"Péché de chair (et de chère)... Du carême aux jeûnes modernes"
Chronique Grain de sel de Valérie Péan, Mission Agrobiosciences
V. Péan : "Adieux, veaux, vaches, cochons... La chair est triste hélas et je vous en passe. Nous voici au mois de mars. Or dès le mercredi des Cendres, fin février, les Chrétiens - principalement les Catholiques - doivent faire maigre. Et oui, nous sommes en plein carême : plus de 40 jours de jeûne et d’abstinence, un régime d’austérité qui s’achève le Lundi de Pâques, qui se pratique en souvenir du jeûne de Moïse avant la remise des Tables de la Loi et de celui du Christ dans le désert, au moment de la Tentation.
Pour supporter cette diète forcée, sept jours de bombance la précèdent, dont fait partie le fameux mardi gras qui en est le dernier jour. Une semaine dite charnelle, faite de beuveries, débordements, et excès en tous genres, avant l’entrée en carême, dite également carême prenant. Au lendemain du mardi gras, il s’agit donc de faire ceinture. C’est d’ailleurs ce que nous indique le nom de ce premier jour d’ascèse : le carnaval, qui vient de l’italien carne levare : enlever la viande. Bref, manger maigre. Allez savoir pourquoi, peu à peu, le carnaval s’est déplacé la veille, jour du mardi gras, si vous avez bien suivi, marqué par la ripaille et les réjouissances dont il devient vite synonyme. Bref, le carnaval a comme masqué son sens initial ...
Bon, mais, me direz-vous, plus personne ou presque ne respecte le carême. Pas si vite... D’abord, pour les Catholiques, Benoît XVI multiplie les messages encourageant cette pratique de pénitence et de privation. Ensuite, la consommation de viande est, dans toutes les religions, soumise à des séries d’interdits et de restrictions permanentes ou liées à des périodes de l’année. Il y a là comme l’idée d’un « péché de chair ».
Même du côté des pratiques laïques, la viande se fait régulièrement hacher menue ! Ainsi, depuis 1985, mars est le mois des Journées sans viande, (JSV, pour les connaisseurs, qui sonnent un peu comme les JMJ du Vatican) venues du mouvement américain Meat Out. Aux alentours du 20 de ce mois, dans toute la France et dans bien d’autres pays, ont lieu des actions de sensibilisation pour une alimentation sans produits d’origine animale. Manger de la viande tue, prônent les plus radicaux, qui souhaitent par le végétarisme épargner les animaux et contribuer à protéger la planète que l’élevage intensif pollue. Une sorte de carême revisité.
Péché de chair encore quand, plus généralement, l’abstinence devient de plus en plus tendance. Le maître mot : détoxiner ou détoxifier notre organisme... Un grand nettoyage de printemps à coups d’infusions et de légumes dépuratifs, l’alcool étant bien entendu prohibé. Des pratiques de cures et de jeûnes plus ou moins sévères, certaines proches de l’anorexie inquiétant d’ailleurs les professionnels de la santé.
C’est qu’il y a là un côté puritain qui n’est pas sans séduire. L’éloge du renoncement et l’idéal ascétique sont dans l’air du temps - pour certains, cela va même jusqu’à l’abstinence sexuelle - comme si la gourmandise était toujours considérée comme un péché et que céder à la tentation de la viande revenait à ne pas savoir contrôler ses instincts animaux. On pourrait en dire long sur nos répulsions à l’égard du carné et, à l’opposé sur l’extrême valorisation du végétal, mais une émission entière y suffirait à peine. Ajoutons donc simplement que la montée du végétarisme et du végétalisme est sans doute favorisée aujourd’hui par la perte du rôle de marqueur social qu’a longtemps eu la viande, produit rare, réservé aux hommes, aux travailleurs qui gagnaient leur bifteck. Bref, avec les changements de valeur que nous connaissons, telle que la préoccupation de la santé, du léger et de la minceur, la filière viande risque de boire le bouillon et le carnaval de reprendre son sens initial."
Chronique Grain de sel de Valérie Péan, Mission Agrobiosciences. Réalisée dans le cadre de l’émission spéciale de "Ça ne mange pas de pain !" de mars 2009,"Les giboulées de mars".
Cette émission spéciale de "ça ne mange pas de pain !" sera diffusée sur les ondes de Radio Mon Païs (90.1), le mardi 17 mars 2009 de 17h30 à 18h30, et le mercredi 18, de 13h à 14h. Elle peut être écoutée, à ces mêmes dates et heures par podcast.
"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (17h30-18h30) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....
A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez Toutes les Intégrales de "Ça ne mange pas de pain !" mais aussi toutes les chroniques et tables rondes.
Lire sur le magazine web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :
- Serons-nous bientôt obligés de nous priver de viande ? Et même de lait ?, un billet de la Mission Agrobiosciences, par Jean-Claude Flamant.
- Hygiénisme, c’est du propre..., une chronique "Le sens des mots" par Valérie Péan, Mission Agrobiosciences.
- Nouvelles obsessions alimentaires : "L’orthorexie, une névrose culturelle ?",par Patrick Denoux, maître de Conférences en Psychologie Interculturelle à l’Université de Toulouse-Le Mirail, dans le cadre des actes du forum "Aux bons soins de l’alimentation".
- "Une vie de cochon" (pas toujours rose), un ouvrage sélectionné par la Mission Agrobiosciences, écrit par Jocelyne Porcher, chargée de recherches à l’Inra, et Christine Tribondeau, longtemps salariée en production porcine industrielle.
- L’élevage : plaisir ou souffrance en partage ?, entretien avec Jocelyne Porcher, chargée de recherche à l’INRA.