet de la Mission Agrobiosciences.

Le diable se cacherait-il (aussi) dans les proximités ?
Le billet de Jean-Claude Flamant

"Plus que jamais, avec la crise économique, les consommateurs privilégient les "prix bas". Une tendance "lourde" qui ne doit pas empêcher de percevoir que de nouveaux types de comportements prennent actuellement de la consistance : s’approvisionner "en proximité" et acheter des produits du commerce équitable. Ils ont comme point commun d’être portés par des valeurs "citoyennes" contestant le prix comme seule référence. Un écho aux analyses de Robert Rochefort, directeur du CREDOC, dans son ouvrage « Bon consommateur, mauvais citoyen » [1].
Certes leur poids est encore négligeable, qu’il s’agisse des fruits et légumes dans les "paniers" de type "AMAP", ou encore du café, thé, chocolat et autres produits tropicaux pour le commerce équitable. Mais si leur progression se confirmait, ils pourraient infléchir l’économie des chaînes alimentaires ; une consommation « engagée » dont le marketing ne manquera pas de se saisir si la tendance venait à se confirmer. Ces comportements émergents ont en commun de vouloir aider les petits producteurs sur la base de rapports contractuels impliquant les mangeurs, mais ils divergent sur le fait que l’un privilégie les producteurs proches, tandis que l’autre concerne ceux de contrées lointaines. Le "diable" se cache dans les détails, on le sait ! Mais se cacherait-il aussi dans les proximités géographiques ? Enquête...

Une manière de consommer plus à même de lutter contre le réchauffement climatique ?

Tout d’abord, s’approvisionner en proximité permettrait de réduire les émissions de CO2. Alors que les médias se font le relais du changement climatique qui nous menacerait inéluctablement, l’ADEME [2] élabore des indicateurs d’émission de CO2 par produit - "l’étiquette carbone" - qui pourraient apporter aux consommateurs un référentiel complémentaire à celui du prix pour guider leur choix. Mais qu’en est-il du comportement des consommateurs eux-mêmes ? D’où la question : se déplace-t-on moins en achetant ponctuellement ses fruits et légumes chez un producteur local plutôt qu’en réalisant l’ensemble des achats ménagers dans une grande surface ? Pas évident souligne Sylvie Brunel dans son ouvrage « A qui profite le développement durable ? » [3]. Elle remarque notamment [4] : « Se servir chez les petits détaillants et producteurs multiplie les déplacements. Surtout si, croyant bien faire, vous allez chercher directement vos produits à la ferme. Le bilan énergétique entre les deux modes d’approvisionnement penche en réalité en faveur de l’hypermarché qui concentre en un seul lieu la totalité des produits et s’approvisionne lui-même en jouant sur les économies d’échelle ».
Paradoxe ! Quant aux produits provenant de pays lointains - c’est évidemment le cas des produits du commerce équitable - les dépenses en énergie fossile seraient fortement minimisées par le recours aux modes de transport par bateau plutôt que par avion ou camion quoique plus rapides. Alors, avantage aux produits frais de proximité ou non ? La réponse n’est pas aussi évidente.

Quelle coexistence avec les rythmes de la vie moderne ?

Notre santé trouverait aussi son compte dans la consommation de proximité, avec des régimes alimentaires plus diversifiés d’une saison à l’autre, plus en harmonie avec les rythmes naturels, mettant notamment l’accent sur les fruits et légumes et, ceci, en accord avec les recommandations de consommation du PNNS [5]. Donc tout bénéfice. Le prix à payer est celui d’un abonnement de quelques mois auprès d’un producteur de "paniers" hebdomadaires de fruits et légumes. Mais là encore il y a une limite : celle des exigences en temps de préparations culinaires à l’échelle familiale, plus élevées que si l’on a recours à des produits déjà préparés. Voilà donc une option citoyenne confrontée à la réalité des modes de vie de tout un chacun, avec toujours moins de temps consacré aux tâches ménagères. On peut certes décréter qu’il est nécessaire de changer les comportements mais, de fait, les rythmes quotidiens donnent moins de place à la cuisine, même si les consommateurs en rêvent en regardant les émissions de télévision qui magnifient les vertus de la gastronomie.

Un mode d’approvisionnement moins anxiogène ?

Autre aspect sensible, non seulement la proximité apporterait des bénéfices santé mais elle offrirait aussi une garantie contre les risques sanitaires... Ainsi, au cours des Etats Généraux de l’Alimentation, en décembre 2000, lors de la 2ème crise de la vache folle, l’idée s’était dégagée qu’un des antidotes aux crises de sécurité sanitaire des aliments consisterait à favoriser un mouvement ample de consommation de produits de proximité. Elle aurait pour vertu de réduire l’ampleur des risques sanitaires du fait des volumes plus faibles provenant de chaque producteur individuel, avec une moindre diffusion géographique que la production agroalimentaire de masse. Et, de plus, la proximité donnerait confiance. Focale sur les propos du sociologue Jocelyn Raude : il défend justement que c’est l’allongement des chaînes alimentaires qui génèrerait l’anxiété et les peurs vis-à-vis de notre alimentation.

Des liens sociaux plus étroits ?

Quatrième aspect, le possible resserrement des liens entre producteurs et consommateurs. La consommation de proximité s’opposerait efficacement à leur dilution par le mouvement généralisé de la mondialisation sans oublier, aussi, sa contribution à la gestion des territoires avec le maintien de producteurs notamment en périurbain [6]. Examinons cela de plus près.
Oui, ce mode de consommation est efficace si cette proximité se traduit par des contacts personnels étroits entre les consommateurs urbains et les producteurs. Si elle est jouée comme des occasions de dialogue à propos de la réalité des pratiques des uns et des perceptions qu’en ont les autres et, ceci, d’autant plus qu’elle est accompagnée, par exemple, de rassemblements à caractère festif comme en témoigne le développement d’initiatives du type randonnée à travers champs qui reçoivent, chaque fois, l’adhésion de plusieurs centaines de personnes au cours d’une même journée. Paradoxalement, la dispersion de l’habitat résultant des dynamiques d’urbanisation de ces trente dernières années, jugée dispendieuse en terrains agricoles et en carburants pour les déplacements quotidiens, offrirait aussi plus de possibilités de rencontres favorables aux agriculteurs producteurs que la ville "compacte". La vertu de la proximité ne résiderait pas alors dans la limitation des émissions de CO2 pour « sauver la planète », mais tout simplement en un rapprochement social entre les producteurs et les mangeurs et, aussi, dans l’encouragement fait aux petits producteurs de maintenir leurs activités sur le territoire. Mais là encore, la réalité pèse. Il y a le ressenti des habitants des lotissements proches des cultures : poussière, bruits, épandages douteux, mouches provenant des étables, odeurs... Certains urbains s’installant à proximité d’exploitations agricoles ne supportent pas ! Le dialogue ne doit pas ignorer l’existence de ces nuisances comme les possibilités de les limiter.

Qu’en est-il pour le commerce équitable ?

Retour, pour finir, aux produits du commerce équitable... Ils bénéficient d’une même image positive que la consommation de proximité alors qu’ils ont parcouru des milliers de kilomètres pour parvenir sur nos tables. Au nom de la « défense de la planète » et pour « lutter contre le changement climatique », devrions-nous alors éliminer café, thé, chocolat, voire même bananes et ananas de notre consommation quotidienne ? Certains ne sont pas loin de le préconiser. Peut-être faut-il raisonner "à l’envers". Les distances entre producteurs et mangeurs étant là structurelles pour ce type de produits, les consommateurs pourraient trouver des assurances dans les engagements contractuels qui sont à la base du commerce équitable. On le sait, les arguments favorables seraient l’existence de contrats entre des coopératives de petits producteurs et les négociants, garantissant les termes d’un cahier des charges complexe : conditions de production, prix garantis pour des quantités achetées, redistribution d’une plus value dans des projets collectifs de développement, etc. Dans la mesure évidemment où les consommateurs ont confiance dans les organismes en charge de valider ces contrats.

Et le diable dans tout ça ?... Le diable se cacherait-il (aussi) dans les proximités ? C’était ma question. Ne se cacherait-il pas en effet dans les réalités de la vie quotidienne qui, là comme ailleurs, conditionnent les comportements d’achat alimentaire des citoyens et font obstacle à la mise en œuvre de leurs bonnes intentions ?

Le billet de la Mission Agrobiosciences, par Jean-Claude Flamant, octobre 2009

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[1(Odile Jacob, 2007)

[2Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie

[3(Larousse, collection "A vrai dire", 2008)

[4(pages 26-27)

[5Plan National Nutrition Santé

[6notamment dans le cadre des SCoT (Schémas de Cohérence Territoriale)

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