La dentiste et la bio
Chronique le Ventre du Monde de Bertil Sylvander, mai 2008
"Me voici donc assis sur le fauteuil de ma dentiste. Tout le monde connaît cette situation, qui n’est guère agréable. On a toujours un peu peur de souffrir. Certes, aujourd’hui, la mortification est dépassée : la lutte contre la douleur est devenue socialement légitime et on peut espérer rencontrer des médecins qui acceptent de nous en dispenser.
Après quelques premiers soins, petite pause et voici qu’elle me questionne négligemment : « et ... que faites vous comme métier ? ». Je lui explique alors que je suis chercheur à l’INRA. Comme elle insiste pour en savoir plus, je lui précise que j’étudie la sociologie des consommateurs de produits biologiques (c’est ce que je faisais à l’époque). Cela m’amène incidemment à expliquer la nature et l’origine de l’agriculture biologique.
Elle ne répond rien et continue les soins. Cela dure assez longtemps. Elle est concentrée et silencieuse. En effet, dévitaliser une molaire, pour elle, c’est du boulot. Moi aussi, je suis concentré, car en ce qui me concerne, je ne suis pas très à l’aise. L’anesthésique ne produit pas tout à fait l’effet escompté et j’ai mal.
Au bout d’un moment, elle s’arrête, en sueur et fait une pause. C’est alors qu’elle me demande :
« Et... c’est qui les gens qui achètent des produits bio ? »
Je lui réponds, avec ma bouche en carton pâte :
« D’après les études faites, ce sont principalement des retraités et catégories aisées d’âge moyen, des jeunes parents, des intellectuels, des cadres moyens de la santé, des artistes et surtout des enseignants ».
Je vois son visage se refermer et elle reprend son travail sans plus piper mot. Elle a achevé la première phase de nettoyage de la racine et commence à obturer les cavités. Au bout d’un moment, elle lâche en bougonnant :
« Ca ne m’étonne pas, dès qu’il y a un problème, c’est les enseignants ! »
Enfoncé dans mon fauteuil, me voici avec un sujet de réflexion en or. Pourquoi en effet a-t-elle associée de la sorte « produit bio », « problème » et « enseignants » ? Cette dame doit certainement avoir de mauvaises expériences avec le métier d’enseignant ! Mais à aucun moment nous n’avons évoqué le moindre « problème », à propos des produits bio. C’est donc elle, qui, entre nos deux moments de conversation, a ruminé sur le sujet et a fait cette association étrange : « la bio pose problème, les enseignants posent problème, donc il est logique que ces derniers mangent bio ».
Je risque quelques hypothèses. D’abord, les études font rarement apparaître de médecins dans la population des consommateurs de produits bio. Cela est peut-être du à leur formation scientifique. Peut-être est-ce aussi la marque d’une attitude essentiellement curative - et non préventive - par rapport à la santé.
Mais plus généralement, on peut dire - nous l’avons vu dans cette émission - que la bio pose problème à la société, d’une manière ou d’une autre et, certes, parfois maladroitement. On pourrait dire en outre que les enseignants (ou les chercheurs ?) sont payés à réfléchir ? Eux, ils posent des problèmes.
Et ma dentiste, dans sa phrase sibylline, vient de s’en faire l’écho.
Mais, plus légèrement, on peut aussi proposer l’interprétation psychanalytique : n’est elle pas en train de dévitaliser une racine ? "
Chronique le Ventre du monde de Bertil Sylvander
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"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (17h30-18h30) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....
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