27/06/2013
Revue de presse du 27 juin 2013

Pollution à Singapour et en Malaisie : brouillard sur les vrais responsables

©Strait Times

Depuis plus d’une semaine, Singapour et une partie de la Malaisie étouffent sous un nuage de pollution atmosphérique, le haze en anglais (brouillard), qui fait son retour chaque année dans cette région du Monde. La cause : des feux de forêts déclenchés volontairement sur l’île voisine de Sumatra (Indonésie), attisés par la saison sèche et dont la fumée se retrouve poussée par les vents d’ouest. Le phénomène, s’il n’est pas inédit, a cette fois pris des proportions inégalées. Parmi les responsables du brasier géant, les papetiers et les producteurs d’huile de palme.

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Quatre fois plus que le seuil de dangerosité

Le précédent « record » datait de 1997, affichant un indice de pollution (le fameux Pollution Standard Index) de 226, sachant qu’au-dessus de 100, il ne fait pas bon traîner dans les rues… Le 21 juin dernier, c’est quasiment le double qui était enregistré à Singapour, soit un PSI de 401 ! Si, trois jours plus tard, le ciel s’était enfin éclairci au-dessus de la mégalopole et la pollution atmosphérique revenue à un niveau « modéré », le premier ministre Lee Hsien Loong a préféré jouer la carte de la prudence en rappelant qu’il fallait s’attendre à de nouveaux pics, pour peu que le vent tourne… Si le phénomène venait à se prolonger, cela pourrait porter un rude coup à l’économie singapourienne, et notamment au tourisme, qui représentait 4% du PIB en 2012.

Mais la pollution fait bien plus qu’affecter la qualité de vie des Singapouriens et de leurs voisins Malais qui ont à leur tour déclaré l’état d’urgence : elle menace également le trafic dans le détroit de Malacca, l’un des axes maritimes les plus fréquentés au Monde. L’Indonésie en subit également les conséquences : dans la province de Riau, où se situe la grande majorité des feux, les hôpitaux ont enregistré une augmentation des cas d’asthme et de maladies respiratoires tandis que, pour fuir l’air devenu irrespirable, plus de 1000 Indonésiens ont été forcés de quitter leurs villages. La biodiversité paie elle aussi le prix fort, à l’instar des orangs-outans, grands singes arboricoles qui ne sont plus présents à la surface du globe qu’en deux endroits, Sumatra et Bornéo, désormais en feu…

Encore la faute du Nutella ?

S’il est vrai que la propagation des incendies est favorisée par la saison sèche, ces feux ne sont pas la conséquence de phénomènes naturels mais de la culture sur brûlis, encore largement pratiquée en Indonésie. Ajoutez-y un sol indonésien riche en tourbières, ces réservoirs de carbone qui, lorsqu’ils s’enflamment, rejettent une grande quantité de CO2 dans l’atmosphère, et vous aurez de quoi enfumer une bonne partie de la région.

Qui sont donc les responsables de ce défrichage si peu respectueux de l’environnement ? Selon le World Resources Institute, 47% des foyers allumés entre le 12 et le 20 juin ont eu lieu sur des terrains attribués aux plantations d’huile de palme ou d’arbres à croissance rapide, destinés à l’industrie de la pâte à papier. Un phénomène que plusieurs organisations environnementales, dont Greenpeace, ont également dénoncé après analyse des cartes satellites.

De là à blâmer Nestlé ou Lu, il n’y a qu’un pas qu’il faudrait peut-être se garder de franchir : si plusieurs géants de l’industrie de la pâte à papier, à l’instar d’APRIL et d’Asia Pulp and Paper (APP), sont soupçonnés d’avoir une part de responsabilité dans les incendies, les faits ne sont pas encore avérés. APP, troisième groupe mondial de papeterie, a réagi en assurant respecter une « politique de zéro brûlis » depuis 1996. Et surtout, cette technique de défrichage est également adoptée par les petits propriétaires, pour qui il s’agit d’un moyen économique et efficace de défricher, explique J. Jackson Ewing dans le Strait Times. En témoigne d’ailleurs l’arrestation de neuf fermiers indonésiens dont les liens avec de grandes compagnies n’ont pas été prouvés.

De quoi attiser la querelle…

Plus compliqué, certaines des compagnies soupçonnées d’être à l’origine des incendies dévastant Sumatra seraient en fait malaisienne et singapourienne, ce qui ne participe pas à l’amélioration des rapports tendus entre les trois pays depuis le début de la crise. Alors que le 20 juin, le ministre de l’environnement singapourien exhortait le gouvernement indonésien à agir « de manière décisive et urgente afin de prendre le problème à la source », le ministre indonésien Agung Laksono répliquait que « Singapour devrait cesser de se comporter comme un enfant et de faire tout ce bruit », accusant son voisin de vouloir discréditer l’Indonésie aux yeux du reste du monde. Ce n’est que plusieurs jours plus tard que le président indonésien a présenté ses excuses à ses homologues singapourien et malaisien, assurant que son pays acceptait la pleine responsabilité des incendies.

Quelles solutions sur le long terme ?

Plusieurs mesures ont déjà été prises par le passé : en 2002, un accord sur les nuages de pollution transfrontière (Transboundary Haze Pollution) a été conclu entre les pays de l’ASEAN (Association des nations du sud-est asiatique) en réaction à la crise de 1997, au cours de laquelle 10 millions d’hectares de forêts étaient partis en fumée, ce qui avait affecté les pays voisins pendant plusieurs mois. Mais l’Indonésie a été le seul Etat à ne pas ratifier le traité. « Le refus de Jakarta est lié à l’idée qu’accepter ce rapport revient à admettre sa responsabilité dans les incendies » explique le professeur de droit environnemental Alan Khee-Jin Tan. Pourtant, des efforts indéniables ont été faits par le gouvernement Yudhoyono en matière de coopération régionale, de suivi de la pollution et de ralentissement de la déforestation. Comment expliquer alors que le problème persiste ? Les mesures existent, mais elles sont difficiles à faire appliquer dans un pays classé 118ème sur 174 en matière de corruption par Transparency International ! De fait, les enjeux environnementaux ne pèsent pas lourd face aux bénéfices liés à la culture sur brûlis et il n’est pas rare que les gouvernements locaux s’associent avec des compagnies à des fins économiques et politiques. Le manque de transparence du gouvernement a également été dénoncé par un communiqué de Greenpeace qui affirme n’avoir eu accès qu’à des données partielles.

A quelle structure faudrait-il donc faire appel ? A l’ASEAN ? Aux ONG ? Aux entreprises ? Sans doute un peu de tout cela, affirme Reuben Wong, professeur de sciences politiques à la National University of Singapore, pour qui « l’incapacité à réguler la qualité de l’air est due au manque de gouvernance supranationale en Asie du Sud-Est ». « Nous manquons de garde-fous et de sanctions pour punir les responsables » a-t-il ajouté. Selon J. Jackson Ewing, Singapour aurait un rôle important à jouer : d’abord en contrôlant davantage les activités des compagnies singapouriennes, mais également en incitant financièrement l’Indonésie à respecter ses forêts, par exemple à travers le programme REDD (Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation) qui n’est soutenu à l’heure actuelle que par des pays n’appartenant pas à la région, comme la Norvège et le Danemark. Singapour, si touchée par ce phénomène chronique, pourrait gagner à rejoindre les bancs des donateurs.

Même si la pluie s’est finalement abattue sur la province de Riau le 26 juin, réduisant le nombre de foyers d’incendies à une cinquantaine, le problème est bien loin d’être résolu. Il pourrait même perdurer jusqu’à la fin de la saison sèche indonésienne… en septembre.

Une revue de presse de Juliette Baralon, stagiaire à la Mission Agrobiosciences.

Pour plus d’informations sur les enjeux environnementaux liés à la production d’huile de palme, nous vous renvoyons à l’interview d’Alain Rival, correspondant au Cirad, par la Mission Agrobiosciences : « On ne peut pas tirer à boulets rouges sur cette denrée tropicale en réduisant la problématique à quelques clichés »


Sources

Le Monde, Strait Times, Greenpeace, DW...

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