SF : à la table des matières.
Chronique A Emporter, "Ça ne mange pas de pain !". Janvier 2009
Lucie Gillot : "On imagine facilement que toutes ces questions sur le futur de l’alimentation vous intéressent ?
Jean-Claude Dunyach : Elles nous intéressent d’autant plus que nous, les auteurs de science-fiction, nous nous trompons. La quantité de bêtises que la science-fiction est capable de raconter - et prenez-moi comme exemple - est absolument énorme ! Blague à part, la science-fiction n’a pas pour fonction de proposer des solutions mais de soulever des questions, principalement des questions naïves. Dans ce cadre, nous sommes amenés à rencontrer des scientifiques pour leur demander leur avis sur une de nos idées. Et, neuf fois sur dix, on tombe sur quelqu’un absolument ravi de nous répondre : « tu te trompes complètement, c’est beaucoup plus compliqué que ça ».
Jacques Rochefort : Quelle est la place de l’alimentation dans la science-fiction ? Si on regarde le polar par exemple, la cuisine et le sexe sont très présents, notamment dans le polar contemporain. En est-il de même dans la science-fiction ?
L’alimentation est effectivement très présente dans la science-fiction - comme le sexe d’ailleurs. Mais celle-ci est abordée d’une curieuse façon. Du fait que nous inventons des races extra-terrestres, nous nous posons très rapidement la question de savoir comment ces gens mangent, et à travers elle, puisque manger revient à absorber une partie de son environnement sous une forme à la fois plaisante et nourrissante, quel est leur rapport à la nature. Dans cette perspective, certains auteurs de science-fiction se sont spécialisés sur les questions alimentaires, à l’instar de Peter F. Hamilton, qui décrit 50 façons de faire des œufs au bacon selon la planète sur laquelle on se trouve. D’autres ont inventé des "recettes extraterrestres". Vous parliez auparavant de ce repas organisé à Londres à l’occasion du Manifeste du Futurisme de Marinetti. Sachez que, lors d’événements de science-fiction, on teste également des recettes de cuisine. Personnellement, je sais fabriquer des spaghettis "extraterrestres" qui ont une magnifique couleur bleu foncé et que l’on sert avec du fromage orange. Mais bizarrement, personne ne veut y toucher !
Est-ce que cette cuisine, dans la science-fiction, peut jouer un rôle d’alerte par rapport aux problèmes alimentaires qui peuvent se poser dans nos sociétés contemporaines ?
La science-fiction est, en général, tournée vers la manière dont l’homme interagit avec son environnement, et ce, parce que l’homme demeure essentiellement préoccupé par sa survie. La science-fiction a ceci de particulier qu’elle est une littérature se déroulant lorsque l’auteur qui l’a écrite est déjà mort, ce qui signifie que ce dernier doit se projet au-delà de sa propre existence. Reconnaissez qu’il s’agit là d’un exercice intellectuel ardu. A quoi ressemblera l’humanité qui m’a survécu ? Quels seront leurs problèmes ? Quel héritage a-t-on laissé aux générations futures ? Dans cette perspective, la nourriture est un des moyens de dire que le rapport au monde a changé. Et parmi les questions qui nous préoccupent quant à l’avenir de l’humanité, les problèmes liés à la surpopulation viennent en premier. Qui va manger quoi et dans quelles quantités ? Or, dans ce cas précis, on s’aperçoit qu’il existe deux sources de nourriture très peu utilisées dans le monde : les insectes et le plancton. On peut donc par exemple imaginer qu’un moyen a été trouvé pour exploiter ces sources énormes de protéines...
Pour revenir au sujet du sexe et de la nourriture, j’ai l’exemple d’un écrivain diplômé de biologie et spécialiste des problèmes de nutrition, Brian Stableford, qui a publié des nouvelles sur ces thèmes. Dans l’une d’elles, le personnage principal est un chimiste spécialiste du goût qui a découvert une molécule absolument extraordinaire dont la saveur est appréciée par tous, rendant dès lors délicieuse n’importe quelle nourriture. Imaginez une bouillie de fourmis dont le goût serait sublimé grâce à un premier produit vaporisé dans la bouche via un aérosol, et un second ajouté dans la nourriture. Au final, on réglerait les problèmes de faim dans le monde. Sauf que les patrons du chimiste n’ont pas la même vision du produit que lui. Ils trouvent l’idée absolument géniale, mais décident de le vendre comme produit érotique pour favoriser le sexe oral, au motif que résoudre la faim dans le monde est une noble cause, certes, mais absolument pas lucrative.
Qu’est-ce que vous préférez Jean-Claude Dunyach : la cuisine de Mme Saint-Ange [1] ou les recettes que l’on trouve chez John Holbrook Vance [2] ?
Je n’en ai aucune idée. Par contre, je peux vous dire que je suis un enfant du terroir. Né à Toulouse, avant de passer plusieurs années dans le "Grand Nord" à coté de Montauban, j’ai été nourri durant toute mon enfance par les saveurs de la cuisine de l’Aude de ma grand-mère. Autrement dit, tout ce qui est local me convient très bien ! Cela étant, j’adore aller dans un autre pays et y goûter la nourriture locale car cela permet, à mon sens, de s’approprier le pays lui-même. L’une des plus belles nouvelles de science-fiction écrite sur ce sujet s’appelle Manger la jungle. Ce récit, écrit par Lucius Shepard, met en scène un personnage qui considère que, pour comprendre un lieu, il faut le manger. Il part donc en Amazonie et y mange les branches, les arbres... jusqu’à la terre. Et là seulement il peut dire : « j’ai compris l’Amazonie ». Et ça, c’est une chose extraordinaire."
Entretien réalisé par Jacques Rochefort, Mission Agrobiosciences, dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !" de janvier 2009, "Demain, tous technophages ?"
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"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (17h30-18h30) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....
A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez Toutes les Intégrales de "Ça ne mange pas de pain !" mais aussi toutes les chroniques et tables rondes.
Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :
- La naissance du goût, par Nathalie Rigal, psychologue, dans le cadre des Cahiers du Café des Sciences et de la Société du Sicoval.
- Se libérer de la matière ? Fantasmes autour des nouvelles technologies, note de lecture de l’ouvrage de Bernadette Bensaude-Vincent, par Jean-Claude Flamant, Mission Agrobiosciences.
- Nanosciences et nanotechnologies : tous les ingrédients d’un débat explosif ?, intégrale du débat organisé par la Mission Agrobiosciences.
- Quelle stratégie pour les produits de terroir dans un contexte de globalisation des marchés ?, avec Jean-Louis Rastoin, ingénieur agronome, professeur à l’Agro Montpellier, dans le cadre des Cafés-débats de Marciac, organisés par la Mission Agrobiosciences.