"Les seniors en Alsace"
Chronique le Ventre du monde de Bertil Sylvander
Bertil Sylvander. J’étais invité pour quelques jours en Alsace, chez mes ex-futurs beaux grands-parents (c’est-à-dire, les grands-parents de mon ex-future).
Nous arrivons en voiture le Samedi soir assez tard et garons la voiture dans une petite cour de ferme. La petite maison est plongée dans l’obscurité. A peine avons-nous frappé à la porte que tout s’allume et nous voici accueillis par un concert d’exclamations en franco-alsacien et en "alsasso-français". Katel et Güscht, les deux grands parents, visiblement heureux, nous reçoivent avec force accolades et embrassades.
Puis la question fuse : « affez-vous tîné ? ». Après quelques minutes, je comprends enfin ce qu’on veut de moi et j’affirme que oui, nous avons dîné sur la route. Suivent un froncement de sourcils et un air soupçonneux et je reçois une bourrade discrète dans les côtes flottantes. En effet, à quelques pas de l’entrée, se dresse devant nous une grande desserte abondamment garnie. Pas question d’y échapper et nous voici à table.
On commence bien sûr par des Königin Pastete [1], arrosés de Riesling et on continue par des Brotwurst [2] et des Landjäger [3]. Après ces entrées, qui commencent de m’achever, il y a le plat de résistance : le fameux Flammenküche [4] et les Fleischschnaka [5], avec de la bière traditionnelle Meteor. Enfin, l’inévitable Kouglopf [6], avec du Gewürtztraminer et pour terminer diverses eaux de vie de petits fruits. Là, ça y est, je le suis, achevé. Pendant tout ce repas, à part les nouvelles de la famille, données et reçues rapidement, dans un idiome incompréhensible, les deux grands parents s’interrompent souvent pour s’attraper vertement et mutuellement. J’ose demander discrètement à ma compagne Marikel : « de quoi s’agit-il ? ». Elle me répond dans le creux de l’oreille qu’ils discutent du menu du lendemain midi.
Et en effet, la matinée se passera pour eux à la cuisine. Et à midi pétante et dans un gémissement étouffé, je vois arriver sur la table, qui pourtant n’en pouvait plus, des Spargel [7] accompagnés de Bibeleskäs [8] et d’Edelzwicker [9] puis, évidemment, puisque nous sommes Dimanche, les célèbres Gebackener Karpfen [10], dans leur nid de Burespeck [11] et de Nudel [12] (ou de Leberklößche [13], autrement dit les Knepfle [14] bien connus !), arrosées de Riesling. Après le Munster et le Bergkäs [15], revoici un Kouglopf tout neuf ! (d’où sort-il ? on m’a pourtant obligé à terminer celui d’hier !). Pour terminer, quelques schnaps.
Mais voici l’heure de la sieste ! Pour nous, elle est chargée et pénible. Les deux grands parents, en ce qui les concernent, s’effondrent sur les deux fauteuils du salon et ronflent de conserve. Las ! Hélas ! Très –trop ! – rapidement, Katel se réveille et interpelle son mari en ces termes : « c’que ttu ppeux être appatu, toi ! ». En effet, il faut séance tenant se mettre à confectionner le dîner, dont on avait abondamment parlé pendant le déjeuner, bien sûr (comme ça, on sait où on va). Et comme c’est Dimanche soir, on mangera léger : Bäckeoffe [16], Sauerkraut [17] et évidemment un troisième Kouglopf, arrosé de crémant d’Alsace.
Par une habile manoeuvre de retraite, menée dès l’aurore le lendemain matin (avant le petit déjeuner), nous avons quitté la maison sur la pointe de pieds (surchargés) et sommes revenus sains et sauf à Paris.
Que retirer de cette expérience assez étonnante et presque surnaturelle ? Que les seniors mangent copieusement ? peut-être… Que la gastronomie alsacienne est excellente ? Egalement ! Que les grands parents aiment leurs petits enfants ? Propaplement ! Mais plus sûrement encore, que je dois ma belle forme actuelle à ma séparation d’avec Marikel.
Chronique Le ventre du monde de l’économiste et sociologue Bertil Sylvander, mars 2010. Dans le cadre de l’émission de "ça ne mange pas de pain !" Tout vieux, tout flamme qui sera diffusée sur radio Mon Païs (90.1 et par le web ce mardi 16 mars de 19h00 à 20h00 et mercredi 17, de 13h à 14h.
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- "L’objectivité du chercheur". Février 2010. Ou comment l’objectivité du chercheur se trouve mise à rude épreuve...
- Accéder à la conscience. Janvier 2010. Bertil Sylvander teste le régime macrobiotique...
- Un festin chez les pauvres ?. Décembre 2009. Ou comment les tables les plus modestes réservent d’incroyables surprises...
- "Monsieur Besson, ce que je veux, c’est des pieds paquets". Novembre 2009.
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Les définitions et précisions mentionnées en bas de page sont issues de "l’Abécédaire de la gastronomie alsacienne" publié par le Comité régional du tourisme d’Alsace. En savoir plus
"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (19h00-20h00) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....
A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez Toutes les Intégrales de "Ça ne mange pas de pain !" mais aussi toutes les chroniques et tables rondes.