09/04/2009
Dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !", l’émission radiophonique de la Mission Agrobiosciences

"Nourritures spatiales : chéri, ils ont satellisé mon assiette !" (interview originale)

Se nourrir dans l’espace n’est pas chose aisée. Dans ce milieu spécifique, caractérisé par un état de micro-apesanteur, il convient de respecter plusieurs contraintes qu’elles soient d’ordre physiologique, sanitaire ou encore physique. Des contraintes que, depuis les premiers voyages à bord de la station Mir aux longs séjours aujourd’hui effectués à bord de la station spatiale internationale, les chercheurs tentent de maîtriser afin de proposer aux spationautes des préparations dont l’aspect et le goût se rapprochent autant que possible des plats que nous consommons ici bas. Ainsi, en l’espace de quelques dizaines années, l’alimentation des spationautes a considérablement évolué. Et l’épopée est loin d’être terminée puisque, désormais, c’est Mars que les spationautes ont en ligne de mire. Une expédition qui oblige à repenser la façon de s’alimenter dans l’espace.
Retour sur les contraintes et les évolutions passées et futures des nourritures spatiales avec Alain Maillet, responsable d’expériences menées en physiologie au CADMOS (CNES). Une interview réalisée dans le cadre l’émission spéciale de « Ça ne mange pas de pain ! », Demain, tous techno-phages ?, de la Mission Agrobiosciences.

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"Nourritures spatiales : chéri, ils ont satellisé mon assiette !"
Chronique Sur le Pouce de l’émission de « Ça ne mange pas de pain ! », Demain, tous techno-phages ?

L. Gillot : De tout temps, la guerre et les épopées militaires ont stimulé l’innovation technologique, dans des domaines aussi divers que la communication - Internet a été créé par l’armée américaine - que l’alimentation. Un thème que nous avions d’ailleurs précédemment évoqué lors d’une émission consacrée aux industries agroalimentaires. Dans cette perspective, on peut se demander si, à l’instar des conquêtes militaires, les conquêtes spatiales ont elles aussi généré ou stimulé certaines innovations technologiques. Dans ce milieu spécifique qu’est l’espace, qui possède ses propres lois physiques, est-il possible de se nourrir de la même manière que sur Terre ? Quelles sont les contraintes à respecter ? Et le respect de ces contraintes stimule-t-il l’innovation ? Des questions qui se posent d’autant plus que, désormais, ce n’est plus le sol de la Lune mais celui de Mars que les spationautes projettent de fouler.
Retour sur les nourritures spatiales avec Alain Maillet, responsable d’expériences menées en physiologie au CADMOS, le Centre d’aide au développement des activités en micro-pesanteur et des opérations spatiales, une structure du CNES, le Centre national d’études spatiales.

Alain Maillet bonjour et merci d’avoir accepté cette invitation. Depuis les premiers vols habités dans la station Mir, dans les années 80, aux longs séjours dans l’ISS, la station spatiale internationale, l’alimentation dans l’espace a-t-elle changé ?
A. Maillet : On peut effectivement dire que l’alimentation dans l’espace a changé. Au début de cette aventure humaine, nous avions encore, d’un point de vue physiologique, plusieurs incertitudes. On ne savait pas comment l’organisme allait réagir à la situation d’impesanteur. Bref, nous étions un peu dans l’inconnu. Lors des premiers vols habités, dont les durées étaient courtes, quelques heures à plusieurs jours, l’alimentation des spationautes était essentiellement composée de pâtes alimentaires - des gelées - conditionnées dans des tubes, une façon de s’alimenter à la fois pratique et facile à assimiler. Le film Apollo 13 retrace d’ailleurs de manière très juste la réalité alimentaire de l’époque. Désormais, l’alimentation est plus diversifiée et nous tentons de faire en sorte qu’elle soit la plus proche possible de celle que l’on consomme sur Terre. D’une part, les ravitaillements périodiques de la station, en moyenne tous les mois, permettent d’apporter à bord des produits frais, notamment des fruits. Pour le reste, la nourriture se présente sous forme d’aliments déshydratés ou de conserves.

Certains plats sont même préparés par le groupe "Alain Ducasse Formation et Conseil (ADFC)". Pouvez-nous nous en dire deux mots ?
Il s’agit d’un projet initié par le CNES en 2004, qui fait suite à un projet identique débuté en 1996 par le CNES avec le lycée hôtelier de Souillac et le professeur de cuisine Richard Filippi. L’objectif était alors de permettre aux spationautes français qui séjournaient à bord de MIR de déguster de "bons petits plats", de retrouver là-haut, les saveurs d’ici. Ce projet a été repris par le CNES et développé avec Alain Ducasse Formation et Conseil (ADFC), qui propose aujourd’hui une quinzaine de plats, conditionnés sous forme de conserve et consommés pour fêter un événement tel qu’un anniversaire ou une sortie extra-véhiculaire. Ces préparations permettent de rompre avec le quotidien.

On voit que l’alimentation dans l’espace tend à ressembler de plus en plus à ce que nous mangeons sur Terre. Mais l’espace reste un milieu extrême. Quelles sont les contraintes que vous devez respecter ?
Notre principale contrainte est l’équilibre alimentaire car il faut fournir aux astronautes un apport énergétique qui couvre leurs dépenses journalières. Concrètement, l’apport est équivalent à celui recommandé sur Terre - 2200 à 2400 kilocalories par jour pour une personne de 70kg. Mais il peut atteindre des sommets - 7000 kilocalories, notamment en cas de sortie extra-véhiculaire. Au-delà de l’apport énergétique, on veille également à ce que l’apport en glucides (sucre et féculents), en lipides (graisses), en protéines, comme en minéraux soit bien équilibré pour éviter toute carence. Il faut en effet savoir que le métabolisme est sensiblement modifié dans l’espace et qu’un déséquilibre peut très vite entraîner des modifications qui restent néanmoins réversibles après le retour sur Terre. Par exemple, on a observé que, au cours des vols longue durée, la masse osseuse diminuait fortement, du fait d’une modification du métabolisme du tissu osseux qui a tendance à "dégrader" plus d’os qu’il n’en fabrique.
Ensuite, il existe d’autres contraintes à respecter. Du point de vue de la sécurité sanitaire, la nourriture doit être complètement stérile, c’est-à-dire qu’elle ne doit véhiculer aucun contaminant - bactérie, moisissure - d’une part pour ne pas rendre malade les spationautes et d’autre part, pour éviter l’implantation de moisissures dans la station elle-même. Avec un degré d’humidité relativement élevé, la station représente en effet le lieu de vie rêvé pour certains champignons... Enfin, cette nourriture ne doit être ni trop sèche, ni trop humide. Dans le cas contraire, elle deviendrait elle-même un contaminant pour la station. Par exemple, des miettes constituent un danger dans l’espace car, du fait de l’impesanteur, elles peuvent être inhalées par les spationautes ou encore boucher les filtres.

S. Berthier : Vous parlez des modifications physiologiques induites. Peut-être faut-il préciser que, en impesanteur, le sang remonte dans la partie supérieure du corps.
Ce phénomène est observé au début du vol spatial. Car, suite à ce mouvement des fluides, l’organisme va réagir pour diminuer l’accumulation de sang dans la partie haute du corps. Il lui faut 48h à 72h pour s’adapter et revenir à une situation d’équilibre. Reste que le problème se présente également lors du retour sur Terre, où le phénomène inverse se produit. Le sang "retombe dans les chaussettes", si je peux m’exprimer ainsi, ce qui génère un certain nombre de problèmes tels qu’une intolérance à l’orthostatisme, c’est-à-dire une difficulté de se maintenir en position debout.

L. Gillot : Cette remontée des fluides a également d’autres conséquences : la perception du goût des aliments se trouve elle aussi modifiée.
Nous rejoignons ici la discussion que nous avons eu avec Thierry Talou sur les odeurs. Deux aspects sont à distinguer. D’un côté, la station étant un milieu confiné, nous essayons d’atténuer voire de supprimer toutes les odeurs des objets envoyés dans l’espace. Ceci n’est pas toujours chose facile car certains objets - je pense par exemple aux stylos marqueurs - ont une odeur bien marquée. De l’autre, l’engorgement des liquides dans la partie haute du corps engendre une moindre perception du goût des aliments. Or ce dernier est en partie lié à leur odeur. Nous tentons donc, notamment dans les menus que nous élaborons avec ADFC, de renforcer les odeurs et les saveurs des plats.

Mais ceux-ci sont conçus et testés sur la terre ferme. Comment imaginer, dès lors, le goût qu’ils auront dans l’espace ?
Chaque plat nouvellement conçu est soumis à un test de dégustation, certes réalisé sur Terre, mais auquel participent des astronautes qui ont déjà volé. Comme ils ont une connaissance des perceptions induites par l’impesanteur, ils sont à même de juger de la qualité gustative des plats. En outre, puisque ces préparations leur sont destinées, il est préférable qu’ils participent de près à leur élaboration.

Les nourritures spatiales, même si elles ressemblent à ce que l’on mange sur Terre, sont néanmoins spécifiques quant aux contraintes à respecter. La mise au point de ces plats a-t-elle été un moteur d’innovation technologique ?
Nous utilisons des procédés - conserve, déshydratation - couramment présents dans l’industrie agroalimentaire. Jusqu’à aujourd’hui, on ne peut pas affirmer que le fait de se nourrir dans l’espace ait stimulé l’innovation technologique. Reste que nous avons d’autres challenges à l’heure actuelle : ce n’est plus le sol de la Lune mais celui de Mars que l’on projette de fouler. Or ce type d’expédition soulève de nouvelles questions. Il faut un temps considérable pour rejoindre Mars, ce qui implique un stock conséquent de nourriture et d’eau pour satisfaire les besoins de l’équipage. D’où l’idée non plus d’emporter des denrées mais de cultiver directement certains végétaux apportés sous forme de graines dans la station. Cela implique que les denrées choisies intègrent un certain nombre de critères. Elles doivent être facile à produire, à recycler ou encore à stocker. En outre, pour éviter une certaine forme de lassitude gustative, elles doivent pouvoir être cuisinées de différentes manières et représenter au moins 40% des ingrédients des recettes. Pour évaluer l’impact de la lassitude, nous avons réalisé en 2005, auprès de plusieurs volontaires, une expérience d’alitement (1) au MEDES (Clinique Spatiale), à Toulouse, en collaboration avec le CNES et l’Agence spatiale européenne. Les volontaires ont pu goûter et évaluer une fois par semaine ces menus qui comprenaient donc un ou plusieurs des 9 aliments sélectionnés : de la laitue, du blé, de l’oignon, des pommes de terre, du soja, de la tomate, du riz, des épinards et de la spiruline (2).

B. Sylvander Dans l’espace, le géotropisme n’existe plus. Dans quelle direction germent ces plantes ?
Sur les tests réalisés à bord de la station spatiale internationale, les végétaux poussent très bien. Mais l’absence de géotropisme a pour effet que les plantes ne sont pas très droites..."

(1)L’alitement permet de simuler les effets de la micro-apensanteur
(2)La spiruline est une algue, riche en protéines et en fer, souvent utilisée comme complément alimentaire.

Chronique Sur le Pouce. Emission spéciale de « Ça ne mange pas de pain ! » de janvier 2009 : "Demain, tous techno-phages ?"

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Retrouver les autres chroniques et interviews de cette émission :

"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (17h30-18h30) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....

A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez Toutes les Intégrales de "Ça ne mange pas de pain !" mais aussi toutes les chroniques et tables rondes.

Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :

Avec Alain Maillet, responsable d’expériences menées en physiologie au CADMOS (CNES)

Accéder à toutes les Publications : Alimentation et Société Des conférences-débats, tables rondes, points de vue et analyses afin de mieux cerner les problématiques sociétales liées au devenir de l’alimentation. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications « l’Alimentation en question dans "Ça ne mange pas de pain !" (anciennement "Le Plateau du J’Go"). Les actes de l’émission de la Mission Agrobiosciences sur l’actualité de Alimentation-Société diffusée sur Radio Mon Païs (90.1), les 3ème mardi (17h30-18h30) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. Revues de presse et des livres, interviews et tables rondes avec des économistes, des agronomes, des toxicologues, des historiens... mais aussi des producteurs et des cuisiniers. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

Accéder à toutes les publications : Agriculture et Société Des conférences-débats, tables rondes, points de vue et analyses afin de mieux cerner les problématiques sociétales liées au devenir de l’agriculture. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à tous les Entretiens et Publications : "OGM et Progrès en Débat" Des points de vue transdisciplinaires... pour contribuer au débat démocratique. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications : Sur le bien-être animal et les relations entre l’homme et l’animal Pour mieux comprendre le sens du terme bien-être animal et décrypter les nouveaux enjeux des relations entre l’homme et l’animal. Avec les points de vue de Robert Dantzer, Jocelyne Porcher, François Lachapelle... Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

Accéder à toutes les Publications : "Sciences-Société-Décision Publique"de la Conversation de Midi-Pyrénées. Une expérience pilote d’échanges transdisciplinaires pour éclairer et mieux raisonner, par l’échange, les situations de blocages « Science et Société » et contribuer à l’éclairage de la décision publique. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

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Les cahiers de l’Université des Lycéens, moment de rencontres entre des chercheurs de haut niveau, des lycéens et leurs enseignants. Des publications pédagogiques, agrémentées d’images et de références pour aller plus loin, qui retracent la conférence du chercheur et les questions des lycéens.
Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

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Accéder à toutes les publications. Sur l’eau et ses enjeux. De la simple goutte perlant au robinet aux projets de grands barrages, d’irrigations en terres sèches... les turbulences scientifiques, techniques, médiatiques et politiques du précieux liquide. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications Produits de terroir, appellations d’origine et indications géographiques. Pour tout savoir de l’avenir de ces produits, saisir les enjeux et les marges de manoeuvre possibles dans le cadre de la globalisation des marchés et des négociations au plan international. Mais aussi des repères sur les différents labels et appellations existants. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

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